
L’ÉDITO
LE SYNDROME DE L’AMBASSADEUR
Que dit du gouvernement français – et plus largement des dirigeantl’ethnodifférentialisme, a cheminé avec des mouvements identitaires d’extrême droite et antisémites, a récemment bénéficié du soutien financier de la Russie de Vladimir Poutine, et il continue à prôner un « séparatisme d’existence ». Mais là n’est pas l’enjeu. La question qui est posée par cette procédure va bien au-delà de sa propre personne.
es politiques de ce pays – la procédure de perte de nationalité engagée contre Kemi Seba ? Il n’est pas facile de s’emparer de cette question. L’activiste franco-béninois est sur bien des points indéfendable. Il a fondé durant sa jeunesse des mouvements suprémacistes, a soutenu la thèse raciste deRapide rappel des faits : le 29 février, Kemi Seba fait savoir qu’il est visé par une procédure engagée à son encontre par le gouvernement français afin de lui retirer sa nationalité française, sur le fondement d’un article du code civil (l’article 23-7) qui n’avait plus été utilisé depuis... cinquante-sept ans. Cet article prévoit la perte de la nationalité pour « le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger », à condition qu’il ait « la nationalité de ce pays ». Kemi Seba est installé à Cotonou depuis sept ans, mais c’est en France, à Strasbourg, qu’il a vu le jour, et ses deux parents, d’origine béninoise, sont français.
Dans le courrier du ministère de l’Intérieur qui lui a été envoyé début février, il lui est reproché « une posture constante et actuelle résolument anti-française, susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts français et de nature à caractériser une déloyauté manifeste » à l’égard de la France. « Vous vous livrez, depuis plusieurs années, à divers agissements destinés à attiser, dans les pays d’Afrique de l’Ouest, un sentiment anti-français […] vous diffusez des messages particulièrement virulents voire outranciers contre la France, ses représentants et ses forces militaires, incitant à la rébellion contre les autorités locales jugées proches des autorités françaises », ajoute le document. Il n’y a là rien de mensonger, et Kemi Seba lui-même le revendique haut et (très) fort. Mais ces agissements peuvent-ils pour autant justifier sa déchéance nationale ? Sur le plan juridique, c’est au Conseil d’État qu’il reviendra de trancher cette question – et au vu de l’historique et des fondements de cet article, c’est loin d’être gagné pour le gouvernement. Reste l’enjeu politique.
Or, sur ce point, même les adversaires de Kemi Seba au sein de la mouvance dite « panafricaniste » ou parmi les militants antiracistes sont gênés. Sur X (ex-Twitter), l’historien et activiste antillais Joao Gabriel résume un constat partagé en déplorant les conséquences politiques d’une telle décision : « Justifier le retrait de la nationalité d’une figure fasciste pour des critiques du néocolonialisme en Afrique, c’est : pour la France, associer ces critiques au fascisme en soi ; pour lui, être LE symbole de l’opposition à la France. » Autrement dit, cela revient à renforcer Kemi Seba tout en délégitimant le combat de toutes celles et tous ceux qui luttent contre le néocolonialisme sans épouser ni ses thèses ni ses méthodes.
