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Les « Afriques » de Frantz Fanon

Analyse · « Congénère », « sauvage de la brousse »… La perception de l’Afrique subsaharienne par le célèbre psychiatre et militant anticolonial martiniquais a évolué au fil de ses voyages, de ses rencontres et de ses rendez-vous manqués.

L'image en noir et blanc montre une scène de réunion dans un environnement intérieur, probablement une salle de conférence. Plusieurs hommes sont assis autour d'une table. Au premier plan, un homme est penché sur une feuille de papier, prenant semble-t-il des notes. Il est vêtu d'un costume sombre et d'une cravate, et semble concentré. À sa droite, un autre homme regarde vers le bas, tandis que les autres hommes en arrière-plan discutent ou examinent des documents. Sur la table, on peut voir des verres, des bouteilles, et quelques objets éparpillés. L'atmosphère semble sérieuse et studieuse, évoquant un moment important de collaboration ou de décision.
Frantz Fanon lors d’une conférence de presse du Congrès des écrivains à Tunis, en 1957.
© DR/Wikimedia

Martiniquais. Français. Algérien. Africain. Ces quatre adjectifs reflètent nos tentatives de rendre compte des multiples identités de Frantz Fanon, en les ancrant dans des appartenances ou des « citoyennetés » qui renvoient chacune à des espaces d’ordre différent : régional, continental, national, et insulaire qui correspondent plus ou moins à la chronologie de ses déplacements à travers le monde. Ces quatre adjectifs se combinent – plus ou moins heureusement – pour former ce que Patrick Chamoiseau a appelé dans un discours donné en 2011 au Congrès international d’addictologie « l’arbre relationnel de Frantz Fanon » : les branches d’un même tronc, d’un même corps, d’un même homme engagé dans un combat pour la dignité de l’homme noir et de tous les opprimés du monde entier, pour ne pas dire des damnés de la terre1.

Martiniquais de naissance et de culture première, Français troublé, d’une citoyenneté de seconde classe, Algérien ambassadeur d’une nation non encore advenue, et, finalement, Africain, il faut bien le dire « autoproclamé », dans la ferveur anticoloniale qui a animé ses rêves aussi bien que ses actions. Ces quatre adjectifs dessinent une géographie dont les points d’ancrage peuvent, et doivent être constamment relus dans leur complexité, y compris avec leurs limites et leurs paradoxes.

Pour sûr, on reconnaît dans cette géographie le fameux Atlantique noir théorisé par Paul Gilroy dans les années 1990, qui retrace à partir du voyage inaugural de l’Afrique – le fameux passage du milieu – toute une série de trajectoires transcontinentales constitutives de l’histoire du monde noir et de la diaspora, entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques2. Pour sûr, Frantz Fanon est une figure de l’Atlantique noir. Mais, tout aussi sûrement, on pourrait s’arrêter sur chacun des points et en extraire une géographique singulière : ainsi, on montrerait qu’il y eut dans la vie de Fanon non pas une mais des FranceS (Paris, l’Alsace, le sud de la France, la Normandie, Lyon, Saint-Alban, etc.), non pas une mais des AlgérieS et des TunisieS, et peut-être même des MartiniqueS.

S’il s’agit de penser Fanon l’Africain, de quelles Afriques parle-t-on ? Il est évident qu’il y a chez Fanon deux Afriques : l’Afrique du Nord, c’est-à-dire l’Afrique de l’Algérie, la Libye et la Tunisie dont il a un passeport, et l’Afrique dite noire, au sud du Sahara. Sur cette carte-là on trouve le Mali, le territoire qu’il arpente en tant qu’ambassadeur itinérant pour le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le Congo de Lumumba, et l’Afrique du Sud sous le système de l’apartheid de son vivant, dont il suit de près les sursauts historiques depuis Peau noire, masques blancs (Le Seuil, 1952). Idem pour Madagascar, l’île rebelle, de la grande insurrection anticoloniale de 1947 et de la terrible répression qui s’ensuivit.

