La restitution des restes humains a toujours soulevé des questions aussi bien scientifiques, culturelles, qu’éthiques. Du 9 au 11 février 2023, l’université de Lubumbashi a organisé un colloque international sur la restitution du patrimoine culturel. Il y a notamment été question de la restitution « des dépouilles des ancêtres » - autrement dit : des restes humains. Un sujet qui fait débat actuellement dans le monde de la recherche, et qui soulève de nombreuses questions, notamment la problématique éthique1.
Deux cas occupent actuellement les débats au niveau diplomatique en République démocratique du Congo (RDC). Le premier concerne sept squelettes déterrés dans la région de Wamba, dans le Haut-Uele, par le docteur Boris Adé en 19522. Ces squelettes sont conservés au sein de l’université de Genève. En 2018, cette université et l’université de Lubumbashi ont conclu une convention de cession des droits de propriété. L’université de Lubumbashi est donc par cette voie devenue propriétaire de jure de ces restes humains.
Le deuxième cas concerne les crânes conservés au sein de l’Université libre de Bruxelles (ULB). À la fin du XIXe siècle, la Société d’anthropologie de Bruxelles (SAB), fondée en 1882, a constitué une collection forte d’une dizaine de crânes identifiés comme venant du Congo. Ces crânes sont conservés en deux endroits distincts : une collection se trouve à l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique (IRSNB), et une autre à l’Université libre de Bruxelles. En 2019, une convention a été signée entre l’université de Lubumbashi et l’université belge dans le but d’envisager la restitution de dix restes humains d’ici à 2025.
Le colloque organisé en février avait pour objectifs de comprendre le débat sur la restitution du patrimoine culturel de manière générale, et de proposer des recommandations émanant de la communauté scientifique et de la société civile congolaises, ainsi que de la communauté de Wamba quant à la restitution de ces restes humains. À la fin de ces assises, un événement a surpris l’assemblée : la communauté de Wamba a refusé le rapatriement de ces restes au motif que, selon sa conception, cela ne pourra qu’apporter du malheur à la communauté. Ses membres ont ainsi posé par la même occasion la question de l’utilité d’une telle démarche. Ils ont mis en avant un besoin d’indemnisation concret en évoquant les difficultés qu’ils ont à accéder à certains droits fondamentaux, plus prioritaire à leurs yeux que cet acte de restitution qui semble aller à l’encontre de leur système de pensée. Dès lors, une question se profile : comment restituer lorsque la communauté bénéficiaire ne le souhaite pas ?
Une multitude de textes et de conventions
Les instruments juridiques qui couvrent les restitutions des restes humains sont parfois flous et complexes. Il existe certains textes comme la convention de 1970 sur l’interdiction du trafic des objets, dont les articles 7 et 13 prévoient les dispositions relatives à la restitution spécifiquement pour les objets volés. Ces dispositions prévoient non seulement la coopération interétatique, mais aussi une responsabilité nationale en vue d’une restitution.
La convention de La Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé prévoit dans son article 18 les conditions de retour d’un bien culturel acquis à l’étranger à l’occasion d’un conflit armé. Cet article dispose qu’un bien acquis doit être restitué dans un délai de six mois après la cessation du conflit, à condition qu’une demande soit faite en ce sens. En outre, l’article 4 de la convention de La Haye et son protocole posent l’interdiction des actes de vol, de pillage, et les conditions de la restitution. Une règle applicable tant au conflit armé international que non international.
À côté de ces conventions internationales, le droit international coutumier pose le principe de la protection des biens culturels en situation de conflits armés en interdisant de cibler les biens culturels. L’affaire Duško Tadić a aidé à consolider le droit international : le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) a affirmé en 1995 la règle du droit international interdisant les actes de vol et de vandalisme en période de conflit armée non international. En outre, la déclaration de l’Assemblée des Nations unies sur les droits des peuples autochtones reconnaît dans ses articles 11 et 12 non seulement un droit au rapatriement de leurs restes humains par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces, mais aussi un droit de restitution des biens religieux et spirituels et un droit d’utiliser et de disposer des objets rituels.
À tous ces textes s’ajoute le Code déontologique de l’ICOM (International Council of Museums), qui a posé le principe d’interdiction aux musées de posséder des objets acquis de manière illégale. Il est important de préciser que bien qu’il existe un ensemble de textes qui, par extension, pourraient encadrer la restitution des restes humains, aucune convention internationale ne traite de manière spécifique de cette question.
« Quel rituel ? Quelle utilité ? »
Ces instruments ne prévoient pas des cas particuliers de refus de restitution et énumèrent des propositions parfois en décalage avec les croyances et les coutumes des communautés autochtones. C’est le cas de la communauté de Wamba. Celle-ci ne s’identifie pas dans le discours de la restitution des restes humains. Pour ses membres, la restitution est une menace à la stabilité émotionnelle et spirituelle de la communauté. Elle implique la déstructuration de leur croyance. Durant la conférence de Lubumbashi et après, des questions soulevées par la communauté de Wamba sont restées sans réponse, parmi lesquelles : « quel rituel pour des personnes que nous avons enterrées et dont les corps ont été déterrés ? » ; « quelle utilité face aux questions existentielles actuelles et aux inégalités criantes auxquelles fait face notre population qui peine à avoir accès aux ressources de subsistance ? »
Les restes humains ont un statut flou : parfois qualifiés de biens culturels, parfois qualifiés de sujets humains. Le premier qualificatif permet aux scientifiques de mener les recherches sans se soucier des questions éthiques liées au sujet, tandis que le deuxième rattache toujours aux restes humains la même valeur qu’ils avaient quand les personnes étaient encore en vie - un statut d’ancêtre qui permet de remettre les dimensions éthiques appliquées aux restes humains3.