Mais cette procédure pose une autre question, bien plus profonde : celle de la place des Noir
es et des Arabes dans la société française, et de leur citoyenneté. Nombre d’activistes voient dans cette procédure la preuve que les personnes racisées ne sont pas perçues comme des citoyen nes comme les autres, qu’ils et elles sont des demi-citoyen nes, ou des citoyen nes seulement toléré es à condition qu’ils et elles ne franchissent pas une ligne rouge qui peut varier au fil des époques et qui ne s’impose qu’à eux et à elles seul es. « Cela fait de nous des sous-citoyens, avec cet éternel soupçon de la déloyauté », dénoncent plusieurs activistes.Cette affaire pose une autre question, qui concerne quant à elle la parole des Africain
es – mais qui relève du même logiciel raciste. Elle rappelle une autre polémique qui a éclaté il y a tout juste quatre ans. Le 27 février 2020, l’ambassadeur du Mali en France, Toumani Djimé Diallo, est auditionné par la commission de défense du Sénat français. Il se lâche au sujet des soldats de la force Barkhane : « Je vais vous parler franchement, dans ces forces il y a les officiers, il y a l’armée normale, mais il y a aussi les légions étrangères et c’est là le problème. [...] Je vous dis, en vous regardant droit dans les yeux, que par moments, dans les “Pigalle” de Bamako, vous les y retrouvez tatoués sur tout le corps, en train de rendre une image qui n’est pas celle que nous connaissons de l’armée nationale du Mali. Ça fait peur, ça intrigue et ça pose des questionnements. »Scandale ! Immédiatement, les sénateurs et sénatrices s’offusquent. Il a osé critiquer l’armée française – celle que, comme l’avait affirmé Emmanuel Macron en 2017 à Ouagadougou, les Africains se doivent « d’applaudir », et rien d’autre. Dans la foulée, la France convoque le ministre malien des Affaires étrangères, et l’ambassadeur est rappelé dans son pays – il sera remplacé deux mois plus tard. Voilà comment l’on traite en France un diplomate d’un pays (alors) ami, que l’on avait invité à donner son avis. Celui-ci n’est intéressant – ou acceptable – que s’il sied au discours officiel. La France aurait-elle réagi de la sorte s’il s’était agi d’un diplomate états-unien ou européen ? (Il est vrai que la France n’y dispose pas de bases militaires).
Ce que l’on pourrait appeler « le syndrome de l’ambassadeur » est solidement ancré dans le logiciel intellectuel des dirigeants français. Donner la parole à un
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À ÉCOUTER
LES LÉGENDES QU’ON AIME
Salif Keïta, Manu Dibango, Tabu Ley Rochereau, Cesária Évora, Toure Kunda, Fela Kuti, Rachid Taha et Miriam Makeba. Ce sont huit « légendes de la musique africaine » que France Inter propose de (re)découvrir. Pour parler de ces légendes, la journaliste Aline Afanoukoé invite à témoigner aussi bien des chanteuses qui les ont côtoyées - la Béninoise Angélique Kidjo raconte avec émotion ses rencontres avec Miriam Makeba - que des producteurs qui ont contribué à leur succès, comme José da Silva, fondateur du label Lusafrica qui a révélé Cesária Évora au monde entier.
Ces portraits retracent une époque allant des années 1970 aux années 1990, lorsque les « musiques du monde » (world music) – c’est-à-dire les musiques non occidentales… – connaissent un succès mondial. Fela Kuti et son afro-beat nigérian ou Cesária Évora et sa morna cap-verdienne tiennent alors l’affiche dans le monde entier. Et font connaître l’histoire et les réalités de leurs pays. Dans « Sodade », Cesária Évora raconte un des épisodes les plus douloureux du Cap-Vert, lorsque les colons portugais ont déporté et réduit au travail forcé nombre de Cap-verdiens dans les plantations de cacao de Sao Tomé.
Car ces artistes se sont pour la plupart engagés sans réserve sur le terrain politique. Fela Kuti n’a cessé de dénoncer la corruption et la violence d’État au Nigeria, et a été jeté en prison plusieurs fois pour cela. Mais la figure la plus fameuse reste celle de Miriam Makeba. La diva sud-africaine, contrainte à un exil de plus de trente ans aux États-Unis puis (après avoir épousé la figure des Black Panthers Stokely Carmichael) dans la Guinée de Sékou Touré et enfin en Belgique, a consacré sa vie à chanter contre l’apartheid. Elle n’est retournée dans son pays que quelques mois après la libération de Nelson Mandela en 1990. Ses chansons pour l’inauguration de l’Organisation de l’unité africaine en 1963 et, la même année, son discours à l’ONU contre l’apartheid sont restés gravés dans les mémoires.
À écouter : « Légendes de la musique africaine », podcast d’Aline Afanoukoé, France Inter.
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