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« Ils savent où j’habite. » Comment le Tchad fait pression sur un journaliste français

Enquête · En 2018, le mari d’Éché Idriss Goukouni, qui exigeait son retour au foyer, a tué son beau-frère. Arrêté et condamné, il a réussi à s’évader, probablement grâce à des complicités haut placées et pour faire pression sur le nouveau compagnon d’Éché, le journaliste Thomas Dietrich. Alors que le meurtrier menace de se venger, le couple déplore l’apathie des justices tchadienne et française.

L'image montre une scène officielle à l'extérieur d'un bâtiment majestueux. Deux hommes se tiennent sur les marches devant l'entrée principale. À gauche, un homme porte une tenue traditionnelle blanche, levant la main en salutation. À sa droite, un homme en costume sombre regarde légèrement vers lui. En arrière-plan, plusieurs gardes d'honneur, habillés de costumes noirs avec des ornements dorés et des plumes rouges sur leurs casques, se tiennent en position, ajoutant à l'atmosphère solennelle de la scène. Les colonnes imposantes du bâtiment et les détails architecturaux mettent en valeur le caractère formel de l'événement.
Les présidents Déby et Macron en février 2023, au palais de l’Élysée.
© Ghislain Mariette / Présidence de la République

Le 27 novembre 2018, à N’Djamena, Ali Koreï Mahamat, binational franco-tchadien, se rend au domicile de sa belle-famille et assassine à coup de pistolet Ousman Idriss Goukouni, son beau-frère de 19 ans, et blesse à la jambe son beau-père, Idriss Goukouni1. Il réclamait le retour à son domicile de son épouse d’alors, Éché Idriss Goukouni, de nationalité tchadienne, et de leur fils Lucas (prénom modifié). Un mois plus tôt, elle avait quitté, avec Lucas, le Tchad pour la France, fuyant celui avec qui elle avait été mariée de force en 2016 (un mariage transcrit à l’ambassade de France, à N’Djamena), et dont elle subissait des violences conjugales. Le tribunal judiciaire d’Orléans a annulé ce mariage en décembre 2020 pour « défaut de consentement ».

Ousman Idriss Goukouni a été tué par Ali Koreï Mahamat en novembre 2018 à son domicile.
Ousman Idriss Goukouni a été tué par Ali Koreï Mahamat en novembre 2018 à son domicile.
© DR

Immédiatement rattrapé par les forces de l’ordre, Ali Koreï Mahamat est placé en détention provisoire dans la prison d’Amsinéné, à N’Djamena, puis jugé et condamné le 1er juin 2021 à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre par la cour d’appel de N’Djamena. Étant donné la gravité des faits, il est envoyé dans la prison de haute sécurité de Koro Toro, à 600 kilomètres au nord de la capitale, en plein désert. Une prison d’où on ne peut s’échapper sans bénéficier de complicités… Pourtant, il s’évadera un an plus tard.

Éché Idriss Goukouni est persuadée que cette évasion est liée au fait que son actuel conjoint, le journaliste Thomas Dietrich, a publié des enquêtes dérangeant le régime tchadien. Réfugiée en France, elle nous confie aujourd’hui vivre « dans la peur que l’assassin vienne en France et s’en prenne à [son fils Lucas], à [elle] ou à Thomas. Il a juré qu’il viendrait “finir le travail” ». Une source officielle française, qui requiert l’anonymat, nous fait part de la même inquiétude : « La crainte que nous avons, c’est que cet individu qui est au Tchad puisse prendre un vol pour la France et attente à la vie de son ex-épouse, de leur fils et de Thomas Dietrich. »

Éché Idriss Goukouni indique par ailleurs que la famille de l’assassin « essaye de négocier avec [s]a famille à N’Djamena pour qu’[elle] accepte une diyya, ce qu’[elle] refuse ». Pratique courante au Tchad, la diyya signifie littéralement « le prix du sang » : il s’agit d’une compensation financière versée par la famille de l’auteur d’un crime à la famille de la victime pour éviter de recourir à la justice pénale.

Une évasion pour faire pression ?

Dès avant sa condamnation, le possible retour à la liberté de l’assassin inquiète. Le 24 juin 2019, Makaila Nguebla, alors opposant au président Idriss Déby Itno, publie sur son blog un article indiquant que le puissant oncle de l’assassin, Mahamat Ahmat Choukou – membre éminent du parti au pouvoir, le Mouvement patriotique pour le salut (MPS), ancien ministre et ancien président de la Cour constitutionnelle –, aurait tenté de corrompre le juge tchadien pour que les charges contre son neveu soient abandonnées2.

