
DANS L’ACTU
EN FRANCE, L’OPINION EST MOINS RACISTE ET XÉNOPHOBE QUE CERTAINS POLITIQUES ET MÉDIAS
Après une chute brutale en 2023, la tolérance des Français est repartie à la hausse en 2024, atteignant son 3e meilleur score depuis 1990. C’est la bonne nouvelle que publie la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) dans son 35e rapport annuel sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.
On pouvait craindre en 2024, dans le contexte politique national qui a fait plus que jamais de l’immigration le sujet principal et obsessionnel des débats, une nouvelle baisse de la tolérance envers les minorités et tout particulièrement envers les personnes de confession juives. C’était le cas l’année précédente « qui avait vu l’indice global de tolérance reculer de 3 points et envers la minorité juive de 4 points », écrivent les auteurs du rapport. Cette crainte paraissait d’autant plus fondée que les agressions antisémites, en hausse après le 7 octobre 2023, ont continué de progresser en 2024, avec 1 570 actes recensés en tout, écrit la CNCDH.
Mais l’enquête annuelle organisée dans le cadre du Baromètre de la CNCDH n’a pas confirmé ces craintes : « Au niveau des opinions, on observe plutôt une stabilité ou un recul des préjugés par rapport à l’an passé. »
L’indice longitudinal de tolérance utilisé pour mesurer les tendances est stable. Les événements au Proche-Orient continuent d’affecter les perceptions, nourries en France, au surplus, par une dynamique volontiers xénophobe. « Les attaques terroristes du 7 octobre 2023 perpétrées par le Hamas, ainsi que les opérations menées par Tsahal à Gaza avec leurs très nombreuses victimes civiles, ont eu des répercussions jusqu’en France ». Ces événements « se sont ajoutés à d’autres éléments contribuant à asseoir un climat défavorable à la diversité, à l’immigration et au multiculturalisme », estime la CNCDH.
Pourtant, l’immigration n’est citée comme l’un des deux problèmes les plus importants du pays que par 12 % des répondants, loin derrière le niveau de vie, le système de santé, la délinquance ou les inégalités sociales.
Si la situation paraît donc objectivement « inquiétante pour les droits des minorités en France, pour la lutte contre les discriminations ou contre les paroles et comportements racistes », la CNCDH se demande comment l’interpréter. Faut-il y voir « un basculement de l’ensemble de la population ou la libération de la parole et des actes d’une minorité ? » Le Baromètre y répond sur le plan des opinions. « Les résultats de l’indice longitudinal de tolérance de cette année confirment ce que nous avons montré ailleurs : il n’y a pas de montée de la xénophobie « en bas » ; en revanche, on constate un conservatisme d’atmosphère « en haut », notamment dans certains médias et de la part de certaines figures intellectuelles et politiques. »
D’ailleurs, plus de 75 % des Français considèrent qu’ « une lutte vigoureuse contre le racisme est nécessaire en France. » Or, dans le contexte politique agité et droitisé de la France d’aujourd’hui, le désengagement de l’Etat est plus flagrant que jamais. « Face à la recrudescence des actes racistes, la société française ne se résigne pas. Elle attend des actes de la part des autorités publiques. (...) Faire reculer le racisme sous toutes ses formes en France appelle une mobilisation sans faille de tout l’appareil d’État », estiment les auteurs du rapport.
Car les stéréotypes racistes persistent, dans une partie de la population. Ils restent « profondément ancrés pour certains groupes », les Roms par exemple, groupe le plus rejeté, perçus comme « à part » par 59 % de la population. Le Baromètre révèle aussi que les préjugés tendant à rendre la personne immigrée responsable des maux de la société, notamment de la situation économique et sociale et de l’insécurité, perdurent. « Les propos stigmatisants et discriminatoires tenus par certains responsables politiques et amplifiés par des médias d’opinion, y contribuent. »
Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, la hausse des actes racistes, en particulier antisémites, continue, à un niveau inédit depuis 1990. Les violences envers les personnes progressent également : +11 % de crimes ou délits racistes recensés par les forces de l’ordre (9 350, service statistique ministériel de la Sécurité intérieure) ; plus de 1 570 actes antisémites enregistrés, un chiffre presque aussi élevé qu’en 2023 (Direction nationale du renseignement territorial) ; +55 % de signalements en ligne sur la plateforme Pharos.
