Le Niger pariera-t-il sur le développement ?

Verbatim · Pourquoi certains pays du Sud parviennent à améliorer leur économie et le niveau de vie de leurs citoyens, et d’autres non ? Au cours d’une conférence donnée à Niamey en novembre 2022, l’économiste Stefan Dercon a tenté de répondre à cette question tout en appliquant sa théorie au cas du Niger. Afrique XXI reproduit l’intégralité de sa masterclass.

L'image montre l'entrée d'une petite boutique, éclairée dans l'obscurité. La porte est ouverte, révélant un intérieur modeste. On aperçoit un homme qui se tient derrière un comptoir, son regard tourné vers l'extérieur. Il porte un débardeur et semble attentif, probablement en attente de clients. Les murs sont en terre, et des papiers et affiches sont accrochés, ajoutant une touche de couleur à l'environnement. À l'avant, un banc en bois rouge est installé, et quelques bouteilles et contenants sont visibles à l'intérieur de la boutique. L'ambiance est chaleureuse malgré le contexte rural et simple.
Un boutiquier de rue à Niamey, en 2016.
Gustave Deghilage / flickr.com

Stefan Dercon est professeur d’économie à l’Université d’Oxford et ancien économiste en chef du Department for International Development (DFID), l’agence gouvernementale de développement britannique. Lors d’un séjour au Niger fin novembre 2022, il a présenté au cours d’une conférence les principaux arguments de son dernier ouvrage, Gambling on Development Parier sur le développement »), publié chez C Hurst & Co Publishers Ltd. Gambling on Development réhabilite la connexion, délaissée dans la littérature économique récente, entre décision politique et croissance inclusive. Cet article, tiré de la conférence de Niamey, est la première contribution en français de Stefan Dercon autour de son ouvrage.

Le pari du développement

Stefan Dercon.
Stefan Dercon.
DR

« En mai 2022, j’ai publié un livre intitulé Gambling on Development, c’est-à-dire « Parier sur le développement ». Le sous-titre de l’ouvrage est : Why Some Countries Win and Others Lose Pourquoi certains pays gagnent et d’autres perdent »). Ce livre est fondé sur mes trente années d’études en tant que professeur à l’université d’Oxford, mais aussi sur mes expériences en politique économique, notamment lorsque j’étais, ces dernières années, l’économiste en chef de l’agence du gouvernement britannique en charge de l’aide internationale au développement, le DFID.

Pourquoi certains pays parviennent à améliorer leur économie et le niveau de vie de leurs citoyens est sans aucun doute l’une des questions fondamentales des sciences économiques. Mon avis est que les économistes donnent à cette question des réponses généralement insatisfaisantes. C’est précisément le sujet de la conférence d’aujourd’hui.

Je vais vous parler de la thèse du livre, et, bien que je n’évoque pas les pays sahéliens dans mon livre, je l’appliquerai au contexte du Niger, où je me trouve aujourd’hui. D’abord, laissez-moi vous donner quelques faits assez bien connus.

L’histoire de la pauvreté dans le monde au cours des trente dernières années est plutôt positive. Le graphique ci-dessous montre la situation de 1990 à aujourd’hui. Il indique le nombre de personnes dans le monde qui ont un niveau de consommation équivalent à un pouvoir d’achat d’un peu moins de 2 dollars par jour et par personne. Ce n’est pas beaucoup, bien sûr, et vivre au-dessous de ce niveau de vie, cela s’appelle « vivre dans l’extrême pauvreté ».

En 1990, environ 2 milliards de personnes vivaient dans l’extrême pauvreté. La majorité se trouvait en Asie : environ 1 milliard en Asie de l’Est (dont 700 millions en Chine) et plus d’un demi-milliard en Asie du Sud, notamment en Inde (400 millions). La baisse du nombre de pauvres depuis 1990 est extraordinaire, malgré la pandémie de Covid qui a jeté dans la pauvreté environ 70 millions de personnes dans le monde selon la Banque mondiale. Il y en a aujourd’hui environ 650 millions dans le monde, soit une baisse des deux tiers par rapport à 1990. La baisse s’est d’abord produite en Asie de l’Est – on est passé de 1 milliard à environ 50 millions aujourd’hui - puis en Asie du Sud, notamment en Inde depuis l’an 2000.

Plus de pauvres qu’en 1990 en Afrique subsaharienne

S’il y a encore beaucoup de personnes extrêmement pauvres dans le monde, c’est parce qu’en Afrique subsaharienne - en bleu sur le graphique - il y a plus de pauvres aujourd’hui qu’en 1990 : leur nombre est passé de 400 millions à 550 millions. La population de l’Afrique subsaharienne est deux fois plus élevée aujourd’hui que celle de 1990, de sorte que le pourcentage de pauvres en Afrique subsaharienne a diminué, mais le nombre absolu a augmenté.

Ajoutons qu’à cause du Covid, le nombre de pauvres dans le monde aujourd’hui est presque le même qu’en 2017. La pandémie nous a fait perdre cinq ans dans la lutte contre l’extrême pauvreté dans le monde, et surtout en Afrique.