Ces inquiétudes se précisent à mesure que Thomas Dietrich publie ses enquêtes. En septembre 2021, il révèle que Mahamat Ismaël Chaïbo séjourne tranquillement en France alors qu’il est soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’assassinat de l’opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh et dans la torture de Ngarlejy Yorongar en 2008 – il était le chef des services de renseignement au moment des faits (lire l’encadré au pied de l’article). Devenu membre de la junte militaire de Mahamat Idriss Déby après sa prise de pouvoir, en avril 2021, il oppose son immunité diplomatique à la convocation du juge d’instruction français qui voulait l’entendre dans cette affaire3. La famille d’Ibni et Ngarlejy Yorongar avaient en effet porté plainte en France, respectivement en 2012 et 2016. Chaïbo est aujourd’hui conseiller à la sécurité nationale à la présidence.

Le 26 mai 2022, Thomas Dietrich publie une nouvelle enquête4 dans laquelle il révèle qu’IGN FI, l’opérateur technique de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) pour ses projets à l’international, avait proposé ses services de cartographie au président Déby pour mieux combattre les groupes rebelles et… mieux réprimer les manifestations.

Ces enquêtes ne semblent pas être étrangères à l’évasion d’Ali Koreï Mahamat. Les autorités tchadiennes ont utilisé cette évasion comme « moyen de pression » contre Thomas Dietrich, estime notre source officielle française. Dans un courriel envoyé le 30 juillet 2022, Dietrich informe l’ambassadeur de France au Tchad, Bertrand Cochery, que « [s]a belle-famille s’est vu menacée de la libération de M. Ali Koreï Mahamat, au moment même où [il] révélai[t] la présence en France de Mahamat Ismaël Chaïbo, général tchadien impliqué dans l’assassinat du grand opposant Ibni Oumar Mahamat Saleh ».

La crainte d’une vengeance

Un scénario similaire se répète après la parution du deuxième article. « Dès sa parution, j’ai envoyé mon article sur les cartes à Makaila Nguebla [devenu conseiller aux droits humains à la présidence en mars 2022, NDLR]. Il m’a tout de suite appelé et m’a proposé de rencontrer le président tchadien, ce que j’ai bien entendu refusé. Quelques jours après, j’ai entendu les rumeurs d’évasion, ce que j’ai pu confirmer par mes sources sur place à N’Djamena », poursuit Dietrich. Évasion confirmée par l’attaché de sécurité intérieure de l’ambassade de France à N’Djamena, dans une attestation consultée par Afrique XXI.

Daté du 29 septembre 2022, ce document indique que l’assassin s’est « échappé de la prison de Koro Toro » et que « [l]es informations recueillies par le service permettent à ce stade d’affirmer qu’Ali Koreï Mahamat se trouverait sur N’Djamena ». « Cette personne représente une réelle menace pour madame Éché Idriss Goukouni, ex-Mahamat, et sa famille, son ex-mari meurtrier se retrouvant en liberté et étant susceptible à tout moment de se rendre en France à des fins de vengeance », précise l’attestation.

Rencontré fin janvier 2024 dans un café à Paris, Makaila Nguebla confirme avoir proposé à Thomas Dietrich de rencontrer le président tchadien Mahamat Idriss Déby. Il affirme avoir eu cette idée au cours d’une discussion avec Mahamat Ali Youssouf Boy, le cousin du président. Il prétend qu’il « voulait que le chef de l’État empêche [le meurtrier] de sortir de la prison ». À l’inverse, Éché Idriss Goukouni estime que Makaila Nguebla a fait savoir au clan du président que l’affaire d’Ali Koreï Mahamat était un bon moyen de pression contre Thomas Dietrich pour qu’il cesse d’enquêter sur eux. Makaila Nguebla a été démis de ses fonctions de conseiller aux droits humains à la présidence le 8 février 2024 et a dénoncé quelques jours plus tard au micro de RFI le « rétrécissement de l’espace civique » au Tchad5.