« Disloquer le monde colonial »

Je suis bien consciente qu’en posant comme point de départ cette distinction entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne je reprends une séparation géopolitique extrêmement chargée et aujourd’hui contestée en tant que construction coloniale et idéologique3.

Ce découpage, notamment entre nord et sud du Sahara, a été souvent repris et contesté dans le discours panafricain. Je le reprends afin de le rapporter aux préoccupations qui animeront Fanon pendant toute sa vie, à savoir dénoncer la construction des catégories qui essentialisent l’homme noir, à commencer par la différence raciale, entre le noir et le blanc.

L’Afrique – les Afriques – que Fanon aborde au milieu du XXe siècle se présente comme le macrocosme de la ville coloniale décrite dans Les Damnés de la terre (Maspero, 1961) comme « monde compartimenté, ce monde coupé en deux, [et] habité par des espèces différentes » elles-mêmes fabriquées par l’idéologie coloniale. Il s’agira, écrira-t-il, de « disloquer le monde colonial » – ce qui « ne signifie pas qu’après l’abolition des frontières on aménagera des voies de passage entre les deux zones. Détruire le monde colonial c’est ni plus ni moins abolir une zone, l’enfouir au plus profonde du sol et l’expulser du territoire. » Tant dans sa pratique de militant que dans sa profession de médecin et dans ses essais, Fanon n’aura de cesse de ménager des passages mais, surtout, de manière radicale, d’abolir les lignes impériales de partage du monde, des hommes, de leurs territoires et de leurs corps.

« Le sauvage de la brousse »

On a largement commenté la manière dont Fanon démonte dans Peau noire, masques blancs les mécanismes de la construction binaire de l’altérité raciale, ou ce qu’il appelle la « fixation » du Noir comme noir par le Blanc. Ce qui m’intéresse plus précisément concernant le rapport de ce sujet noir à l’Afrique est une autre proposition de Fanon, qui complique le schéma précédent en cassant la binarité Noir/Blanc tout juste posée. En effet, lorsque Fanon énonce que « le Noir a deux dimensions, l’une avec le Blanc, l’autre avec ses congénères », il introduit un tiers terme quelque peu énigmatique, et dont l’essai révélera effectivement la fluidité. Qui est ce « congénère » ?

Étymologiquement défini comme « celui qui appartient à la même espèce », « congénère » renvoie chez Fanon au compatriote : ce sera, nous disent les chapitres successifs de Peau noire, masques Blancs, l’Antillais (le Martiniquais) qui se pavane en ville de retour de France, mesurant sa supériorité auprès du cousin à qui il exhibe les signes de son « évolution ». Ou l’Antillaise, telle Mayotte Capecia dans le deuxième chapitre, « La femme de couleur et le blanc » ; ou encore le petit-bourgeois antillais que Fanon sait si bien mettre à mal dans ses écrits. Mais il existe un « autre Noir » plus déterminant encore dans le processus d’aliénation, celui qui sert à mesurer encore plus efficacement les rapports de proximité/distance d’avec le Blanc : c’est l’Africain. Je ne veux pas dire l’étudiant africain rencontré à Paris, mais un Africain dont la force fantasmatique est considérable : il s’agit du « sauvage ».

Dans l’introduction à Peau noire, masques blancs, Fanon commence par annoncer qu’il ne parlera que des Antillais. On sait aussi qu’il reviendra sur cette affirmation et reconnaîtra que l’étude s’étend nécessairement à d’autres sujets noirs. En revanche, dans cette même préface, Fanon fait cette déclaration étonnante : « Le “sauvage de la brousse” n’est pas envisagé ici. C’est que, pour lui, certains éléments n’ont pas encore de poids. »

Une « brousse » associée au Sénégal

La formule surprend. Il y aurait donc, en bas de l’échelle des congénères, un sujet « absent » dont la condition en tant que noir n’est pas (encore) pertinente à l’étude, en tout cas pas au début des années 1950. Comme un blind spot, une troublante mise à l’écart du « sauvage de la brousse » de la part de Fanon. Mise à l’écart de l’histoire des opprimés ? De la grande marche de l’Histoire ?