Mais il existe des différences importantes d’un pays à l’autre, y compris en Afrique subsaharienne. En 1990, dix-huit pays comptaient à la fois plus de 8 millions d’habitants et plus de 20 % d’extrême pauvreté. Le Mali, le Burkina Faso et le Niger étaient dans cette catégorie. Parmi ces dix-huit pays, seuls le Ghana et l’Éthiopie ont, entre 1990 et 2018, réduit de moitié le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Sept pays ont vu le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté plus que doubler – le Nigeria, l’Angola, la République démocratique du Congo (RDC), Madagascar, le Malawi, et probablement le Kenya et la Zambie. Dans les autres pays, on observe un nombre de pauvres semblable à celui d’avant, ou en augmentation. Par exemple, au Niger, on a vu une augmentation de 7 à 11 millions de pauvres, soit une grande partie de la population actuelle, de 25 millions.

Au total, en Afrique, en 2018, environ 150 millions de personnes de plus vivaient dans l’extrême pauvreté par rapport à 1990. Il y a donc des différences majeures en termes d’évolution de l’extrême pauvreté entre les pays, même en Afrique subsaharienne. Et le Niger est dans le club peu enviable des pays où le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté.

La croissance n’est pas une condition suffisante pour réduire la pauvreté

Cette tendance ne se mesure pas seulement en termes monétaires. Le Ghana ou l’Éthiopie ont connu une amélioration de la sécurité alimentaire, de l’alphabétisation, de la scolarisation et plus généralement des conditions de vie, même si la pauvreté n’a pas disparu et si l’exclusion sociale de certains groupes demeure.

Dans des pays comme le Nigeria, la RDC, le Mali et certainement le Niger, les conditions de vie stagnent et déçoivent. Par exemple, fait inhabituel dans le monde, il y a maintenant au Niger plus de garçons et de filles en âge d’être scolarisés, mais qui ne le sont pas, qu’en 1990 : ils étaient 1 million d’enfants en 1990, ils sont 1,4 million aujourd’hui. Et, comme le président [Mohamed] Bazoum lui-même l’a précisé, c’est un problème qui concerne surtout les filles. Le préjugé contre la scolarisation des filles reste profond.

Il existe un lien étroit entre ce niveau de pauvreté et la trajectoire de la croissance économique de ces pays. La croissance n’est jamais une condition suffisante pour réduire la pauvreté dans un pays. Cependant, elle est une condition nécessaire pour réduire le niveau de pauvreté de manière durable et inclusive pour les pays partant d’un faible revenu ou PIB par habitant. Le graphique ci-dessous le montre. Il indique l’évolution du PIB par habitant en dollars corrigé de l’inflation mais aussi les différences de pouvoir d’achat entre les pays. Il y a des pays comme la Chine, l’Indonésie mais aussi le Bangladesh, l’Éthiopie et le Ghana qui ont réussi à réduire la pauvreté de manière substantielle. Ils ont tous connu une croissance soutenue pendant 10 à 20 ans.

Et il y a des pays comme la RDC ou le Nigeria qui ont une histoire de faible croissance. La RDC, par exemple, a aujourd’hui un PIB par habitant qui atteint seulement un tiers de celui de 1970.

En comparaison, voici dans le graphique ci-dessous quelques (autres) pays d’Afrique de l’Ouest. La Côte d’Ivoire imite l’évolution du Ghana au cours des dix dernières années, mais le Ghana était nettement plus pauvre que la Côte d’Ivoire en 1990. D’autres pays, comme le Sénégal, n’ont pas connu beaucoup de croissance, et d’autres comme le Mali ou le Niger ont plutôt stagné - surtout par rapport à l’Éthiopie.

Ceci est crucial : le Niger était aussi pauvre que l’Éthiopie dans les années 1990 et avant, mais le changement en Éthiopie au cours des vingt dernières années est frappant. Aucun changement de ce type ne s’est produit au Niger.

Pourquoi ? Pourquoi certains pays font-ils des progrès substantiels et pas d’autres ? Pourquoi croissent-ils si vite à partir d’un faible niveau de PIB, et pas d’autres ? Et pourquoi les progrès du développement inclusif sont-ils si différents, même entre des pays qui ont initialement des revenus par habitant (ou d’autres caractéristiques) similaires ? Ce sont des questions fondamentales des sciences économiques, auxquelles les économistes et les économistes politiques ne répondent pas de manière satisfaisante.

Le poids de l’histoire

Qu’est-ce qui stimule la croissance, en particulier la croissance inclusive ? Je précise au passage que par « croissance inclusive », j’entends une croissance qui profite à l’ensemble de la population et pas seulement à quelques riches, et qui conduit donc à un développement inclusif. Pour être inclusive et réaliser son potentiel de développement, la croissance doit être soutenue pendant quelques décennies et ne saurait être le fruit éphémère d’une brève période de prix élevés des matières premières ou d’un autre événement.

Voici ce qu’en disent des auteurs de best-sellers. Certains sont auréolés d’un prix Nobel d’économie, d’autres en rêvent. Leurs livres influencent une grande partie des avis donnés par des organisations internationales comme le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale ou l’ONU. Les principaux conseils donnés ont tendance à se concentrer sur ce qu’il faut faire – ou ne pas faire - et s’articulent autour de deux diagnostics majeurs et concurrents.