Une famille puissante

Peu confiants dans la justice tchadienne, Éché Idriss Goukouni et Thomas Dietrich avaient écrit plusieurs fois à Mahamat Ahmat Alhabo, alors ministre de la Justice (il est devenu secrétaire général à la présidence en décembre 2023), pour s’inquiéter de la situation. Dietrich lui envoie un premier courriel le 10 mai 2021, peu avant le procès de l’assassin, pour alerter sur sa dangerosité, s’inquiéter des manœuvres de son oncle pour le faire libérer et demander un procès équitable. Le lendemain, le ministre lui répond : « Tu peux compter sur moi. »

Mais ses courriels du 6 juin et du 10 août 2022, où il exprimait ses inquiétudes face à l’évasion du meurtrier et manifestait son incompréhension face à l’inaction des autorités tchadiennes pour le retrouver et l’interpeller, sont restés sans réponse. Durant notre discussion parisienne, Makaila Nguebla qualifie Alhabo de « marionnette ». « Alhabo n’a pas de leviers. Alhabo, c’est quelqu’un qui n’a pas de poids. Avec Alhabo, y a pas de justice. Il obéit aux ordres d’Idriss [Youssouf Boy] », poursuit-il. Contactés, Mahamat Ahmat Alhabo et le porte-parole du gouvernement, Abderaman Koulamallah, n’ont pas répondu aux questions d’Afrique XXI.

La fratrie Youssouf Boy, citée par Makaila Nguebla au cours de la discussion, constitue l’une des familles les plus puissantes du Tchad. L’aîné, Idriss Youssouf Boy, directeur du cabinet civil du président tchadien, est présenté par Jeune Afrique comme le « plus proche collaborateur » de Mahamat Idriss Déby6. Mahamat Ali Youssouf Boy, que Makaila Nguebla appelle son « assistant », est le petit frère d’Idriss. Lui non plus n’a pas répondu aux questions d’Afrique XXI. Un troisième frère, Yosko Youssouf Boy, ancien aide de camp d’Idriss Déby Itno, est conseiller spécial à la présidence. Ils sont les cousins du président Mahamat Idriss Déby.

La justice française amorphe

S’appuyant sur la nationalité française de l’assassin, Éché Idriss Goukouni a fait ouvrir des procédures contre lui par la justice française. Le 6 mars 2019, elle a déposé devant le tribunal de grande instance d’Orléans une plainte avec constitution de partie civile pour assassinat. Puis elle a lancé une procédure devant le tribunal judiciaire d’Orléans, le 24 mai 2019, pour faire annuler le mariage. Si la deuxième procédure a abouti dès décembre 2020 à l’annulation du mariage pour « défaut de consentement », l’enquête sur l’assassinat patine.

Le tribunal d’Orléans a refusé par deux fois, en novembre 2022 et en janvier 2024, la demande de l’avocate d’Éché Idriss Goukouni de faire délivrer un mandat d’arrêt international en invoquant deux motifs : l’absence de preuve de nationalité française d’Ali Koreï Mahamat et la non-exécution d’une commission rogatoire internationale délivrée aux autorités tchadiennes en septembre 2021.

Concernant la nationalité de l’accusé, la juge d’instruction n’a obtenu de réponse ni à ses réquisitions envoyées au bureau des nationalités de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère français de la Justice, ni à ses tentatives de les joindre par téléphone… Pourtant, le tribunal d’instance d’Orléans a délivré à Ali Koreï Mahamat un certificat de nationalité française en 2007, et la préfecture du Loiret lui a délivré une carte nationale d’identité et un passeport français en 2008, lequel passeport a été renouvelé par l’ambassade de France à N’Djamena en 2018… De plus, le tribunal judiciaire d’Orléans a déjà reconnu le fait qu’Ali Koreï Mahamat est binational lorsqu’il a annulé son mariage avec Éché Idriss Goukouni.

Cette dernière fait part de son incompréhension : « [Lucas], l’enfant que j’ai eu [en 2017] avec l’assassin, est de nationalité française. Comment peut-il être français alors que je n’ai que la nationalité tchadienne ? C’est bien que l’assassin est français ! Et pourquoi nous serions-nous mariés au consulat de France à N’Djamena si nous étions deux Tchadiens sans que l’un de nous soit binational ? »

