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Au Burundi, une opposition en sursis permanent

Alors que les élections législatives, prévues en 2025, approchent, la situation des opposants est de plus en plus précaire au Burundi. Le CNDD-FDD, le parti au pouvoir depuis 2005, cherche à instaurer un monopartisme qui ne dit pas son nom. Le principal opposant, Agathon Rwasa, vient de l’apprendre – encore une fois – à ses dépens.

L'image montre un homme qui prend la parole devant un public. Il porte un t-shirt rouge avec le texte "ANNIVERSAIRE DU PARTI" et une casquette verte. Il tient un micro et semble s'adresser à l'assemblée avec passion. À l'arrière-plan, on peut apercevoir des gens assis, certains portant des vêtements colorés. Un agent de sécurité en uniforme bleu est visible à côté de lui, ajoutant un élément de protection ou d'autorité à l'événement. L'atmosphère semble festive et engagée.
Agathon Rwasa en avril 2022, lorsqu’il était encore le président du CNL.
© CNL

Le 10 mars 2024, à Ngozi, dans le nord du pays, le Congrès national pour la liberté (CNL) a tenu un congrès extraordinaire en l’absence de son leader, Agathon Rwasa, et sans son accord. Ce congrès, organisé sous la surveillance étroite de la police et du Service national de renseignement (SNR), a vu Nestor Girukwishaka être désigné comme nouveau président du parti. Des partisans de Rwasa ont été empêchés d’accéder à la salle. Une semaine plus tard, le ministre de l’Intérieur, Martin Niteretse, a officialisé ce changement de leadership.

Dans une interview accordée à la radio Isanganiro le 15 mars, Agathon Rwasa a estimé que ce congrès n’avait pas respecté la loi. Selon lui, ce qui s’est passé à Ngozi était une mascarade orchestrée par le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD). « Le congrès du CNL, comme la loi le dit, est convoqué par le responsable du parti CNL. En cas d’indisponibilité du président, c’est le secrétaire général du parti qui prend le relais [...]. Mais ce qui s’est passé à Ngozi, ni moi, le responsable du parti, ni le secrétaire général du parti n’en sommes responsables », a-t-il expliqué. Et d’ajouter : « Le 26 février 2024, j’ai envoyé une lettre au ministre de l’Intérieur pour l’informer que nous voulions organiser un congrès pour résoudre les différends au sein du parti. En réponse à notre lettre, le ministre a sorti un communiqué deux jours après en disant que ce congrès ne pourrait pas avoir lieu. »

L’affaiblissement du CNL n’est pas un cas isolé. D’autres partis d’opposition, comme l’Union pour la paix et la démocratie (UPD -Zigamibanga), ont également subi des divisions orchestrées par le régime au pouvoir. En 2011, l’UPD s’est scindée en deux factions, l’une d’opposition dirigée par Chauvineau Mugwengezo, et l’autre proche du pouvoir menée par Zed Feruzi. La réunification a eu lieu le 17 janvier 2015, et c’est Zed Feruzi qui a été élu à la tête du parti avant qu’il soit assassiné quelques mois plus tard. Une mort qui a encore fragilisé le mouvement. Marina Barampama, la secrétaire du parti qui en est devenue la présidente, s’est exilée, et l’UPD a été repris en main par Kassim Abdoul, choisi en 2019 pour représenter le parti à l’élection présidentielle de 2020, avant de changer d’optique et de soutenir le CNDD-FDD.

Objectif : démanteler les partis d’opposition

L’opposition au Burundi est de plus en plus contrainte à l’exil ou à l’inaction. Chauvineau Mugwengezo, aujourd’hui en exil, dénonce les tentatives du CNDD-FDD d’éliminer toute opposition politique, rappelant les exemples du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), suspendu en 2014, du Front pour la démocratie du Burundi (Frodebu), fragilisé en 2018 par la naissance d’une aile proche du gouvernement (Sahwanya Frodebu), ou encore de l’Unité pour le progrès national (Uprona), paralysée en 2014 quand le pouvoir a évincé Charles Nditije au profit de Bonaventure Niyoyankana. Ces trois mouvements ont été victimes de divisions internes encouragées par le régime. Evariste Ngayimpenda, qui présidait une aile d’opposition de l’Uprona avant la réunification de 2023, estime que ces divergences ont fatigué les militants de l’Uprona et ont donc affaibli le parti.

La récente mésaventure vécue par Agathon Rwasa illustre bien cette stratégie. Après avoir été démobilisé, en 2009, Agathon Rwasa, qui était le chef d’un mouvement rebelle hutu, le FNL-Palipehutu, est devenu le président des Forces nationales de libération (FNL). Nombre de militants de ce parti ont été persécutés au cours de ce qu’on appelle le « plan Safisha »1 en 2010 et 2011. Le 20 octobre 2013, le FNL s’est doté d’une nouvelle direction. Déjà, Rwasa avait dénoncé une mascarade : il avait été évincé de la tête du parti et remplacé par le secrétaire général, Jacques Bigirimana. Après cela, une aile du FNL fidèle à Agathon Rwasa et une aile de l’Uprona dirigée par Charles Nditije ont décidé de s’allier en créant la coalition Amizero y’Abarundi pour participer aux élections présidentielle et législatives de 2015.