Le premier ensemble, incarné par le célèbre livre de Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail : The Origins of Power, Prosperity and Poverty (Profile Books Ltd, 2013), dit : « Faites le tri dans vos institutions, c’est-à-dire votre système politique, le fonctionnement de votre administration, vos règles de justice et de lutte contre la corruption, voire les normes et valeurs qui dominent vos affaires et votre société ». Dit autrement : « Changez les règles du jeu dans l’économie et la société ».

En matière de changement institutionnel, quels conseils concrets pouvons-nous donner ? La littérature sur l’économie institutionnelle montre que les institutions sont formées par des processus historiques lents, déterminés par la géographie mais aussi l’histoire coloniale, peut-être même par la religion et la culture, et certainement pas par des interventions rapides. On ne peut sûrement pas dire à un pays de « changer son histoire », n’est-ce pas ? Comment pourrais-je, en tant que fonctionnaire britannique, aller au Ghana ou au Nigeria, et dire aux présidents : « pour réussir en termes de croissance et de développement, procurez-vous une histoire différente » ? De même, comment un fonctionnaire français pourrait-il venir au Niger et dire au président : « procurez-vous une histoire différente » ?

Le Bangladesh, un exemple à suivre ?

Bon nombre de pays prospères n’avaient pas d’institutions « parfaites » lorsqu’ils ont commencé à se développer. Même les pays occidentaux actuellement riches comme la Grande-Bretagne ou la France étaient initialement très imparfaits. Ils ont connu beaucoup d’abus de pouvoir, de corruption, d’ingérence politique dans le système judiciaire parallèlement à leurs efforts pour s’enrichir.

Il en va de même pour les pays qui ont récemment réussi comme la Chine, l’Indonésie ou le Bangladesh. En Chine, cela a commencé en 1979 – mais à cette époque, la Chine était en crise de légitimité, avec un Parti communiste et une société instables. Les années 1970 sont marquées par la révolution culturelle, la mort de Mao, la bande des quatre qui voulait mener une politique économique subordonnée à l’idéologie. C’était une période de conflit dans le parti. C’est Deng Xiaoping qui a gagné contre l’idéologie et pour le pragmatisme – comme il l’a dit, peu importe que le chat soit noir ou blanc tant qu’il attrape des souris. Ces institutions de marché étaient pourtant loin d’être parfaites. Notamment, le niveau de corruption était élevé.

Le Bangladesh est un exemple important pour les pays africains. C’est un pays qui a été colonisé, et qui est né après une guerre contre le Pakistan (occidental) en 1971. Les années 1970 ont été traumatisantes : conflits, famine, coups d’État, violences. L’État s’est rénové, mais sans administration qualifiée, octroyant emplois et pouvoir aux vainqueurs du conflit. Les fonctionnaires n’étaient pas choisis par un processus méritocratique mais via des relations clientélistes, pour récompenser les partisans des politiciens au pouvoir. Et pourtant, le Bangladesh a réussi à faire croître rapidement son économie à partir des années 1990.

Revisitons la thèse d’Acemoglu et Robinson : les institutions sont importantes, l’histoire, le colonialisme sont des contraintes importantes pour le développement. Mais il y a des pays avec une histoire coloniale qui ont « gagné », qui ont réussi à améliorer le niveau de vie de leurs citoyens après la décolonisation, et des pays anciennement colonisés qui ont « perdu », c’est-à-dire qui ont connu une augmentation de la pauvreté ces dernières années. Si vous pouvez réussir avec des institutions faibles, quels sont alors les déterminants principaux du succès ?

Pas de recette miracle

Cela nous conduit vers une deuxième série d’explications pour lesquelles certains pays « gagnent » et d’autres « perdent » : les actions de ceux qui ont le pouvoir et l’influence dans la société.

Les économistes se concentrent souvent sur les effets de politiques spécifiques mises en œuvre. À l’issue d’un examen de l’ensemble des politiques qui a conduit au succès de la croissance rapide depuis les années 1960 dans le monde en développement, le lauréat du prix Nobel, Michael Spence, a conclu que « nous ne connaissons pas la recette, mais seulement les ingrédients ». Il voulait dire qu’en fin de compte, les pays utilisaient un ensemble assez large de politiques - taux de change fixe ou variable, certaines plus axées sur les infrastructures ou moins, certaines plus axées sur l’éducation et, surtout, certaines plus dépendantes du marché ou plus de l’État, etc. Michael Spence ne pouvait donc pas tirer de conclusion précise sur la « recette » de la croissance et du développement.

C’est important : si les décideurs ont effectivement le choix parmi un large éventail de politiques, cela signifie qu’ils n’ont pas nécessairement à courir après une chimérique recette de développement idéale, mais peuvent se contenter de politiques raisonnables encourageant la croissance tout en étant compatibles avec leur économie politique propre. Bien sûr, tous les choix ne sont pas possibles : vous avez besoin d’une certaine stabilité macroéconomique ; comme État, vous ne pouvez pas dépenser beaucoup plus que ce que vous avez ; vous devez utiliser efficacement vos ressources. Et, bien sûr, le marché est important : vous devez lui permettre de se corriger. Typiquement, bien utiliser le marché et trouver des moyens d’exporter vers le reste du monde ont fait partie des ingrédients du succès de la plupart des pays à forte croissance.