Rien n’est plus faux. Le sauvage de la brousse, comme je vais le montrer, hante tout le texte comme un « autre » spectral, signe et signal d’une Afrique endormie : les ténèbres4. Le « nègre de la brousse » est donc situé dans un espace autre. Ce n’est pas le bled algérien ni les villages du Mali que Fanon découvrira plus tard lors de ses missions. La brousse est le lieu du pur sauvage, celui des Tarzan de la bibliothèque coloniale de Fanon, lieu aussi de la sexualité débordante et des excès de toutes sortes, y compris le cannibalisme. Cette brousse est souvent associée dans le texte de Fanon à un pays précis, le Sénégal. Dans Peau noire, masques blancs, le terme « tirailleurs » revient quatorze fois, le mot « Sénégalais » trente-deux fois.

Fanon confesse (souvent dans de longues notes en bas de page) avoir passé des heures dans sa jeunesse à lire des histoires de « sauvages » sénégalais. Il se rappelle un professeur de mathématiques partageant des histoires de tirailleurs, cela les faisait, dit-il, « frissonner ». Un jour, son père ramène à la maison deux tirailleurs sénégalais venus de Guyane. La visite déclenche une excitation générale, semblable à la visite d’un zoo humain. Il est clair toutefois que les deux mondes, antillais et africain, doivent demeurer radicalement distincts, l’Africain doit être construit comme Autre.

« Effacer le rire Banania »

L’aliénation, pour Fanon, consiste alors dans un double geste : se rapprocher du Blanc en s’éloignant du « sauvage de la brousse ». En se distinguant de cet autre Noir, dont il ne faut surtout pas rappeler la parenté. À la hantise d’être interpellé comme Noir, en France par exemple, s’ajoute celle d’être confondu avec le sauvage. Ce serait bien, dit Fanon, un drame : « Quel drame, si tout à coup l’Antillais était pris pour un Africain ! » On relit donc la célèbre scène de l’interpellation5 « Maman, regarde le nègre, j’ai peur ! », comme ce que j’appellerai le drame d’une méprise. On le méprise et il y a méprise. Le drame est précisément qu’on prenne un Antillais pour un tirailleur, en lui parlant petit-nègre, en lui renvoyant l’image de Banania, alors qu’il est sujet des vieilles colonies.

« Effacer le rire Banania », comme disait Léopold Sédar Senghor, ce sera pour l’Antillais effacer précisément le « sauvage de la brousse », couper le lien entre l’Antillais évolué et cet autre Noir, voué à l’effacement, sommé par le texte de demeurer en dehors de l’Histoire et de la modernité. Pour s’en convaincre je renvoie à un autre moment d’interpellation. Cette fois, Fanon imagine un ivrogne qui le hèle, dans quelque espace public de la Métropole :

Mais il faut aller plus bas. Vous êtes au café, à Rouen ou à Strasbourg, un vieil ivrogne par malheur vous aperçoit. Vite, il s’assied à votre table : « Toi Africain ? Dakar, Rufisque, bordels, femmes, café, mangues, bananes... » Vous vous levez et vous partez ; vous êtes salué d’une bordée de jurons : « Sale nègre, tu ne faisais pas tant l’important dans ta brousse ! »

Dakar, Rufisque… Les villes, ici, nomment la méprise : le vieux Français blanc le prend pour un tirailleur dit « sénégalais », assimilé ici à « la brousse ». Et, effectivement, d’autres moments dans le texte confirment que dans l’imaginaire Antillais le sauvage n’est pas seulement en Afrique, il est précisément au Sénégal :

Quand, à l’école, il lui arrive de lire des histoires de sauvages, dans des ouvrages blancs, il pense toujours aux Sénégalais. Étant écolier, nous avons pu discuter pendant des heures entières sur les prétendues coutumes des sauvages sénégalais. Il y avait dans nos propos une inconscience pour le moins paradoxale. Mais c’est que l’Antillais ne se pense pas Noir ; il se pense Antillais. Le nègre vit en Afrique.

