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La France et le génocide des Tutsis

Hubert Védrine, le bâillon en bandoulière

Enquête · Depuis trente ans, l’ancien secrétaire général de l’Élysée multiplie les actions en justice mais aussi les interventions médiatiques dès lors qu’il est mis en cause dans la gestion du dossier rwandais en 1994. Invoquant les travaux de révisionnistes, interprétant l’histoire à sa façon, il n’hésite pas à lancer de fausses accusations contre des journalistes.

L'image montre un homme au centre, en train de réfléchir, avec une main posée sur son menton. Il porte des lunettes et un vêtement sombre, se tient devant deux microphones. À gauche, on voit une photo en noir et blanc d'un homme en costume, tandis qu'à droite, une autre photo montre un homme portant des lunettes avec un signe distinctif, également en noir et blanc. L'arrière-plan est d'un bleu profond, ce qui met en valeur les figures autour de l'homme central, qui semble pensif et préoccupé.
François Mitterrand, Hubert Védrine et Paul Kagame.
© DR/Afrique XXI

Costume et cravate sombres, chemise bleu ciel, lunettes rectangulaires à bords épais sur le bout du nez et aplomb caractéristique : ce 25 mars, devant les juges de la 17e chambre du tribunal de Paris, Hubert Védrine affirme ne pas avoir « une doctrine de poursuite » mais que « trop, c’est trop », raison pour laquelle il attaque pour « complicité de diffamation publique envers particulier » le journaliste Patrick de Saint-Exupéry. De quoi s’agit-il ? Le 3 mars 2021, invité dans l’émission À l’air libre du journal Mediapart pour la sortie de son livre La Traversée (Les Arènes), l’ancien reporter du Figaro, l’un des premiers journalistes à avoir mis en cause la France dans le génocide des Tutsis, qui a fait près de 1 million de morts entre le 6 avril et le 15 juillet 1994, s’en prend violemment à l’ancien secrétaire général de l’Élysée (de 1991 à 1995).

Selon Patrick de Saint-Exupéry, Hubert Védrine est un « négationniste », qu’il compare à Robert Faurisson (négationniste de la Shoah). Il lui reproche de relayer depuis trente ans la thèse du « double génocide ». Pour lui, les propos de l’ancien ministre sont même comparables à ceux de Théoneste Bagosora, le « cerveau » du génocide qui a nié son existence durant son procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), admettant du bout des lèvres « des massacres excessifs ». La thèse du double génocide, interrogée dès novembre 1994 par François Mitterrand1, entend minimiser celui, avéré, perpétré contre les Tutsis au Rwanda, en invoquant d’autres massacres dans l’est du Congo qui auraient fait 3 à 4 millions de morts depuis 1994. En d’autres termes, si génocide des Tutsis il y a eu, un génocide des Hutus aurait également eu lieu.

Le génocide dans l’est du Congo n’a jamais été prouvé2. Mais pour Hubert Védrine, « l’histoire est une révision permanente », comme il l’a affirmé devant les sénateurs français en 20203. Il ne nie jamais le génocide des Tutsis – ou « le génocide rwandais », comme l’a qualifié ce 25 mars son avocat, Michel Pitron, flirtant lui aussi avec la même thèse (parlerait-on ainsi de la Shoah en invoquant un « génocide allemand » ?). Mais il interroge en permanence la « qualification » des massacres en RD Congo. S’il se défend de relayer la thèse du double génocide, il refuse aussi de la condamner parce que, dit-il, « je ne suis pas juge » et « je n’ai pas les éléments » pour qualifier les massacres au Congo. La porte est toujours laissée ouverte.

« L’autorité à qui l’information sur le Rwanda doit parvenir »

Minimiser son pouvoir en 1994 est un autre point de la stratégie de l’ancien secrétaire général de l’Élysée pour se décharger de toute responsabilité. Il était pourtant le deuxième destinataire des télégrammes après le président de la République (« PR2 », « PR1 » étant le chef de l’État) et était « identifié comme l’autorité à qui l’information sur le Rwanda doit parvenir », écrit l’historien Vincent Duclert dans La France face au génocide des Tutsi. Le grand scandale de la Ve République (Taillandier, 2024). Et, contrairement à ce qu’il a affirmé devant les juges le 25 mars, les procédures qu’il a intentées ou dans lesquelles il apparaît ne sont pas rares. Depuis trente ans, le gardien du temple mitterrandien (il a été le président de l’Institut François-Mitterrand de 2003 à 2022) se fait le défenseur permanent de la politique française au Rwanda, écrivant aux rédactions, appelant les patrons de journaux, demandant des droits de réponse ou attaquant en justice les voix qui le mettent en cause.