Mais en tant que président, en tant que décideur politique, ou même en tant que puissant chef d’entreprise ou riche commerçant, vous avez le choix et le pouvoir, malgré les contraintes propres de la logique économique, de contribuer ou non à la croissance et au développement. Ainsi, la façon dont vous utilisez ce choix est cruciale pour le succès et l’échec d’une économie, même lorsque les institutions sont imparfaites.

Dans ce cas, à la question : « pourquoi il y a des pays qui gagnent et d’autres où il ne se passe rien, et même d’autres qui perdent ? », la réponse est : « c’est un choix ». Une croissance soutenue, même modeste, est un choix ; le développement inclusif est un choix. Et, comme je l’expliquerai plus loin, ces choix sont à l’origine des différences de trajectoires entre l’Éthiopie et le Niger depuis 2005 au moins.

L’exemple éthiopien et le contre-exemple congolais

C’est le bon moment pour vous raconter une petite histoire - en fait deux histoires. En 2014, en tant qu’économiste en chef de l’agence d’aide britannique, on m’a demandé de rendre visite aux Premiers ministres de RDC et d’Éthiopie à quelques mois d’intervalle. La raison de chaque visite était la même : pourrais-je aider à fournir des commentaires sur le dernier plan de développement qu’ils avaient conçu ?

Ces rencontres n’auraient pas pu être plus différentes l’une de l’autre. En RDC, vingt jeunes hommes, élégamment vêtus, ont présenté les nouveaux plans de développement pour chaque secteur : pour l’agriculture, pour les agro-industries, pour la stabilité macroéconomique, pour sortir de la dollarisation, pour la santé, pour l’éducation, etc. Chacun d’eux était en fait très impressionnant : ni en tant que professeur d’université ni en tant que praticien du développement, je ne pouvais les critiquer. C’était de très bons plans, basés sur des données et une compréhension des travaux universitaires.

Je me souviens qu’en sortant du bureau du ministre, mon collègue congolais de l’ambassade du Royaume-Uni a dit : « Quel spectacle ! » Nous avions vu une grande représentation, une production théâtrale. Mais nous nous doutions tous les deux que rien de ce qui avait été présenté ne serait jamais mis en œuvre, malgré la bénédiction du Premier ministre Matata Ponyo. Et nos intuitions étaient justes : rien n’a jamais été mis en œuvre à partir de ces plans.

En revanche, en Éthiopie, ce fut très différent. Ici, l’équipe du Premier ministre n’avait pas seulement réuni le vice-Premier ministre, le gouverneur de la Banque centrale, le ministre des Finances et tous les conseillers principaux. Elle avait également invité un groupe d’experts internationaux de grande qualité - Justin Lin, Paul Collier, Lant Pritchett, etc. L’équipe locale a présenté ses plans et, d’un point de vue technique, ils n’allaient pas de soi et étaient probablement problématiques.

Nous avons tous fait des commentaires et proposé d’autres idées. À la fin, cependant, en discutant entre experts, nous avons tous convenu qu’ils essaieraient probablement de mettre cela en œuvre, que ce ne serait pas facile, mais que dans l’ensemble, ils pourraient bien réussir. Et, comme nous le savons maintenant, au cours des dix années entre 2010 et 2020, l’Ethiopie a été l’économie africaine à la croissance la plus rapide du continent, et parmi les plus rapides au monde.

Le rôle des élites

Pourquoi cette différence entre les deux pays ? Mon argument est qu’en Éthiopie, le choix a été fait de se concentrer sur la croissance et le développement. Ce choix n’émanait pas seulement du président ou du ministre des Finances, mais de l’ensemble du gouvernement, des chefs des départements de l’administration civile, des chefs militaires, des chefs des grandes entreprises, des grands hommes d’affaires ou grands commerçants. En RDC, le choix des gouvernants est tout autre : ni les ministres, ni les fonctionnaires, ni les chefs de parti et leurs militants, ni les chefs militaires, ni les commerçants ne s’intéressent à la croissance et au développement. Ils ne sont intéressés qu’à gagner et à contrôler pour eux-mêmes des ressources telles que les revenus des mines de diamants, d’or ou de cuivre.

À qui appartient le choix de la politique économique ? Dans mon livre, je conçois le choix de la croissance inclusive comme celui de ceux qui ont le pouvoir et l’influence dans la société et l’économie : les élites.

Qui sont les élites ? Ce sont les principaux hommes politiques, non seulement ceux qui sont au pouvoir, mais aussi ceux qui se trouvent dans l’opposition politique ; ce sont aussi les chefs les plus importants de l’administration civile ; ce sont bien sûr les chefs militaires, mais aussi les commerçants les plus importants, même les intellectuels, les chefs religieux ou traditionnels, les journalistes et les propriétaires de médias, voire les dirigeants syndicaux ou les dirigeants d’associations.