« Ta brousse » : là où les racistes le somment de retourner, le cœur des ténèbres fantasmées par l’Europe. Évidemment, une des révélations du Noir en France est qu’il se rend compte qu’en fait la méprise n’est ni un accident ni une anecdote : elle signale un drame fondamental dans « l’expérience vécue du Noir » telle qu’analysée par Fanon. Dans ce monde où le Noir doit composer, dans le processus de reconnaissance ontologique, avec les deux dimensions cruciales : l’une avec le Blanc, l’autre avec le congénère. En tant que sujet des vieilles colonies, l’Antillais de Fanon (l’Antillais qu’est Fanon) imaginait occuper une place distincte dans le monde et dans l’imaginaire blanc. Or, conclut Fanon : « […] Or, c’est un nègre. Mais cela, il le découvrira en Europe, quand on lui parlera de Nègres il saura qu’on parle de lui aussi bien que du Sénégalais6. »

Contre « l’Afrique des poètes »

À la fin des années 1950, la mission de Fanon en tant qu’ambassadeur de la République algérienne est de consolider une fraternité avec les leaders de la décolonisation en Afrique subsaharienne7. Je dirais qu’il se joue aussi une autre « mission de reconnaissance », au niveau ontologique et identitaire, qui est la réconciliation avec cet autre Noir. C’est-à-dire l’abolition de la ligne de partage si douloureusement ressentie par Fanon lorsqu’il était aux côtés des tirailleurs avec le 5e bataillon martiniquais8. Encore une ligne de partage qui le hante. Il y a, d’un côté, la fraternité militante qui le rapproche des autres évolués, les Lumumba, Moumié, Nkrumah, qu’il rencontre lors de ses missions et congrès. Plus intimement, je crois, il y a ce désir qui l’anime de rétablir le lien avec ce sauvage de la brousse. Il s’agit, en Afrique subsaharienne, de reconstruire une autre forme de fraternité. C’est-à-dire aller à la rencontre de l’autre Noir et se faire Africain dans une fraternité humaniste qui abolirait le spectre du sauvage, ou au moins lui ferait place.

En ce sens, le Ghana devient crucial dans la topographie fanonienne. Espace anglophone, choisi et non subi, le Ghana est aussi l’alternative au Sénégal, où, pour beaucoup, la fraternité de Senghor n’a rien de révolutionnaire, et où beaucoup voient dans le fameux « rendez-vous du donner et du recevoir » une politique d’acquiescement. Le Ghana devient à partir de la fin des années 1950 un nouveau centre, anglophone, à partir duquel la ligne de partage impériale peut être abolie. Le Ghana éloigne radicalement Fanon du centre européen, l’éloigne de l’Afrique dite « blanche », de la Méditerranée et de l’Atlantique, au profit du désert. Ainsi s’exprime le Fanon de 19609 :

Abolir le désert, le nier, rassembler l’Afrique, créer le continent, que du Mali s’engouffrent sur notre territoire des Maliens, des Sénégalais, des Guinéens, des Ivoiriens, des Ghanéens et ceux du Nigeria, du Togo, grimpent les pentes du désert et déferlent sur le bastion colonialiste, prendre l’absurde et l’impossible à rebrousse-poil et lancer un continent à l’assaut des derniers remparts de la puissance coloniale.

« Prendre l’absurde et l’impossible à rebrousse-poil » : Les Afriques transnationales de Fanon dessinent une solidarité continentale, bâtie sur un défi, celui de reconnecter les territoires et les peuples envers et contre la géographie coloniale. « Abolir le désert » devient le mot d’ordre d’un projet panafricain de reconfiguration géopolitique du continent, en contraste radical avec ce que Fanon appelle (avec au passage une petite pique à Senghor) « l’Afrique des poètes ».