Ces chiffres sont par ailleurs bien en deçà de la réalité. Si 1,2 million de personnes de plus de 14 ans se déclarent chaque année victime d’au moins une atteinte à caractère raciste (enquête sur le vécu et le ressenti en matière de sécurité, décembre 2023), 97 % d’entre elles ne portent pas plainte. Pour la CNCDH, cette sous-déclaration est la conséquence « de la défiance envers les institutions, [de] la difficulté à porter plainte et [du] faible nombre de condamnations. »
La réponse judiciaire est quasi insignifiante, « bien en-deça des enjeux ». En 2023 [le ministère de la Justice n’a pas fourni de chiffres pour 2024], seulement 8 282 affaires ont été traitées par les parquets, en augmentation de 4 %, alors que le nombre d’actes enregistrés par le ministère de l’Intérieur progressait parallèlement de 32 %. 1 594 condamnations ont été prononcées, le classement sans suite, pour plus de 50 % des auteurs, demeurant bien supérieur au contentieux général.
Les discriminations restent impunies. En 2023, cinq condamnations seulement pour ce délit ont été prononcées. Pour la CNCDH, « la réponse pénale n’est pas à la hauteur des enjeux. » Logique, dans ce contexte, que les Français y voient la preuve de l’impunité des auteurs d’actes racistes et que les minorités s’estiment en insécurité.
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À LIRE
SIDA : QUAND PASTEUR PRATIQUAIT L’EXTRACTIVISME BIOMÉDICAL EN CENTRAFRIQUE
Le complotisme se nourrit généralement d’un fait réel. Celui-ci est ensuite amplifié, détourné puis instrumentalisé. Opération Bangui, promesses vaccinales en Afrique post-coloniale (Lux, collection Dossiers noirs) est un cas d’école en la matière. L’auteur, le sociologue et pharmacien Pierre-Marie David, rappelle combien l’idée selon laquelle les pays occidentaux ont réalisé secrètement des essais vaccinaux contre le Sida sur les Africains est répandue. Rien ne prouve à ce jour la véracité de telles allégations, mais il y a bien une « part de vérité » dans cette histoire et elle est tout aussi scandaleuse : dans sa course au vaccin contre le VIH, le célèbre Institut Pasteur a utilisé en toute opacité des prélèvements sanguins de Centrafricains.
Cet « extractivisme biomédical » – à la différence de l’extractivisme minier, ici « la matière première est un ensemble de corps anciennement colonisés et rendus disponibles pour la science », explique l’auteur – s’est mis en place au milieu des années 1980, au lendemain de la découverte du virus qui a fait à ce jour plus de 42 millions de victimes. L’Institut Pasteur qui, depuis la colonisation, possède un réseau dans toute l’Afrique francophone, va profiter de ce contexte post-colonial pour suivre l’épidémie. Puis l’idée d’utiliser les échantillons sanguins dont il dispose pour travailler sur un vaccin va germer dans l’esprit de quelques ambitieux chercheurs.
En Centrafrique, l’Institut Pasteur est techniquement particulièrement bien doté, notamment pour réaliser des manipulations qui nécessitent un haut degré de sécurité. Pendant la colonisation, c’est dans ce pays que le laboratoire français a découvert de nombreux virus prélevés sur la faune. Ce pays accueille aussi une importante base militaire française qui entretient des rapports étroits avec les soldats centrafricains qu’elle forme. Ces derniers seront les sujets privilégiés par Pasteur : dans les casernes, non seulement la population est disponible et disciplinée mais, de plus, la prostitution y est courante, ce qui favorise la propagation du virus.
L’Institut va prélever, stocker et analyser des milliers d’échantillons sanguins. Les autorités centrafricaines donnent un blanc-seing à cet extractivisme, Pasteur « offrant » en échange un suivi médical et des vaccinations contre d’autres maladies. Les militaires centrafricains et leurs visiteuses n’en sauront pas davantage. En coulisses, les scientifiques français vont mettre à profit cette base de données, n’hésitant pas à s’arranger avec la vérité sur la manière dont ils l’ont obtenue, c’est-à-dire sans le consentement éclairé des sujets. L’Organisation mondiale de la santé sera de son côté bienveillante avec Pasteur qui ne s’impliquera même pas dans la prévention, restant le spectateur muet de l’expansion du virus : en quelques années, la prévalence du Sida en Centrafrique va devenir l’une des plus fortes au monde. En 2022, elle atteignait encore 3,4 %, « soit le taux le plus élevé de la région occidentale et centrale » d’Afrique, selon l’Onusida.
Ce scandale n’a que peu secoué le monde médical : face aux interrogations de plus en plus pressantes et, surtout, face à l’échec des recherches, l’Institut Pasteur met fin à l’ « Opération Bangui » au milieu des années 1990, seulement quelques années après son démarrage. Le vaccin n’a jamais vu le jour. Et les milliers de prélèvements de Centrafricains et de Centrafricaines dorment toujours dans ses frigos.
À lire : Pierre-Marie David, Opération Bangui, promesses vaccinales en Afrique post-coloniale, Lux, dans la collection « Dossiers noirs » coanimée par Survie, en librairie depuis le 11 avril 2025, 176 pages.
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IN ENGLISH
« The bloodbath in Palestine is similar to those committed during colonisation in Africa »
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By Raouf Farrah
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