
« Quand je suis arrivée à Rabat, je pensais que le plus dur serait de réussir mes études. Mais en réalité, c’était bien plus compliqué… », raconte Mariam Touré, étudiante malienne en deuxième année de droit international. Comme beaucoup d’autres jeunes venus d’Afrique, elle a quitté sa famille et ses repères dans l’espoir de pouvoir suivre des études de qualité de nature à lui ouvrir un avenir meilleur. Mais une fois sur place, l’enthousiasme a cédé le pas à la désillusion : démarches administratives qui n’en finissent pas, logements parfois inaccessibles, stress…
Lors d’un discours prononcé le 4 mars 2023, à l’ouverture de la deuxième édition du Forum MD Sahara à Dakhla, Abdellatif Miraoui, ministre marocain de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l’Innovation, a affirmé que le pays avait compté en 2021 près de 23 411 étudiants étrangers, dont plus de 19 000, soit 83 %, étaient originaires d’Afrique subsaharienne. Entre 2022 et 2024, on estime qu’ils étaient plus de 17 000 dans les universités marocaines publiques et privées. Ce flux est le résultat de la politique de coopération Sud-Sud, notamment universitaire, initiée par le roi Mohammed VI et soutenue par l’Agence marocaine de coopération internationale (Amci), qui octroie chaque année des milliers de bourses.
À titre d’illustration, la direction de la Coopération et du partenariat du ministère marocain de l’Enseignement supérieur a accordé 5 000 nouvelles autorisations d’inscription dans les universités pour l’année universitaire 2019-2020. La majorité de ces places étaient destinées à des étudiants originaires de 76 pays partenaires, dont 86 % issus du continent africain, 12 % d’Asie, 1 % des Amériques et 1 % d’Europe ou d’Océanie. Pour beaucoup, le Maroc est un tremplin vers l’Europe. Alassane Keïta, Guinéen, raconte : « Je devais faire ma licence de comptabilité à Rabat et rentrer chez moi. Mais après mon diplôme, j’ai voulu continuer en master, en espérant décrocher une opportunité à l’étranger. »
Bien que leur présence réponde à une volonté affichée d’ouverture académique, l’accueil des étudiants subsahariens au Maroc se heurte à un autre défi majeur : celui du contrôle de la migration africaine vers l’Europe. Depuis longtemps, le Maroc occupe une position importante dans la politique d’externalisation des frontières menée par l’Union européenne. Cette dernière finance et s’occupe de la gestion migratoire à travers le Fonds d’urgence de l’UE pour l’Afrique (FFU), crée en 2015 « pour lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière en Afrique ». Près de 78 000 tentatives de migration irrégulières ont été interceptées en 2024, selon les données officielles du ministère marocain de l’Intérieur. Selon InfoMigrants, entre 70 000 et 200 000 Subsahariens vivraient aujourd’hui au Maroc, dont beaucoup en situation irrégulière. Près de 86,8 % d’entre eux seraient arrivés par voie terrestre depuis l’Algérie.
Labyrinthes administratifs
L’arrivée d’étudiants évolue donc dans un espace où l’accueil universitaire coexiste avec une logique sécuritaire visant à réguler les entrées vers l’Europe. Entre désir d’intégration et de départ, leurs parcours s’enchevêtrent.
La loi marocaine n° 02-03 sur l’entrée et le séjour des étrangers fixe plusieurs conditions. Elle impose à tous les voyageurs non marocains un passeport valide qui, après l’entrée sur le territoire, sert de pièce d’identité pour un séjour maximum de 90 jours. En outre, le motif du séjour doit être fixé au préalable. « Ce n’est pas évident, mais c’est impératif », explique Mamadou Cissé, membre du bureau de l’Association des étudiants, élèves et stagiaires maliens du Maroc (Aseem).
Le processus est long et éreintant. De nombreux documents doivent être déposés auprès de la Sûreté nationale, dont un certificat médical, un contrat de logement, un justificatif d’inscription… En théorie, la première carte est valable un an, puis trois ans lors des renouvellements. En pratique, les retards et des files d’attente interminables rendent la procédure éprouvante. « Le renouvellement, c’est chaque année la même galère. Entre les papiers manquants et les allers-retours, on finit par manquer des cours », témoigne Issa, étudiant en ingénierie à Fès.
Trouver un toit, un défi quotidien
Le logement constitue un autre casse-tête. Dans les grandes villes universitaires comme Rabat, Casablanca ou Marrakech, la demande dépasse largement l’offre. L’Amci héberge chaque année environ 12 000 étudiants venus de 47 pays africains. Les places restent limitées, et la plupart d’entre eux doivent se tourner vers le marché locatif privé, souvent hors de prix et pas toujours accueillant. « On m’a refusé un appartement parce que je suis noir. Le propriétaire m’a dit qu’il préférait louer à des Marocains alors que mes papiers étaient en règle », se plaint Alassane.
Mariam, elle, raconte :« Pour réduire les charges, j’habitais avec d’autres Subsahariennes dans un appartement. Les autres locataires de l’immeuble nous accusaient de faire trop de bruit ou de recevoir nos amis chez nous. » À la suite de plaintes à répétition, elle a été contrainte de chercher un autre logement.
Les expériences d’Alassane et de Mariam ne sont pas des cas isolés. Les discriminations raciales, parfois à peine voilées, s’ajoutent aux difficultés financières. Entre préjugés et méfiance, certains étudiants subissent un racisme ordinaire : regards insistants, remarques blessantes, attitudes de rejet... « On te rappelle que tu n’es pas vraiment chez toi », se désole l’Ivoirienne Awa Coulibaly, étudiante en médecine à Rabat.
Face à cette situation, des réseaux d’entraide s’organisent : les aînés accueillent les nouveaux, des groupes de colocation se forment et des associations accompagnent pour les démarches. Ces initiatives discrètes permettent de maintenir un certain équilibre.
Bourses de survie limitées
Autre complexité : le coût de la vie au Maroc. Le loyer, les transports, la nourriture et le matériel universitaire pèsent lourd dans le budget d’un étudiant étranger. Les bourses versées par l’Amci ou par les pays d’origine ne suffisent bien souvent pas à couvrir les dépenses de base. « Ma bourse ne couvre même pas mon loyer pour deux mois. Sans parler des factures et autres dépenses. Je donne des cours particuliers pour survivre », confie Serge, un étudiant congolais. Comme lui, d’autres s’improvisent nounous ou aides ménagères. Ces petits boulots, souvent informels, permettent tout juste de tenir.
« J’ai travaillé comme femme de ménage pendant un an. C’était la seule solution pour payer mon logement », raconte une étudiante en licence comptabilité. Beaucoup travaillent dans l’ombre, loin des circuits officiels, sans protection ni stabilité, et pour des salaires minimes.
La Tunisie, l’Algérie et la Mauritanie voient également affluer des étudiants d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Mais, au Maroc, la question de l’intégration réelle reste en suspens. Les discours officiels vantent en effet une « communauté africaine unie », tandis que, sur le terrain, des fractures sociales et symboliques persistent. La coopération universitaire africaine peut-elle tenir ses promesses sans inclusion sociale durable ?
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