« Finir » le travail

Quant à la commission rogatoire internationale, elle est restée sans réponse malgré la remise d’une copie par l’ambassadeur de France, Bertrand Cochery, au ministre tchadien de la Justice, Mahamat Ahmat Alhabo, en août 2022. « Les autorités tchadiennes ne jouent pas le jeu, indique notre source officielle française. J’ai l’impression que tout cela est profondément dilatoire et manipulé pour nuire à Thomas Dietrich. Il n’est pas impossible de penser que l’absence de coopération judiciaire réelle dans ce dossier soit un moyen de pression le concernant. »

Interpellée sur cette affaire en septembre 2022 par Jean-Luc Mélenchon et le député Aurélien Saintoul (La France insoumise), la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, leur a répondu deux mois plus tard. Elle confirme que le concerné est de nationalité franco-tchadienne et regrette que la justice tchadienne refuse d’émettre un mandat d’arrêt international à la suite de son évasion de la prison de Koro Toro :

Par courrier du 26 septembre dernier, vous avez appelé mon attention sur la situation de Madame Éché Idriss Goukouni, réfugiée en France avec son fils. Vous m’avez fait part de vos inquiétudes quant à leur sécurité, à la suite de l’évasion de prison de Monsieur Ali Koreï Mahamat, ressortissant franco-tchadien, emprisonné au Tchad pour le meurtre du frère de Madame Éché Idriss Goukouni. […]

Depuis l’évasion de Monsieur Ali Koreï Mahamat, l’ambassadeur de France à N’Djamena a, à plusieurs reprises, alerté les autorités tchadiennes sur la dangerosité de l’individu et la menace qu’il représentait pour Madame Éché Idriss Goukouni et sa famille. [...] Nous regrettons vivement que l’autorité tchadienne n’ait toujours pas délivré de mandat d’arrêt à l’encontre de Monsieur Ali Koreï Mahamat, malgré notre insistance et notre action continue en ce sens.

Mais le tribunal d’Orléans a estimé que si « les échanges entre le ministère des Affaires étrangères et un parlementaire français constituent des indices graves », ils sont insuffisants pour délivrer un mandat d’arrêt.

Pourtant, le tribunal judiciaire de Paris a retenu ces éléments au terme d’une troisième procédure lancée par Éché Idriss Goukouni, en janvier 2022, pour obtenir la déchéance des droits parentaux de l’assassin sur Lucas. Dans son jugement du 24 octobre 2023, le tribunal a accédé à cette demande en avançant les motifs suivants :

[L]’arrêt rendu par la première chambre criminelle de la cour d’appel de N’Djamena le 1er juin 2021 aux termes duquel [Ali Koreï Mahamat] a été déclaré coupable du meurtre perpétré à l’encontre du frère aîné [d’Éché Idriss Goukouni] […]. L’attestation émise par le commissaire général de l’ambassade de France au Tchad [selon laquelle] M. Koreï Mahamat s’est évadé de son lieu de détention […]. [L]es craintes réelles quant à la sécurité de Mme Éché à laquelle il pourrait s’en prendre à des fins de vengeance. […] [Le] courrier établi par Mme Colonna, ministre des Affaires étrangères, le 25 novembre 2022 [selon lequel] l’autorité judiciaire tchadienne n’a pas délivré de mandat d’arrêt à l’encontre d’Ali Koreï Mahamat en dépit de l’insistance des autorités françaises, étant au surplus relevé qu’il serait de nationalité française et ne se trouverait donc pas dans l’obligation d’obtenir un visa pour se rendre sur le territoire national.

Pendant ce temps, Éché Idriss Goukouni vit au rythme des menaces : « Ils savent où j’habite car mon adresse a fuité à cause des procédures judiciaires que j’ai lancées. Thomas [Dietrich] a déjà rencontré certains Tchadiens proches de la famille de l’assassin qui tournaient dans le quartier en voiture, ils se sont croisés à la Poste. Il y en a un qui m’a attrapée dans la rue et qui m’a menacée. Ils me menacent en me disant que si je ne retire pas ma plainte en France, ils viendront “finir” ce que leur cousin n’avait pas “terminé”, reprendre leur enfant [Lucas], et des choses comme ça. »

Entre Paris et N’Djamena, le règne de l’impunité

La non-exécution des commissions rogatoires internationales délivrées par la justice française dans le cadre d’affaires pénales semble être une habitude au Tchad.