Malgré la répression et la tension préélectorales, Agathon Rwasa est arrivé en deuxième position avec 18,99 % des voix lors de l’élection présidentielle du 24 juillet 2015 et il a accepté de siéger au Parlement, arguant qu’il ne voulait pas décevoir ceux qui lui avaient fait confiance, et en dépit de son appel au boycott des élections communales et législatives du 5 juin2. Il dénonçait, comme beaucoup d’autres, la volonté du président sortant, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat théoriquement interdit par la Constitution. Ce dernier avait été proclamé vainqueur par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) avec 69,41 % des suffrages.

Une victoire à la Pyrrhus, qui a ouvert une grave crise politique – tentative de coup d’État, répression des opposants –, qui a fait 1 773 morts entre 2015 et 2019, selon un rapport de la Ligue burundaise des droits de l’homme « Iteka », et qui a provoqué le déplacement de plus de 300 000 réfugiés vers les pays voisins en seulement dix-huit mois.

Un harcèlement d’État

Dans un contexte tendu, Rwasa s’est battu pendant des années pour faire officiellement reconnaître son parti politique. En 2018, il tente de fonder le Front national pour la liberté-Amizero y’Abarundi, mais il n’obtient jamais l’agrément au prétexte que le nom (FNL), la devise (« Justice-Paix-Développement ») et les emblèmes (la houe, la flèche et le marteau liés à un arc) ressemblent trop à ceux des Forces nationales de libération, son ancien parti. Ce n’est qu’en 2019 qu’il obtient enfin un agrément avec le CNL. L’année suivante, le CNL devient le principal parti d’opposition. Au cours des élections législatives cadenassées par le régime3, il gagne 27 sièges, contre 72 pour le CNDD-FDD et 1 pour l’Uprona.

Trois ans plus tard, le 6 juin 2023, le ministre de l’Intérieur, du Développement communautaire et de la Sécurité publique suspend les activités du CNL pour des raisons d’irrégularités présumées lors de ses deux précédents congrès (l’un ordinaire tenu le 12 mars, l’autre extraordinaire organisé le 30 avril), qui visaient à doter le parti de statuts et d’un règlement intérieur conformes au nouveau découpage administratif du pays - découpage qui sera effectif en 2025.

Le 17 juin 2023, lors de la célébration du « Nkurunziza Day » (3e édition)4 à Karusi, dans l’est du pays, devant des membres du CNL désireux d’intégrer le parti au pouvoir, le secrétaire général du CNDD-FDD, Révérien Ndikuriyo, a fait comprendre que le régime ne voulait plus entendre parler de l’opposition : « J’ai dit à votre ami Agathon Rwasa que s’il sait bien que ce pour quoi nous [CNDD-FDD] avons combattu est la même chose que ce pour quoi il a combattu, qu’il accepte d’être accueilli dans le parti CNDD-FDD ou bien d’être l’ami du parti. Sinon il voudra nous rejoindre plus tard mais en vain. »5

Lors d’un point de presse animé le 24 avril 2024 à Ngozi, dans le nord du Burundi, après une réunion du comité central du CNDD-FDD, Révérien Ndikuriyo a été interrogé par des journalistes au sujet de la division du CNL. « On dit que le CNDD-FDD a détruit le CNL ? Non. Ce parti subsiste, a-t-il ironisé. Nous, dans le parti CNDD-FDD, nous élisons le représentant du parti, après il cède le pouvoir à l’autre..., mais chez eux on ne sait jamais si changer la représentation du parti veut dire sa disparition ! Je ne le sais pas ! Je vais m’informer. »

Recruter « en cachette »

La fragilisation des partis d’opposition n’est qu’un pan de la stratégie du CNDD-FDD. L’autre pan, plus connu, consiste à réprimer toutes les voix divergentes. Le Forum pour la conscience et le développement (Focode) estime à 300 le nombre de cas de disparitions forcées depuis 2016, la majorité touchant des militants de l’opposition. La Ligue burundaise des droits de l’homme « Iteka » a documenté quant à elle 527 cas d’enlèvements, 793 cas de tortures et près de 10 000 arrestations illégales et arbitraires entre avril 2015 et avril 2019.