Dans mon livre, je donne plusieurs exemples de pays où les élites choisissent une croissance soutenue. Mais d’autres choix peuvent être faits. Pour mieux comprendre, il est utile de revisiter un livre important du lauréat du prix Nobel, Douglass North, et de ses collaborateurs, Weingast et Wallis. Dans leur livre, Violence and Social Orders (Cambridge University Press, 2013), ils proposent de concevoir la naissance d’un État comme un pacte d’élite, un accord implicite visant à privilégier la paix plutôt que le conflit. « Un […] État gère le problème de la violence en formant une coalition dominante qui limite l’accès aux ressources essentielles - terre, travail et capital - ou l’accès et le contrôle d’activités essentielles - telles que le commerce, et l’éducation - aux groupes d’élite », écrivent-ils (page 20).

Dans mon livre, je considère que même aujourd’hui, dans tous les pays du monde, on peut comprendre la politique économique et la politique en général sous l’angle d’une entente d’élite, c’est-à-dire d’un accord implicite entre les élites politiques, les élites économiques, les chefs religieux, les intellectuels les plus importants, etc. Ces élites forment une coalition dominante pour réaliser et préserver la paix et la stabilité. Cette coalition procède d’un accord politique, d’une entente politique (qui contrôle l’État) et d’une entente économique (qui a accès aux ressources et à leur répartition). Il existe plusieurs formes d’accord possibles entre les élites.

Les kleptocrates au pouvoir

En Russie, par exemple, quand on regarde M. Poutine, le Kremlin et les principaux oligarques, cela semble être un accord entre un groupe relativement restreint qui contrôle l’État et distribue les rentes des ressources, le tout dans le but de rester au pouvoir. Un autre exemple serait celui où l’accord entre les élites conduit à faire de l’État un instrument de pillage des entreprises et du peuple, où l’accord est que ceux qui contrôlent l’État ont le droit de voler. On pourrait appeler ça une kleptocratie. Je pense que c’était comme ça au Zaïre avec le maréchal Mobutu Sese Seko et les présidents Kabila père et fils. Toutes les entreprises, tous les citoyens ont été spoliés par leur régime et l’administration qui les assistaient, bien sûr appuyés par certaines puissances occidentales pour des raisons qui leur étaient propres. Pour être honnête, je ne sais pas si ça a beaucoup changé maintenant.

Il existe également plusieurs États en Afrique et au-delà, où accéder au pouvoir signifie obtenir le droit de donner des emplois et des contrats à ceux qui vous soutiennent pour accéder au pouvoir, que ce soit par le biais d’élections ou par une autre voie. Au Kenya et ailleurs, ça s’appelle : « C’est l’heure de manger ». Ce sont des États clientélistes. Par exemple, au Malawi, même s’il s’agit d’une démocratie, l’État est structuré de manière plutôt clientéliste. Pour gagner des élections, vous avez besoin d’énormes ressources, vous avez donc besoin de commerçants pour vous financer, et ensuite vous devez récompenser les entreprises (avec des relations et des contrats de marchés publics) ainsi que vos militants par différents canaux. Après avoir pris soin de ces personnes, dont les politiciens sont devenus dépendants, s’il reste du temps et de l’énergie après leur élection, alors il est temps de « manger » à leur tour, pour leur propre bénéfice.

Les États kleptocratiques, clientélistes ou contrôlés par les oligarques et leurs entreprises ne sont pas des États qui misent sur la croissance et le développement : les élites, celles qui sont au pouvoir, ont d’autres objectifs. Qu’en est-il des États qui ont réussi à faire croître leur économie et de manière inclusive ? Que pouvons-nous en dire ? Comment obtenir la croissance et le développement ?

Pour une croissance inclusive, vous avez besoin d’un accord informel d’élites tourné résolument vers la croissance et le développement. C’est là que réside la différence dans les pays qui semblent avoir réussi à faire croître leur économie et à développer leur société de manière raisonnablement inclusive, entre ceux qui ont « gagné » et les autres qui stagnent ou « ont perdu ».

Les caractéristiques de la croissance inclusive

Ce que des pays « gagnants » ont un commun, comme l’Indonésie, la Chine ou le Bangladesh depuis les années 1980, l’Inde ou le Ghana après 1995, ou l’Éthiopie après 2005, c’est que leur entente d’élite était axée sur la croissance et le développement surtout inclusif. Quand je parle d’un engagement partagé des élites envers la croissance et le développement, je ne parle pas ici de vains mots, d’un président ou d’un Premier ministre qui affiche une ambition de développement. Je ne parle pas d’un plan imprimé sur du papier glacé - souvenez-vous de cette histoire sur la RDC que je vous ai racontée.

Il y a trois caractéristiques nécessaires pour la croissance inclusive.

(1) Il faut avoir une classe politique crédible qui prend au sérieux la paix et la stabilité. Par exemple, je ne pense pas qu’une telle classe politique existe au Pakistan, mais au Ghana depuis les années 1990, cela semble être le cas – et c’est essentiel à sa réussite économique relative au cours des vingt dernières années.