Un large argumentaire fonde généralement la question de restitution des restes humains. Il y a tout d’abord l’argument de justice réparatrice, qui trouve dans la restitution une expression de repentance pour le mal commis jadis. Cela aboutit généralement à une restitution qui prend la forme d’un acte symbolique de reconnaissance collective des torts du passé. Ainsi, une génération qui ne se sent plus concernée par cette injustice peut décider de réparer cette injustice en optant pour la restitution des restes humains pillés ou collectés par leurs ancêtres. Le deuxième argument se fonde sur la dimension fondamentale des droits humains, reconnue par l’Organisation internationale du travail (OIT) à travers sa convention n°169 de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux. Ce droit a aussi été affirmé dans la déclaration des Nations unies sur le droit des peuples autochtones du 13 septembre 2007.
Le troisième argument se fonde sur la dimension éthique conférant à la restitution des restes humains des vertus thérapeutiques. La restitution est alors perçue comme une question de respect des morts, un appel à honorer les ancêtres par lequel un enterrement digne des restes humains permet de négocier la paix entre les vivants et les morts, entre les descendants et les aïeux. Un moment privilégié pour faire le deuil, pour tourner la page et ainsi accorder le pardon et se guérir des traumatismes d’un passé douloureux.
Deux systèmes de pensée
Pour le cas de la restitution des restes humains au peuple de Wamba, deux de ces arguments sont mis en avant : la visée thérapeutique et la justice réparatrice. Il est question, pour la Suisse et la Belgique, de jeter un regard critique sur les actes posés à l’époque coloniale tout en mettant en avant une utilité thérapeutique qui donnerait l’occasion à ces communautés d’enterrer ces restes humains et, ainsi, de faire le deuil. Mais cette restitution ne semble pas enthousiasmer autant la communauté de Wamba que les scientifiques et les militants. Ce fossé s’explique par une rupture entre les systèmes de pensée. Le système de pensée occidentalisé se pose des questions qui ne cadrent pas forcément avec les besoins de la population de Wamba. Le problème est que personne ne lui a demandé son avis.
Lors du colloque, deux interventions ont donné du fil à retordre aux participants : celle du chef coutumier de la communauté de Wamba, Alexandre Medjedje ; et celle d’une déléguée de la communauté venue spécialement afin d’apporter le message des siens. Ces deux représentants ont été unanimes quant au refus du retour de ces restes humains dans la communauté. Celle-ci craint de voir le malheur s’abattre sur elle une fois que ces restes auront été restitués. « Est-ce que ces esprits ne vous hantent pas pour que vous décidiez aujourd’hui de nous rendre ces fantômes ? » a interrogé le chef coutumier.
Ce questionnement pose trois problèmes. Premièrement, celui lié au droit d’accès à l’information. Le débat sur les restitutions s’élaborent en Europe. Dès que les discussions se clôturent, les restitutions sont importées aux communautés locales qui doivent s’en tenir aux résolutions prises et pensées en Europe. Ces communautés bénéficiaires sont contactées en dernier ressort. Pourtant, demander l’avis des communautés avant d’amorcer une quelconque négociation permettrait de répondre en amont à des questions simples comme : pourquoi restituer ?, ou encore : restituer où à qui ? Ces questions semblent poser d’énormes difficultés quand il s’agit d’importer une solution prise sans le soutien de la communauté bénéficiaire.
Deuxième problème : la crainte de la restitution se justifie puisque ces restes humains, notamment ceux de Genève, ont été déterrés alors que le deuil avait déjà été effectué. Or il n’existe pas de rituel pour mener un deuxième deuil. Cette situation est inconfortable pour la communauté de Wamba. Dans une étude de terrain, Christophe Goumand a constaté : « Les habitants de la forêt sont réputés très farouches. Quant à toucher à leurs morts, c’est encore plus difficile à envisager dans la mesure où les Pygmées sont persuadés que les défunts n’ayant pas reçu de sépulture décente reviennent sur Terre pour se venger des vivants. »4
Enfin, troisièmement, la communauté de Wamba questionne l’utilité d’une telle démarche car, pour elle, la seule restitution ne suffit pas. Ses représentants estiment qu’il serait plus important de répondre à des problèmes contemporains plutôt que de restituer ces restes humains. Ils ont ainsi clairement exposé les besoins prioritaires : un accès à l’éducation, le droit d’accès à des moyens de communication, le droit d’accès à l’information, le droit au transport, le droit d’accès aux soins de santé, etc.
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1Plusieurs communautés, organisations et activistes exigent la restitution de ces restes humains. Voir à ce sujet le dossier réalisé par le site Histoire coloniale et postcoloniale.
2Boris Adé, un médecin suisse, est engagé en 1949 par l’administration du Congo belge. Il est affecté dans le nord-est du pays en tant que médecin. Dans le Wamba, il dirige un grand hôpital doté d’une maternité. Il gère également six dispensaires et trois maternités rurales ainsi que cinq léproseries.
3Voir Laurent Berger, « Des restes humains, trop humains ? » in La Vie des idées, 26 septembre 2008.
4Christophe Goumand, « Les sept squelettes pygmées de l’Ituri », Campus n°140, Université de Genève, mars 2020.