En 2019, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin (de 1997 à 2002) avait attaqué l’humanitaire et militante socialiste Annie Faure. Cette année-là, sur France Info, la pneumologue, présente au Rwanda en 1994 avec l’ONG Médecins du monde, avait accusé Hubert Védrine d’avoir «  accepté ou fermé les yeux » sur la livraison d’armes aux génocidaires pendant le génocide et elle avait interrogé « la complicité » des responsables socialistes de l’époque dans le drame rwandais. Quelques jours plus tard, invité sur France Inter pour un tout autre sujet, Hubert Védrine avait répondu à Annie Faure et déclaré se réserver « la possibilité d’en tirer toutes les conséquences ». Convaincus de la bonne foi de la docteure, les juges ont débouté l’ancien diplomate en mai 2023. Il n’a pas fait appel et martèle, depuis, que le tribunal a conclu à une erreur de jugement d’Annie Faure – ce qui l’exonérerait de toute responsabilité.

Quelques semaines avant ce verdict, le 13 mars 2023, la question des livraisons d’armes par la France était au cœur d’une autre audience devant le tribunal de Paris, sur laquelle l’ombre d’Hubert Védrine planait déjà. Les journalistes Benoît Collombat (cellule d’investigation de Radio France) et Laurent Larcher (La Croix) étaient poursuivis par Guillaume Victor-Thomas, un ancien employé de la société Spairops, soupçonnée d’avoir acheminé des armes aux génocidaires en août 1994 avec des avions de l’armée française pendant l’opération Turquoise4. Les deux journalistes avaient publié les propos d’un humanitaire qui soutient avoir été le témoin de ces livraisons et avoir recueilli les confessions du salarié de Spairops.

Védrine juge « importants » les travaux d’un révisionniste

Hubert Védrine n’était pas présent physiquement à l’audience mais il a été entendu via une attestation fournie par l’avocat de l’accusation, Nicolas Salomon. Dans celle-ci, l’ancien secrétaire général de l’Élysée est questionné sur sa connaissance des ventes d’armes de la France en 1994 : « Je n’ai eu connaissance d’aucune livraison d’armes de l’État français aux FAR [Forces armées rwandaises, NDLR] pendant le génocide  », affirme-t-il dans ce document. Interrogé par Afrique XXI sur cette attestation (à l’initiative de qui a-t-elle été produite ? Quand et comment Guillaume Victor-Thomas et/ou son avocat ont-ils été en contact avec M. Védrine ?), Nicolas Salomon n’a pas souhaité répondre. Hubert Védrine explique à Afrique XXI avoir « reçu les questions » à son bureau et « y avoir répondu, tout simplement ».

Lors de ce procès, à l’issue duquel Guillaume Victor-Thomas a été débouté (il n’a pas fait appel non plus), la défense de ce dernier avait fait venir un autre témoin, Charles Onana. Ce polémiste franco-camerounais, considéré par de nombreux observateurs et médias comme un révisionniste (comme ici et ici), a été mis en examen en 2022 pour contestation publique de l’existence de crime contre l’humanité dans des écrits sur le génocide des Tutsis. En octobre 2019, sur la chaîne d’information LCI, l’auteur avait déclaré que « entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsis, ni contre quiconque5 ». Plus récemment, en mars, après avoir donné une série de conférences en RD Congo, il a été accusé par l’organisation congolaise Collectif contre le racisme d’« exacerber la haine ethnique, le rejet de l’autre et la légitimation de la remise en cause de la citoyenneté congolaise dont les membres de la minorité tutsie congolaise sont déjà victimes depuis plusieurs années et qui se sont amplifiés ces dernières années ». Ses ouvrages controversés sont pourtant cités par Hubert Védrine comme des références.

Dans un courrier envoyé à Afrique XXI le 3 novembre 2023, après la publication d’un article critiquant son omniprésence dans les médias français en dépit de son rôle dans le dossier rwandais, il qualifie le travail d’Onana sur la thèse de l’agression du FPR, qui serait le principal responsable du déclenchement du génocide, de « très important ». Les livres du Franco-Camerounais y sont cités parmi une quarantaine d’autres sources. Dans ce courrier, il affirme :

Des dizaines d’articles et de livres dans le monde entier, y compris écrits par des Africains, des Anglais ou des Américains, ont parfaitement analysé la stratégie du président Kagame en attaquant en 1990, pour reprendre le pouvoir perdu en 1962, au prix du déclenchement d’une guerre civile. On sait que les autorités de Kigali ont tout fait pour que ces nombreux livres ne soient pas lus en déclenchant pour cela une campagne pour les accuser de « négationnistes ». C’était évidemment faux, puisqu’aucun de ces livres n’a jamais nié le génocide.

