La lettre hebdomadaire #111

Théâtre

L'image représente l'intérieur d'un ancien théâtre, avec une architecture classique. Le plafond est orné de fresques délicates, tandis que les murs affichent des signes d'usure et de dégradation, témoignant du temps passé. Au centre, un grand miroir est encadré par un drapé rouge, ajoutant une touche de luxe. Devant lui, des rangées de sièges, maintenant poussiéreux, indiquent l'endroit où se tenaient les spectateurs. Des lumières tamisées créent une ambiance mélancolique, et des graffitis sur les murs rappellent l'abandon de ce lieu autrefois vivant. L'ensemble dégage une atmosphère nostalgique, marquée par la beauté d'antan et le passage du temps.
© v2osk / Unsplash

L’ÉDITO

LE THÉÂTRE ÉLECTORAL

Le « spectacle » proposé cette semaine par une partie de la classe politique sénégalaise à l’Assemblée nationale, à Dakar, ne risque pas de réconcilier les citoyennes de ce pays – et plus largement du continent – avec le concept de la démocratie représentative. Il donne du grain à moudre à celles et ceux qui, depuis quelques années maintenant, et avec des arguments plus ou moins solides, dénoncent la démocratie telle que pratiquée dans plusieurs pays africains. De fait, à l’évidence, ce concept politique, censé donner le pouvoir au peuple dans son entièreté, a perdu tout son sens à force d’être tordu par les élites dirigeantes.

Le 31 janvier, les députés sénégalais ont, au cours d’une session tendue, approuvé la création d’une commission d’enquête visant le Conseil constitutionnel. Cette création a été initiée par le Parti démocratique sénégalais (PDS), le mouvement de l’ancien président Abdoulaye Wade et de son fils, Karim. Jusque là, rien d’anormal : ce dernier a vu sa candidature invalidée par le Conseil constitutionnel fin janvier, au motif qu’il avait la double nationalité française et sénégalaise – ce qui est interdit par la loi – lors du dépôt de son dossier. Les partisans de Wade soupçonnent deux juges de l’instance suprême d’avoir été corrompus. Leurs soupçons se portent également sur Amadou Ba, le Premier ministre et candidat de la majorité à la présidentielle.

Or il se trouve que la création de cette commission a été approuvée, contre toute logique, par une partie de la majorité, censée soutenir la candidature de Ba. Sans ce soutien, jamais le PDS n’aurait obtenu suffisamment de voix. En football, on appelle cela un but contre son camp. Mais un tel but ne peut que susciter de fortes suspicions et alimenter les thèses complotistes. Cela n’a pas manqué : les adversaires du président sortant, Macky Sall, interdit par la Constitution de se représenter, ont immédiatement crié à la manipulation. Ils estiment qu’en s’alliant opportunément avec le PDS, la majorité a une idée derrière la tête : repousser le scrutin – c’est une exigence du PDS afin de permettre à la commission d’enquêter et à Karim Wade, si les soupçons de corruption étaient avérés, de participer à l’élection –, et donc permettre à Macky Sall de prolonger son mandat et de trouver une solution pour s’assurer la victoire électorale. Le camp du président, élu en 2012 et réélu en 2019, est en effet inquiet : il n’est pas certain, en dépit de l’élimination de deux opposants de poids – Karim Wade donc, mais aussi Ousmane Sonko –, de remporter le scrutin du 25 février prochain.

Pour l’heure, il ne s’agit que de spéculations. Elles ne seront peut-être jamais confirmées. Il n’empêche, le vote des députés de la majorité dans ce pays considéré comme un exemple démocratique sur le continent a confirmé ce que beaucoup, en Afrique et même ailleurs, pensent désormais : la démocratie représentative est devenue un théâtre sur la scène duquel les citoyennes lambda n’ont plus aucune prise.