(2) Il faut avoir un État lucide sur les circonstances et ses capacités objectives, et résolument engagé au service de la croissance et du développement. Prenons deux exemples de succès relatifs très différents : au Bangladesh, l’État était assez faible et a choisi lui-même, dans les années 1980, de ne pas essayer de contrôler l’économie ; en Chine, au contraire, l’État a une histoire centralisée de peut-être 2 000 ans, et compte des centaines d’années d’administration du pays par des employés recrutés selon une logique méritocratique.

(3) Enfin, pour réussir, on ne peut pas seulement se baser sur l’idéologie, il faut aussi avoir des mécanismes de correction des erreurs bureaucratiques ou politiques. Une volonté d’apprendre est nécessaire, et cela passe par des formes de redevabilité à mesure que les politiques sont mises en œuvre : les actions et comportements sont-ils toujours cohérents par rapport à la poursuite de la croissance et du développement ? Des mesures correctives doivent-elles être introduites ? La nature de la redevabilité peut être interne, par exemple par le biais de mécanismes bureaucratiques, ou externe, par le biais d’élections ou d’autres processus existant en régime démocratique.

La tentation du statu quo

Il convient de garder à l’esprit les observations suivantes :
• les pays qui ont réussi à stimuler la croissance n’avaient pas d’institutions parfaites dès le départ ;
• ils ne se sont pas contentés de laisser le marché réguler l’économie ou de faire diriger l’économie par l’État ;
• un type de régime (autocratie ou démocratie) n’explique pas le succès économique. Aujourd’hui, le Ghana et l’Indonésie sont des démocraties relativement prospères, mais c’est aussi le cas du Malawi défaillant. La RDC sous Mobutu ou Kabila était une autocratie mais la Chine prospère l’est aussi.

Il est cependant crucial de reconnaître que pour les élites, le choix n’est pas facile. C’est un pari ! Pourquoi ? Parce que le statu quo est toujours tentant. La croissance et le développement sont difficiles, ils ont tendance à créer de nouvelles élites, ils peuvent augmenter ou réduire le pouvoir de certains.

C’est un pari que les élites n’aiment pas prendre - à moins qu’elles ne soient sous pression, par exemple en raison d’un conflit ou d’une crise profonde. Très souvent, elles bloqueront le changement, et c’est ce pouvoir de blocage qui rend la situation si difficile à changer par les gens ordinaires, via la société civile ou d’autres canaux. Les élites aiment le statu quo et savent comment le maintenir. Un pacte des élites accompagné d’un engagement commun pour le développement inclusif n’est pas facile. Mais le fait que plusieurs États très différents l’aient choisi dans un passé récent a de quoi rendre optimiste.

Quelles sont les implications de ces réflexions pour le Niger ? Les chiffres que j’ai présentés plus haut donnent une image profondément troublante. Il me semble qu’il y a eu au Niger un pacte d’élite pendant des décennies, souvent fragile et fragmenté, mais un pacte d’élite quand même, et que ce pacte n’était pas un pacte de développement ni même de croissance. Il y a des signes que cela peut changer et est en train de changer, mais néanmoins, il n’est pas certain que nous verrons un pari résolu sur le développement.

Quels sont les faits ? Une stagnation prolongée de l’économie, en termes de PIB par habitant, exceptionnelle en comparaison avec des pays aux caractéristiques similaires. Un retard par rapport à d’autres pays, dans plusieurs dimensions de la pauvreté : pauvreté monétaire, sécurité alimentaire et surtout éducation. Il faut préciser en revanche que le pays connaît une stabilité politique relative dans une région d’instabilité dangereuse, facilitée par des solutions nigériennes apportées aux problèmes nigériens, comme l’entente avec les Touaregs depuis la dernière rébellion, en 2007.

Le Niger, un État clientéliste

Comment dès lors peut-on comprendre cette situation fragile, stagnante en termes de croissance et de développement inclusifs, même si plutôt stable politiquement ? Mon cadre d’analyse des pactes des élites donne des clefs de compréhension. Comme nous l’avons vu, les États sont essentiellement le résultat d’accords, de pactes d’élite informels ou formels, et, plutôt que de se battre entre eux, la plupart des groupes d’élite sont intéressés à former des coalitions dominantes pour obtenir une certaine forme de paix et de stabilité – parce qu’il est dans leur intérêt d’obtenir le contrôle et l’accès à l’État ou aux ressources. Ceux qui ne font pas partie de ces accords d’élite ont tendance à recourir à la violence pour obtenir une position au sein de ces accords.

Le président nigérien, Mohamed Bazoum, à Washington, en décembre 2022.
Le président nigérien, Mohamed Bazoum, à Washington, en décembre 2022.
© IMF /Cory Hancock

Je pense qu’il en va ainsi au Niger : des accords sont formés pour une certaine stabilité, et, lorsqu’ils sont menacés par des forces à l’intérieur du pays, de nouveaux accords sont établis pour maintenir une certaine stabilité. Toutefois, ces ententes d’élites depuis l’indépendance n’ont jamais ressemblé à une entente de croissance et de développement.