Il ne fournit aucune preuve sur le supposé interventionnisme rwandais pour empêcher la lecture des livres de Charles Onana. Sollicité sur ce point, Hubert Védrine affirme « que cette lecture ressort à l’évidence des nombreuses interviews données par le président Kagame sur ce sujet – notamment à Jeune Afrique – et à l’autorité qui lui a été longtemps prêtée. Ainsi que les rapports commandés par le pouvoir rwandais (Mucyo et Muse) ». Une « lecture » qui « à l’évidence » ne repose sur rien de sûr ni de concret.

« Je l’ai survolé »

Cette « sélection de livres et d’articles parus dans plusieurs pays du monde pour comprendre objectivement le drame du génocide rwandais et la politique française de 1990 à 1993 et en 1994, auxquels les médias français ne se réfèrent presque jamais, ou qu’ils boycottent » (l’emploi du terme « génocide rwandais » et non « des Tutsis » interroge encore), fait la part belle aux auteurs et autrices soupçonnées de révisionnisme ou soutenant la thèse du double génocide. Après avoir cité Charles Onana, Pierre Péan (Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda 1990-1994, Fayard, 2014) et le rapport Mapping de l’ONU6, tous ces ouvrages tendant à prouver qu’il y a eu des massacres de masse en RD Congo – voire un génocide, comme le suggère le titre du dernier livre d’Onana également cité par Hubert Védrine, Holocauste au Congo. L’Omerta de la communauté internationale (L’Artilleur, 2023) –, Védrine cite le livre de Patrick de Saint-Exupéry pour décrédibiliser le journaliste qui, selon lui, « affirme qu’il n’y a pas eu de massacres en RDC ».

Dans La Traversée (Les Arènes, 2021), Patrick de Saint-Exupéry confronte régulièrement son enquête à divers rapports de chercheurs et d’ONG. S’il met en doute l’étendue des massacres, il n’en conteste pas totalement l’existence7 « Effectivement, Patrick de Saint-Exupéry ne nie pas totalement les massacres », admet Hubert Védrine à Afrique XXI.

Kigali (Rwanda), janvier 2002. À droite, Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, avec son homologue britannique, Jack Straw, et Paul Kagame, président du Rwanda.
Kigali (Rwanda), janvier 2002. À droite, Hubert Védrine, alors ministre des Affaires étrangères, avec son homologue britannique, Jack Straw, et Paul Kagame, président du Rwanda.
© Quai d’Orsay

Hubert Védrine a une lecture très sélective et confie « ne pas pouvoir tout lire », y compris les livres des auteurs qu’il attaque en justice. La Traversée, dont Patrick de Saint-Exupéry faisait la promotion quant il a tenu les propos qui lui valent aujourd’hui d’être poursuivi (le verdict est attendu le 14 mai) ? « Je l’ai survolé », a-t-il admis le 25 mars au tribunal de Paris. Le livre n’a fait l’objet d’aucune plainte alors que de longs passages accusent l’ancien ministre de propager la thèse du double génocide8, ce que n’a pas manqué de relever l’avocat de Mediapart (le journal est poursuivi par ricochet), Emmanuel Tordjman. Et qu’en est-il du livre de l’ancien officier français, Guillaume Ancel (Rwanda, la fin du silence. Témoignage d’un officier français, Les Belles Lettres, 2018), qu’il a également poursuivi en 2023, pour un post de blog dans lequel il parle de « complicité » (l’ancien militaire a perdu son procès et n’a pas fait appel) ? « Je ne l’ai pas lu  », a-t-il répondu à Laurent Larcher dans Rwanda, ils parlent. Témoignages pour l’histoire (Le Seuil, 2021, p. 673).

Des allégations sans preuve

Lors de notre enquête, plusieurs journalistes ont confié avoir été la cible des interventions quasi systématiques d’Hubert Védrine dès qu’un article le cite ou le met en cause. Ses droits de réponse sont réguliers, jusqu’à très récemment : en juillet 2021, dans Mediapart, après une interview de l’auteur franco-rwandais Gaël Faye, ou encore en juillet 2023, dans Libération, après un article sur le procès d’Annie Faure. Il sait aussi s’ingérer de manière plus directe. Dans Ils parlent, Hubert Védrine se vante d’avoir « pas mal de copains dans les médias » et de parler avec eux des accusations dont il est l’objet par certains journalistes, « avec Joffrin [directeur de la rédaction de Libération de 2014 à 2020, NDLR], par exemple, sur Malagardis [Maria Malagardis, journaliste à Libération, NDLR], ou des gens du Monde », détaille-t-il (p. 692).