Certes, tous les quatre ou cinq ans, ils sont appelés à glisser un bulletin dans une urne, dans une ambiance de fête ou de tensions, sous une pluie de goodies et de billets distribués au fil de la campagne ou, parfois, le jour du scrutin. On leur donne ainsi l’illusion que leur choix compte. Une voix, un homme… Mais qui est dupe ? Qui, aujourd’hui, croit en cette chimère ? Les récentes élections, comme aux Comores et en République démocratique du Congo, l’ont démontré : non seulement les hommes (et les rares femmes) qui sont au pouvoir n’entendent pas le lâcher aussi facilement, et ce même s’ils jouissent d’une piètre image dans l’opinion et s’ils ont échoué à remplir leurs promesses ; mais, surtout, ils maîtrisent désormais parfaitement les outils pour le conserver.

Le processus électoral est devenu un jeu pour les élites. C’est à qui trouvera les subterfuges les plus subtils pour faire croire à un scrutin « libre et transparent ». Sous l’œil passif, voire complice, des missions d’observation électorales et des chancelleries étrangères, et dans un fatalisme quasi généralisé au sein des populations, les pouvoirs en place disposent désormais de toute une panoplie de stratégies pour s’assurer la victoire : on modifie la Constitution pour placer ses hommes et ses femmes à la tête des instances juridiques et des commissions électorales ; on interdit les manifestations sauf celles favorables au président sortant ; on instrumentalise la justice pour éliminer des opposants gênants ; on suscite des tensions pour justifier la mobilisation des forces de l’ordre, voire de l’armée, le jour du scrutin ; on invente des moyens de repousser une élection qui s’annonce compliquée… Sans compter les bonnes vieilles méthodes comme le bourrage d’urnes qui persistent – ainsi que l’on a pu le noter aux Comores en janvier – malgré la piètre image qu’elles donnent du pays.

De fait, la démocratie, tordue jusqu’à être dévitalisée, a pris les traits d’une pièce de théâtre à laquelle les spectateurs assistent, impuissants, malgré la promesse qu’ils auraient leur mot à dire sur le scénario. Cela ne trompe plus personne : les taux de participation, souvent très faibles (et parfois artificiellement gonflés), le démontrent bien. Mais tout le monde fait semblant d’y croire.

Il n’y a là rien de nouveau. Dans leur livre consacré à la « démocratie en Françafrique », la journaliste Fanny Pigeaud et l’économiste Ndongo Samba Sylla rappellent que « la “démocratie” a changé de signification au cours du XIXe siècle pour devenir le nom d’un régime oligarchique inédit, le “système représentatif”, qui repose au départ sur le déni du suffrage universel puis sa liquidation à travers de nombreux procédés ». Mais au moins, il y a encore quelques années, certains dirigeants faisaient mine d’y croire – et certains y croyaient vraiment, même. Seulement, au fil du temps, les stratégies se sont affinées et ont abouti à ce terrible constat : dans la plupart des cas, on connaît les résultats de l’élection avant qu’elle n’ait eu lieu.

Cette dérive donne du grain à moudre à celles et ceux qui, sur le continent et au-delà, en appellent à la fin des élections et à la mise en place de régimes autoritaires dont l’action ne serait pas « polluée » par les parenthèses électorales – parenthèses fort coûteuses, au demeurant. Elle permet à des despotes en herbe, comme ceux qui ont pris le pouvoir par la force ces dernières années en Guinée, au Mali et au Burkina, et qui n’entendent de toute évidence pas le rendre de sitôt, de se façonner une stature de « révolutionnaire » anti-impérialiste, quand ils ne font que recycler les pires méthodes des dictatures passées.
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DANS L’ACTU

BONGO, LA FIN DE L’IMPUNITÉ ?

La famille Bongo n’a pas fini d’alimenter la rubrique judiciaire, au Gabon comme en France : renversé en août 2023, Ali Bongo est toujours en résidence surveillée tandis que son épouse et son fils sont en prison à Libreville ; à Paris, ce jeudi 1er février, comparaissait libre, devant la 32e chambre correctionnelle, sa sœur, Pascaline Bongo. Accusée d’avoir accepté un pot-de-vin de la société Egis Route (filiale du groupe français Egis) en échange de son intervention dans un contrat de consultance, l’ancienne toute puissante cheffe de cabinet de son père, Omar Bongo (président de 1967 jusqu’à son décès, en 2009), risque trois ans de prison, dont un ferme, et une amende de 150 000 euros pour « corruption passive d’agent public étranger ».