Pour être plus clair, qui sont les élites au Niger ? Je suis sûr que vous le savez bien mieux que moi : à différentes époques depuis l’indépendance, certaines ont persisté, d’autres ont changé. Sont inclus : les chefs militaires – avant tout ; les dirigeants politiques, au pouvoir ou non ; les responsables des structures administratives civiles (je sais que les politiciens s’en plaignent tout le temps - j’ai été administrateur civil pendant longtemps -, mais ici, il est certain que les bureaucrates sont un peu une loi à eux seuls. Comme me l’a dit un haut ministre nigérien : même le président ne contrôle pas l’administration) ; des chefs religieux ou traditionnels ; comme toujours, les chefs d’entreprise et les commerçants qui financent et profitent de la politique ; et les militants des partis qui apportent leur soutien pour amener les gens au pouvoir et en profitent ensuite - et espèrent avoir accès à des emplois et/ou à de l’argent.

On peut ainsi classer le Niger dans la catégorie des États clientélistes, comme d’autres l’ont aussi souligné. Ceux qui détiennent le pouvoir récompensent (et sont censés récompenser) ceux qui les y maintiennent, que ce soit dans les affaires, dans l’armée ou dans leurs partis. Soyons clairs : je ne juge pas cela comme étant terrible en soi, la plupart, sinon tous les États du monde connaissent plus ou moins ces pratiques, y compris la Grande-Bretagne ou la France. Soyons clairs également sur le fait que j’aime la stabilité - l’économie et le développement en ont besoin. Je n’encourage pas l’instabilité comme nous l’avons vu en Libye ou en Syrie. Mais, il faut le dire, la stabilité au Niger permet à l’élite de ne pas être menacée, et la présence dans ce pays de négociations sans fin, d’ententes d’élites formelles et informelles pour maintenir le statu quo, est claire.

La stabilité sert avant tout ceux qui sont au pouvoir, car elle ne les menace pas : les arrangements entre élites que nous observons ici depuis des décennies ont permis de maintenir le statu quo.

Stabilité et stagnation vont de pair

Je voudrais également souligner que certaines forces extérieures, comme la France et les États-Unis, ont toujours aimé cette idée de stabilité par-dessus tout. Peut-être initialement à cause de l’uranium, mais plus généralement aussi parce que des partenaires stables dans la Francophonie allaient évidemment dans le sens des intérêts de la France et d’autres pays. Et en ce moment, et pour le monde entier, une certaine stabilité dans des pays du Sahel semble souhaitable.

Ce que je veux souligner cependant, c’est que la stabilité et la stagnation vont de pair, et qu’à l’époque actuelle (contrairement à l’époque coloniale ou aux premières décennies post-indépendances), les élites locales ont également le choix. Et je pense que c’est le cas ici. Il y a eu et il y a toujours une élite locale qui a la possibilité de faire des choix, soit pour le développement, soit pour son propre intérêt financier égoïste à court terme.

Revenons à ce pacte d’élite au Niger. C’est un pacte pour la stabilité, avec des liens internationaux. Cependant, pendant des décennies, avec une faible croissance économique et des progrès limités en matière de développement, c’est un pacte qui a choisi la stabilité simplement pour maintenir le statu quo. Il s’agissait de permettre la construction d’un État clientéliste, au service des personnes au pouvoir et ayant des relations. Et - et c’est là ma critique - le Niger n’est pas, à ce jour, un État qui a utilisé la stabilité ou les bonnes connexions avec les acteurs internationaux pour adjoindre à son pacte d’élite un engagement fort en faveur de la croissance et du développement.

Rappelez-vous ce que j’ai dit : les pays qui ont réussi en termes de croissance et de développement l’ont fait grâce à un pacte d’élite formel ou informel avec un engagement profond et partagé pour la croissance et le développement. Ici, cet engagement a fait défaut. En effet, si, avec le soutien international, l’élite a favorisé la stabilité, elle ne l’a pas utilisée à bon escient. Le pacte d’élite a favorisé ceux qui sont liés à l’État clientéliste : si vous êtes au pouvoir, vous redistribuez à ceux qui vous gardent ou vous ont amené là, avec des contrats et des emplois.

C’est un État qui travaille dans l’intérêt de ceux qui sont liés à l’État - et non pour l’ensemble de la population, notamment les paysans pauvres et la majorité de la population qui vit en dehors de Niamey et de quelques villes.

Des raisons d’espérer

Il est trop facile de blâmer simplement la France ou les États-Unis pour cela. Oui, le Niger est un pays avec des ressources naturelles comme l’uranium, et surtout le pétrole désormais, et oui il y a des intérêts géopolitiques. Mais il a besoin de collaborateurs à l’intérieur du pays pour transformer les rentes provenant de ces ressources naturelles en développement et non pas simplement pour se remplir les poches de manière intéressée ou pour payer ceux qui menacent la stabilité et le statu quo.