Chez Fanon, avant de retraverser l’Atlantique noir, deux niveaux de contacts avec l’Afrique se conjuguent : d’un côté les exigences nationalistes de l’Algérie, au nord, à laquelle il a dédié sa vie. De l’autre se dessine une ambition panafricaine et universaliste dans laquelle Fanon envisage un futur souverain impliquant le continent de l’Algérie à l’Afrique du Sud et, ce faisant, fédérant les luttes anticoloniales à la faveur de solidarités essentielles.

Lumumba, Moumié… les rendez-vous manqués de Fanon

Mais je reste frappée par le fait que la rencontre de l’autre Africain demeure marquée par une série de « ratages ». J’utilise à dessein ce terme car il fait partie du lexique fanonien. Certes, l’indigénéité est rencontrée en Algérie. Mais quid du « sauvage de la brousse » ? Alors que Fanon l’ambassadeur panafricain arpente le continent à la fin de sa vie, cette même période est marquée par une série de rendez-vous manqués, notamment avec l’Afrique centrale, qu’il n’atteindra jamais10. Je pense à la fraternité amorcée, puis manquée avec le Congolais Patrice Lumumba, dont le chemin bifurque tragiquement lors de la crise congolaise ; je pense à l’ami Félix Moumié, le leader indépendantiste camerounais, assassiné par les services secrets français en automne 1960, à quelques semaines d’un rendez-vous avec Fanon ; à l’autre ami, Holden Roberto l’Angolais, le Bakongo de l’Afrique centrale et qui se révèle « suppôt » – comme on disait à l’époque – de l’impérialisme états-unien.

Et, finalement, si le Sénégal était omniprésent dans son imaginaire de jeunesse et dans Peau noire, masques blancs, il ne trouvera pas sa place dans la topographie militante de Fanon, alors même que Dakar aurait pu être une première destination africaine pour Fanon, comme la ville africaine de ses rêves de jeune homme. Fanon, nous disent ses biographes, avait écrit à Senghor en 1953 pour lui demander de lui trouver un emploi. La requête serait restée sans réponse.

Alors, puisque le Sénégal ne répond pas, le jeune médecin partira travailler en Afrique du Nord, où il deviendra à partir de sa nomination à Blida : Fanon l’Algérien. Aura-t-il atteint la brousse, ou l’aura-t-il, malgré ses efforts, reléguée aux marges de l’Histoire, avec ses sauvages ? Comme la lettre à Senghor restée sans réponse, le « sauvage de la brousse » de Peau noire, masques blancs, et avec lui peut-être la « vraie » destination africaine de Fanon, demeure en souffrance.

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1Patrick Chamoiseau, «  Fanon, côté cœur, côté sève  », dans «  Discours en hommage à F. Fanon  » (présenté au Congrès international d’addictologie, Fort-de-France, 2011). Texte complet disponible ici.

2Paul Gilroy, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness (Harvard University Press, 1993).

3Pour rappel, les théories tristement célèbres de Hegel, au début du XIX siècle, sur l’an-historicité de l’Afrique reposent sur un découpage non seulement du monde mais aussi du continent africain lui-même en trois parties conçues comme trois continents séparés, qui opposent justement l’Afrique méditerranéenne et européenne au Nord, le bassin du Nil, qu’il rattache à l’Asie, et enfin, au sud du Sahara, «  l’Afrique proprement dite  », lieu de barbarie et de sauvagerie, où «  il ne peut y avoir d’histoire proprement dite  ».

4L’écrivain Joseph Conrad situe le «  cœur des ténèbres  » en Afrique équatoriale, précisément le long de la rivière Congo.

5La scène de l’enfant terrorisé à la vue d’un Noir dans l’espace public français, rapportée par Fanon dans le chapitre «  L’expérience vécue du Noir  » de Peau noire, masques blancs, est devenue emblématique du racisme ordinaire et de la déshumanisation du Noir par le regard blanc en Europe.