Dans les faits, le deal n’est jamais allé jusqu’au bout, et Pascaline Bongo, 67 ans aujourd’hui, n’a jamais touché les 8 millions d’euros qui étaient censés être déposés sur le compte d’une société créée pour l’occasion, Sift, et gérée par son ex-beau-fils, Franck Ping (fils de l’ancien candidat à la présidentielle, Jean Ping), également sur le banc des accusés. Pour son avocate, Corinne Dreyfus-Schmidt, cette affaire ne repose que sur le nom Bongo et la réputation sulfureuse qu’il traîne derrière lui. En somme, Pascaline Bongo serait victime de son patronyme, associé à une famille qui, pendant cinquante-six ans, a régné sans partage sur ce petit pays pétrolier d’Afrique centrale et a confondu les caisses de l’État avec ses propres comptes en banque. Le patrimoine faramineux constitué par le père a rendu riche une cinquantaine d’héritiers et d’héritières. Pascaline, avec son frère Ali, se partagent à eux seuls 50 % de cette fortune estimée à au moins 460 millions d’euros.

L’affaire Egis Route a été découverte lors de perquisitions dans un autre dossier, celui des « biens mal acquis », dont le procès s’ouvrira en 2026. Pascaline Bongo et une dizaine de descendantes d’Omar Bongo sont soupçonnées de s’être constitué frauduleusement un patrimoine en France à partir des années 1970. En août et en décembre 2023, une dizaine de biens avaient été saisis dans des quartiers chics de Paris, en Provence et sur la Côte d’Azur.

C’est une longue chute à laquelle peuvent s’attendre les porteurs du patronyme, car personne, à Libreville comme à Paris, ne prendra plus le risque de voler au secours de cette famille étroitement associée à la Françafrique et aux dysfonctionnements de la Ve République française.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

La forteresse Europe, les assiégés et les gens du « dehors »
Bonnes feuilles ⸱ Du Sahara occidental à la Serbie en passant par le Maroc, la France et l’Italie, le journaliste Émilien Bernard documente depuis des années les ravages de la politique antimigratoire de l’Union européenne. Dans un livre, Forteresse Europe. Enquête sur l’envers de nos frontières, il raconte les parcours, les espoirs et les stratégies de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui sont confrontés à cette « épidémie » de murs barbelés.
Par Rémi Carayol

En Guinée, la junte écrase la presse
Enquête ⸱ Journaux, radios, télés et même réseaux sociaux : voilà des mois que le régime de Mamadi Doumbouya censure les médias. Face à cette répression, et malgré la crainte des représailles, les journalistes guinéens résistent et continuent d’enquêter, notamment sur les scandales politico-financiers.
Par Abdoulaye Tounkara et Tangi Bihan

À la Cour internationale de justice, un revers pour Israël
Analyse ⸱ Bien que l’ordonnance du 26 janvier 2024 de la Cour internationale de justice dans l’affaire opposant l’Afrique du Sud à Israël n’appelle pas à un cessez-le-feu, elle a retenu l’hypothèse d’une offensive potentiellement génocidaire sur Gaza. Un échec pour Israël que Tel-Aviv cherche à masquer en lançant une campagne contre l’UNRWA afin de priver l’agence de fonds.
Par Rafaëlle Maison

Sénégal. Treize ans après, Y en a (toujours) marre
Reportage ⸱ Figure de proue de l’opposition au troisième mandat d’Abdoulaye Wade, Y en a marre n’occupe plus aujourd’hui une place politique aussi centrale qu’en 2011-2012. D’autres mouvements, comme le Pastef, d’Ousmane Sonko, ont émergé entre-temps. Revendiquant une démarche constructive, le collectif se focalise sur ses programmes d’engagement citoyen, sans pour autant abandonner son essence contestataire.
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