Il y a cependant de l’espoir, beaucoup d’espoir, et une fenêtre d’opportunité qui peut être saisie. Premièrement, il y a la perspective de disposer d’un peu plus de ressources. Je dis bien un peu : le Niger n’est PAS l’Arabie saoudite. Ce n’est pas l’Algérie ou la RDC. Ce n’est même pas le Nigeria en termes de possibilités de production de ressources naturelles, notamment de pétrole. Les nouveaux revenus seront probablement de l’ordre de 25 à 75 dollars par personne par an dans ce pays - cela ne rendra pas tout le monde riche. Au Nigeria, c’est 250 à 500 dollars par personne par an. L’idée que le Niger est un pays riche aujourd’hui avec beaucoup de pauvres est tout simplement fausse, et il en sera de même à l’avenir malgré les ressources naturelles. Le pétrole ne change rien à cela. Mais s’il y a de l’espoir, c’est parce que le pétrole peut aboutir à quelque chose de plus inclusif.

Deuxièmement, le président dit des choses qui vont dans la bonne direction. Il a raison de parler d’éducation - le manque d’inclusion le plus frappant, en particulier pour les filles -, de sécurité - une préoccupation essentielle pour tous - et de la corruption et des modes de gouvernance de l’État qui freinent actuellement ce pays.

Troisièmement, il y a la bonne volonté des donateurs occidentaux. La France, les États-Unis et les puissances occidentales ont besoin du Niger, non pas pour ses ressources naturelles (oubliez cela) mais pour la stabilité mondiale, et sont prêts à fournir une aide au développement sans précédent, des milliards de dollars via la Banque mondiale et d’autres organismes. C’est une opportunité. Mais cela ne fonctionnera que s’ils sont prêts à se coordonner et à agir collectivement dans l’intérêt du Niger, et non de leurs propres préoccupations et ambitions politiques.

Une occasion unique

Comment transformer ces intentions en un véritable pari sur le développement au Niger ? C’est la responsabilité de l’élite. Pas seulement le président, ou même les politiciens, mais toute l’élite qui en a bénéficié, ou qui utilise l’instabilité politique ou même la violence pour obtenir une part du gâteau pour elle-même.

Permettez-moi de vous livrer les trois choses qui, à mon sens, doivent se produire pour transformer l’entente des élites en une entente du développement, un pari sur le développement.

(1) Concernant la classe politique et le président : comme l’a montré l’exemple de la RDC, un simple plan brillant, comme le Plan de développement économique et social 2022-2026 (PDES), ne suffit pas. Les priorités sont bonnes, pas nombreuses, mais dans tous les cas stimulantes. Les paroles doivent être suivies d’actes, et cela ne consiste pas simplement à disposer de plus de financements, mais à les affecter à la mise en œuvre du plan, et surtout en acceptant d’être jugé sur ses succès et ses échecs.

(2) Les nouvelles ressources provenant du pétrole, et en général de toutes les ressources naturelles, devront être gérées de manière transparente et dans le but d’investir et non de renforcer ceux qui ont le pouvoir dans l’État. De nombreux pays dilapident les revenus presque immédiatement. Pensez au Ghana. Il faut une gestion prudente et transparente car ce sont les ressources qui peuvent fournir la base de la croissance future et du développement et de l’inclusion à long terme. La mauvaise gestion de ces ressources est le plus grand risque connu.

(3) Enfin, et c’est le plus difficile, il ne s’agit jamais seulement du président ou du ministre des Finances. Ou même des politiciens au pouvoir. Comme l’ont montré des pays comme l’Indonésie, la Chine ou le Bangladesh, et même l’Éthiopie et le Ghana, la croissance et le développement nécessitent un engagement plus large des élites. Les élites qui contrôlent le pays doivent être conscientes qu’il s’agit d’un carrefour, d’un moment rare où les ressources arrivent, et d’un contexte local et international qui permettra de parier sur la croissance et le développement au sens large. C’est sans doute un risque pour l’élite : la croissance et le développement peuvent déstabiliser leurs propres positions. Cela réduira les possibilités de l’État clientéliste. Toutefois, en travaillant de manière coopérative, la croissance servira également ses propres intérêts et ne se contentera pas d’en enrichir certains au détriment de la majorité de la population. C’est difficile, mais c’est un pari que les élites doivent prendre.

Ce dernier point est le plus difficile. Il faudra des politiques et des accords crédibles pour maintenir la stabilité. Mais il faudra un État beaucoup moins clientéliste, jugé sur ses performances et ses résultats, et une économie plus dynamique, moins basée sur les liens avec l’État. D’autres pays ont montré qu’une coalition dominante pour la croissance et le développement est possible et offre également des opportunités - il appartient à ceux qui ont le pouvoir et l’influence dans ce pays de la façonner également.

Je ne pense pas que vous aurez une meilleure chance qu’aujourd’hui à l’avenir, étant donné ce qui se passe avec les combustibles fossiles et le changement climatique, ou avec la géopolitique mondiale. Je ne pense pas non plus que vous puissiez attendre beaucoup plus longtemps étant donné les menaces persistantes d’instabilité. Mais si, au cours de la prochaine décennie, il n’y a pas de progrès et une plus grande inclusion de la population rurale plus pauvre dans l’économie, je suis presque sûr que cela remettra encore plus en question la position de l’élite actuelle. À eux et à vous je dis : « Il est peut-être temps de parier sur le développement. »