Dans ce climat de peur, les partis d’opposition sont contraints de mener leurs activités dans la clandestinité. Les membres de l’UPD-Zigamibanga, par exemple, évitent de porter les couleurs de leur parti en public par crainte de représailles de la part des Imbonerakure6, la jeunesse du CNDD-FDD. « Nous avons peur d’être torturés par les Imbonerakure, confie un militant. Nous sommes en train de recruter les membres du parti mais nous le faisons en cachette. Si nous voulons discuter de quelque chose en rapport avec notre parti, nous nous rencontrons dans le bistrot à deux ou à trois comme si nous partagions un verre. »

Dans ce contexte, il est difficile d’aborder un sujet politique dans des lieux publics au Burundi. Seuls les membres du CNDD-FDD peuvent se le permettre. Les chansons à la gloire du parti au pouvoir sont abondantes dans les bistrots, les salons de coiffure... Il est vrai que certains le font pour prouver leur loyauté. « Diffuser une chanson louant le CNDD-FDD ne signifie pas en être partisan. Ça c’est pour notre protection. Chez nous, on se sent en sécurité quand on essaie de montrer qu’on est membre du parti au pouvoir », explique un coiffeur du quartier de Kamenge, à Bujumbura, la capitale économique.

Un monopartisme qui ne dit pas son nom

D’autres ont choisi de se désintéresser de la politique. « Généralement, les partis politiques ne mettent pas en avant les projets de société. Ils cherchent plutôt à étouffer les autres formations politiques », déplore un étudiant de l’université de Bujumbura.

Malgré la reconnaissance officielle de 36 partis, les leaders politiques estimaient, avant que Rwasa soit mis à l’écart, que seuls quatre d’entre eux étaient réellement actifs sur le terrain : le CNDD-FDD et trois partis d’opposition, le Frodebu, l’Uprona et le CNL.

Pour le politologue Julien Nimubona, « le Burundi est déjà dans un régime de monopartisme »7. Il souligne la superposition entre le système démocratique et un régime militaire, qui renforce la mainmise du CNDD-FDD sur la scène politique. Le CNDD-FDD, une rébellion armée fondée en 1994 et transformée en parti politique en 2005, est à la tête du pays depuis près de deux décennies. À l’approche des élections de 2025, il semble déterminé à consolider son pouvoir au détriment de toute forme d’opposition.

Le CNDD-FDD, l’ex-rébellion devenue parti-État

C’est le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD), fondé en septembre 1994 et présidé alors par Léonard Nyangoma, qui a donné naissance au front politico-militaire dénommé CNDD-FDD le 20 mars 1998 – « FDD » signifiant « Forces de défense de la démocratie ». Deux mois après cette transformation, le président du parti a été destitué par Jean-Bosco Ndayikengurukiye. Par la suite, Nyangoma a continué sa carrière politique au sein du CNDD. À son tour, Ndayikengurukiye a été démis de ses fonctions le 15 octobre 2001 par un triumvirat composé de Pierre Nkurunziza, Hussein Radjabu et Adolphe Nshimirimana.

Le 6 janvier 2004, les FDD entrent officiellement dans l’état-major intégré (EMI) des Forces de défense nationale (FDN), le nom de la nouvelle armée nationale. Trois mois plus tard, le 16 mars 2004, une première unité mixte de protection des institutions qui comprend 60 % d’éléments issus des Forcées armées burundaises (FAB) et 40 % des FDD est créée conformément à l’accord de cessez-le feu du 16 novembre 2003 et au protocole de Pretoria du 8 octobre 2003, signés entre le gouvernement de transition et l’ex-mouvement rebelle CNDD-FDD. Les 7 et 8 août 2004, le troisième congrès du CNDD-FDD décide de transformer ce mouvement en parti politique. Celui-ci a été agréé le 13 janvier 2005 et il a gagné les élections législatives et présidentielle organisées cette même année.

1«  Safisha  » est un mot swahili qui signifie «  nettoyer  ». Ce plan mis en place par le CNND-FDD visait à éliminer les militants du FNL et d’autres partis d’opposition.

2Agathon Rwasa avait dit à la radio une semaine avant le scrutin qu’il se retirait des élections communales et législatives. Mais ses fidèles n’ont pas tenu compte de son appel au boycott et ont voté pour lui. Sa candidature avait en effet été maintenue par la Commission électorale nationale indépendante.

3Seuls trois partis ont atteint les 2 % des suffrages requis pour pouvoir siéger à l’Assemblée nationale : le CNDD-FDD avec 68,02 %, le CNL avec 22,43 % et l’Uprona avec 2,44 %.

4«  Nkurunziza Day  » est une journée de commémoration de la mort du président Pierre Nkurunziza (décédé en juin 2020). Elle coïncide avec la Journée nationale du patriotisme célébrée chaque 8 juin.

5Révérien Ndikuriyo fait ici référence au combat commun du CNDD-FDD et du FNL-Palipehutu d’Agathon Rwasa mené dans les années 1980-1990 pour le retour de la légalité constitutionnelle.

6Les Imbonerakure sont la ligue des jeunes du CNDD-FDD. Armés, ils organisent la répression contre les opposants en lien avec les services de renseignements.

7Fabrice Manirakiza, Pascal Ntakirutimana, «  Pr Julien Nimubona : “On ne tend pas vers le monopartisme, on y est déjà”  », Iwacu, 24 mai 2024.