© Afrique XXI
© Afrique XXI

Son interventionnisme peut aller jusqu’à inventer des faits qui n’ont jamais existé pour porter atteinte à la réputation des journalistes. Dans une lettre datée du 20 mai 2021 adressée à Jean-Baptiste Naudet, journaliste au Nouvel Obs, Hubert Védrine réagit à un article paru le 29 avril 2021 dans l’hebdomadaire, intitulé : « Rwanda. Le génocide et les non-dits français ». Expliquant qu’il ne « partage pas du tout le point de vue général de l’Obs sur la tragédie rwandaise » et revenant sur ses marottes habituelles (l’aide militaire de la France de 1990 à 1993 a permis les accords de paix d’Arusha et non le génocide, l’opération Turquoise a été retardée à cause de l’ONU, ou encore le rapport Duclert « ne peut certainement pas être considéré comme ayant établi une vérité historique »…), il porte ensuite une charge virulente contre Laurent Larcher et son livre, Ils parlent  – « qui n’est pas fiable », selon lui :

Laurent Larcher, dont vous citez un ouvrage de 2019, il a toujours, comme Madame Malagardis et quelques autres journalistes, présenté une analyse de cette tragédie exactement conforme à celle du régime de Kigali depuis le rapport Mucyo de 2008. Le président Kagame les a d’ailleurs reçus pour les remercier.

Interrogés par Afrique XXI, Laurent Larcher et Maria Malagardis (qui a interviewé plusieurs fois le chef de l’État rwandais) démentent avoir été reçu par Paul Kagame « pour les remercier ». Également sollicité, le porte-parolat du gouvernement rwandais confirme que ce n’est « jamais arrivé ». D’où proviennent ces allégations ? Sur quelles preuves reposent-elles ? Joint à son tour, Hubert Védrine a fait parvenir cette réponse :

[…] J’avais vraisemblablement en tête la réception organisée par Vincent Duclert au Peninsula le mardi 18 mai 2021 lors de la visite en France du président Kagame à laquelle était invitée Maria Malagardis (on m’avait dit également que Larcher avait été invité mais je n’en ai pas retrouvé la trace) et le compte-rendu chaleureux que le Général Jean Varret avait donné de cette rencontre dans La Croix : “Paul Kagame était content de nous rencontrer.” “Il nous a parlé près d’une heure en anglais. Il nous a remerciés d’être des Français qui, à l’époque, l’avons aidé. Il nous a tous cités.”

Laurent Larcher confirme à Afrique XXI ne pas avoir été convié à cette rencontre qui réunissait plusieurs militaires français : « Cette réponse [d’Hubert Védrine] me semble d’une légèreté déconcertante. Dans cette lettre envoyée à L’Obs, avec l’entête de l’Institut François-Mitterrand, ce qui appuie une certaine autorité, il avance des choses qui ne sont pas vraies. Le but est clairement de me nuire et de nuire à mon travail, de me décrédibiliser auprès de mes confrères. » Et de conclure : « À-t-il entrepris la même démarche auprès d’autres confrères qui ont cité mes travaux ? » De son côté, Maria Malagardis rappelle que sa présence avait un objectif journalistique, « je m’y suis rendue pour en faire un article, pas pour être remerciée par le président rwandais », précise-t-elle indignée, estimant « diffamatoires » ces accusations portées contre sa probité professionnelle.

« Il faut oublier »

Les attaques d’Hubert Védrine laissent des traces. Pendant quatre ans, Annie Faure explique n’avoir « pensé qu’à ça » tous les jours. Et, lors du procès, elle raconte s’être sentie « rabaissée en permanence ». Son avocat, Antoine Comte, se souvient : « Il n’a jamais explicitement dit les choses mais il a eu une attitude extrêmement paternaliste. C’est comme s’il estimait que ma cliente était trop sensible pour comprendre des décisions politiques qui nécessiteraient du sang-froid, même s’il a répété qu’il n’était pas, pour autant, insensible aux évènements. » « À la fin des auditions, se remémore Annie Faure, l’avocat de Védrine m’a glissé “ça fait vingt-neuf ans, il faut oublier maintenant”… Je n’en suis pas revenue. Comment oublier un génocide ? »