6Fanon reviendra sur l’évolution historique de ces rapports de proximité/distance avec l’Afrique dans un court essai faisant suite à Peau noire, masques blancs, publié en 1955, Antillais et Africains, Esprit (1940-), no 223 (2), 1955, pp. 261–269.

7Sur les voyages «  africains  » de Fanon voir le chapitre 4, «  Create the Continent  », de The Rebel’s Clinic, de Adam Shatz, ainsi que le chapitre «  The Year of Africa  » dans la biographie de Macey.

8Durant la Seconde Guerre mondiale, les Antillais du Bataillon de marche des Antilles n° 5 des FFL, dans lequel Fanon s’est engagé en 1943, sont traités comme des Français métropolitains et séparés des soldats africains des unités coloniales.

9Frantz Fanon, Pour La Révolution africaine. Écrits politiques, La Découverte, 2006.

10Par contraste, la trajectoire de l’Antillais René Maran (que Fanon connaît bien puisqu’il base le troisième chapitre de Peau Noire, masques blancs sur le roman de Maran Un homme pareil aux autres) s’inscrit, elle, au sud de la géographie fanonienne. René Maran, fonctionnaire en Oubangui-Chari pendant des années, fera de «  la brousse  » de l’Afrique équatoriale son univers africain de prédilection. Voir ses autres textes, Batouala (1921), et Le Livre de la brousse (1934).

11Patrick Chamoiseau, «  Fanon, côté cœur, côté sève  », dans «  Discours en hommage à F. Fanon  » (présenté au Congrès international d’addictologie, Fort-de-France, 2011). Texte complet disponible ici.

12Paul Gilroy, The Black Atlantic. Modernity and Double Consciousness (Harvard University Press, 1993).

13Pour rappel, les théories tristement célèbres de Hegel, au début du XIX siècle, sur l’an-historicité de l’Afrique reposent sur un découpage non seulement du monde mais aussi du continent africain lui-même en trois parties conçues comme trois continents séparés, qui opposent justement l’Afrique méditerranéenne et européenne au Nord, le bassin du Nil, qu’il rattache à l’Asie, et enfin, au sud du Sahara, «  l’Afrique proprement dite  », lieu de barbarie et de sauvagerie, où «  il ne peut y avoir d’histoire proprement dite  ».

14L’écrivain Joseph Conrad situe le «  cœur des ténèbres  » en Afrique équatoriale, précisément le long de la rivière Congo.

15La scène de l’enfant terrorisé à la vue d’un Noir dans l’espace public français, rapportée par Fanon dans le chapitre «  L’expérience vécue du Noir  » de Peau noire, masques blancs, est devenue emblématique du racisme ordinaire et de la déshumanisation du Noir par le regard blanc en Europe.

16Fanon reviendra sur l’évolution historique de ces rapports de proximité/distance avec l’Afrique dans un court essai faisant suite à Peau noire, masques blancs, publié en 1955, Antillais et Africains, Esprit (1940-), no 223 (2), 1955, pp. 261–269.

17Sur les voyages «  africains  » de Fanon voir le chapitre 4, «  Create the Continent  », de The Rebel’s Clinic, de Adam Shatz, ainsi que le chapitre «  The Year of Africa  » dans la biographie de Macey.

18Durant la Seconde Guerre mondiale, les Antillais du Bataillon de marche des Antilles n° 5 des FFL, dans lequel Fanon s’est engagé en 1943, sont traités comme des Français métropolitains et séparés des soldats africains des unités coloniales.

19Frantz Fanon, Pour La Révolution africaine. Écrits politiques, La Découverte, 2006.

20Par contraste, la trajectoire de l’Antillais René Maran (que Fanon connaît bien puisqu’il base le troisième chapitre de Peau Noire, masques blancs sur le roman de Maran Un homme pareil aux autres) s’inscrit, elle, au sud de la géographie fanonienne. René Maran, fonctionnaire en Oubangui-Chari pendant des années, fera de «  la brousse  » de l’Afrique équatoriale son univers africain de prédilection. Voir ses autres textes, Batouala (1921), et Le Livre de la brousse (1934).