Affaire Nouri
Dans une précédente enquête, Afrique XXI révélait que Mahamat Nouri, ex-rebelle, leader de l’Union des forces pour la démocratie et le développement (UFDD) et vivant en France depuis 2012, avait obtenu en mars 2022 l’autorisation du parquet de Paris de sortir du territoire français pour rejoindre Doha (Qatar). S’y tenait en effet un « pré-dialogue national » consécutif à la mort d’Idriss Déby Itno et à la prise du pouvoir par son fils, Mahamat. Pourtant, ce même parquet avait ouvert en 2017 une enquête contre Nouri pour « crime contre l’humanité » – il avait enrôlé des enfants-soldats dans les années 2000. La justice française l’avait mis en examen et placé plusieurs mois en détention provisoire entre 2019 et 2020.

Afrique XXI a récemment appris que le tribunal de Paris avait délivré une commission rogatoire internationale pour entendre d’anciens enfants-soldats. Deux juges d’instruction et deux gendarmes de l’office de lutte contre les crimes contre l’humanité s’étaient même rendus au Tchad pour enquêter. Finalement, à cause de l’absence de coopération de la justice et de l’administration tchadiennes, cette commission rogatoire n’a jamais été exécutée. En conséquence, le parquet a autorisé Mahamat Nouri à voyager. Âgé de 77 ans, il vit désormais paisiblement dans son oasis à côté de Faya, dans le nord du Tchad.

Affaire Ibni
Le 3 février 2008, le régime d’Idriss Déby Itno survit in extremis – et grâce à l’intervention de l’armée française – à une attaque rebelle menée par Mahamat Nouri et Timan Erdimi. Il en profite pour arrêter des opposants pacifiques : Ngarlejy Yorongar, Lol Mahamat Choua et Ibni Oumar Mahamat Saleh7. Emmenés dans un lieu de détention, ils subissent la torture. Les deux premiers en sortiront quelque temps plus tard ; pas Ibni, dont la famille n’a jamais pu voir le corps.

Ibni Oumar Mahamat Saleh a disparu en février 2008.
Ibni Oumar Mahamat Saleh a disparu en février 2008.
© DR

Sous la pression internationale, N’Djamena ouvre une commission d’enquête pour faire la lumière sur ces événements. Ses conclusions accablent l’armée : « Il apparaît qu’lbni Saleh n’a pu être arrêté puis détenu que par [l’]Armée nationale tchadienne ». S’ensuit une procédure judiciaire au Tchad qui se solde par un non-lieu en 2013. Les enfants d’Ibni ont porté l’affaire devant la justice française dès 2012, de même que Ngarlejy Yorongar quatre ans plus tard.

Le juge d’instruction français a cherché à entendre le principal suspect, Mahamat Ismaël Chaïbo. Ex-chef des services de renseignement, il séjournait régulièrement en France il y a encore quelques années, mais n’a jamais été entendu. Interpellé à l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle le 30 juin 2021 alors qu’il s’apprêtait à rentrer au Tchad, il a fait valoir son immunité diplomatique pour s’enfuir. Plusieurs années avant, la justice française avait déjà délivré une commission rogatoire internationale aux autorités tchadiennes pour enquêter sur la disparition d’Ibni, sans résultat. Chaïbo est aujourd’hui un personnage important du régime de Mahamat Idriss Déby, dernier bastion de la France au Sahel.

1Aucun lien de parenté avec Goukouni Weddeï, chef de l’État de 1979 à 1982.

2Makaila Nguebla, «  Le juge Mahamat Ahmat Choukou tenterait-il de protéger son neveu écroué  ?  », Makaila.fr, 24 juin 2019.

3Thomas Dietrich, Filippo Ortona et Téo Cazenaves, «  L’ancien chef des services secrets tchadiens échappe à la justice française  », Le Média, 3 septembre 2021.

4Thomas Dietrich, «  Tchad : les cartes françaises de la répression  », Le Média, 26 mai 2022.

5«  Tchad : l’ex-conseiller aux droits de l’homme à la présidence s’inquiète d’un “renfermement” des autorités  », RFI, 13 février 2024.

6Mathieu Olivier, «  Les réseaux d’Idriss Youssouf Boy, confident de Mahamat Idriss Déby Itno  », Jeune Afrique, 6 janvier 2023. Voir aussi Mathieu Olivier, «  Mahamat, Abdelkerim et Zakaria Idriss Déby : trois frères pour un héritage  », Jeune Afrique, 13 juillet 2023.

7Thomas Dietrich, «  L’affaire Ibni : un crime en Françafrique  », Le Média, 13 novembre 2020.