Pourquoi Hubert Védrine s’acharne-t-il ? Pour défendre « l’honneur de la France », comme il aime le répéter ? « Je ne cherche pas à censurer qui que ce soit, je suis sur le terrain intellectuel, se défend-il, j’essaie simplement d’obtenir des médias français qu’il y ait d’autres interprétations. » À moins que, dans cette affaire, « des gens aient beaucoup à perdre », comme l’a lancé Annie Faure lors de son intervention devant les juges ? Le 25 mars, lors du procès contre Patrick de Saint-Exupéry, l’avocat de Mediapart, Emmanuel Tordjman, a conclu sa plaidoirie en demandant aux juges de sanctionner Hubert Védrine pour procédure abusive9.

Présent à la barre en sa qualité de directeur de la publication de Mediapart au moment de l’interview de Patrick de Saint-Exupéry (il vient de quitter ses fonctions), Edwy Plenel a expliqué avoir « le sentiment d’une poursuite pour empêcher un débat légitime, comme une poursuite de censure ». Pour lui, « c’est une [procédure] bâillon, on veut empêcher un débat qui nous dépasse, un débat historique et qui n’est pas terminé ». Assis à côté de son avocat, les bras croisés et la main sur le menton, Hubert Védrine est resté impassible.

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1Le 9 novembre 1994, lors de son discours au sommet France-Afrique de Biarritz, le président français avait parlé d’«  un génocide  » mais, dans la version écrite de son intervention, il avait écrit «  des génocides  ». Interrogé alors sur ce point par Patrick de Saint-Exupéry, François Mitterrand avait rétorqué, invoquant les «  mystères de l’éloquence  », par une question – «  vous voulez dire qu’il y a eu un génocide qui s’est subitement arrêté avec la victoire des Tutsis  ?  » – puis, revenant sur ses propos, il avait conclu : «  Eh bien je m’interroge aussi.  »

2Selon le Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger, «  le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : meurtre de membres du groupe  ; atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe  ; soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle  ; mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe  ; transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.  »

3Lors de son intervention à un colloque organisé par le Sénat, le 9 mars 2020, Hubert Védrine a estimé : «  Il n’y a pas de négation du génocide. […] Les débats portent sur les trois ou quatre millions de morts qu’il y a eus après, en République démocratique du Congo. Sur la question d’un double génocide [le deuxième aurait été commis par les soldats tutsis du FPR contre les réfugiés hutus], il faut débattre. L’histoire est une révision permanente et c’est tout à l’honneur du Sénat d’organiser cette rencontre.  »

4Cette opération «  militaro-humanitaire  » a été déployée au Rwanda du 22 juin au 21 août 1994 pour mettre en place une «  zone humanitaire sûre  » dans le nord du Rwanda. Elle aurait permis aux génocidaires de fuir en RD Congo avec armes et bagages. Son inaction lors des évènements de Bisesero, du nom de cette colline où plusieurs milliers de Tutsis ont été massacrés, fin juin 1994, est également pointée du doigt par plusieurs ONG, dont Survie. Les militaires attaqués en justice dans cette affaire ont bénéficié d’une ordonnance générale de non-lieu en octobre 2023.

5Lire ce papier de Raphaël Doridant sur les déclarations et les poursuites dont a été l’objet le polémiste, «  Charles Onana mis en examen  » (Billets d’Afrique, 2022).

6Le Projet Mapping en République démocratique du Congo est une mission d’enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme concernant les violences et crimes de guerre commis sur le territoire de la République démocratique du Congo sur une période de dix ans allant de mars 1993 à juin 2003. Disponible ici en PDF.

8Dans le livre, le nom d’Hubert Védrine apparaît dix fois. Chapitre 11, par exemple, le journaliste explique que «  chaque fois qu’il en a l’occasion, l’ancien secrétaire général de l’Élysée promeut le cercle restreint mais bruyant des négationnistes  »  ; chapitre 12, «  Hubert Védrine – comme François Mitterrand en son temps – a un besoin vital de cette théorie du “double génocide”. Occultant les faits, elle ouvre la porte à toutes les remises en cause  ; sans avoir l’air d’y toucher  », ou encore «  placer une théorie relevant de la seule “opinion” au même rang qu’un “génocide proprement dit”, cela s’appelle faire œuvre de tromperie intellectuelle  ».

9Une procédure abusive, en droit civil, est le fait d’engager ou de poursuivre une action en justice injustifiée.