
La demande du Niger a été rendue publique le 3 septembre par la cheffe d’une délégation d’experts du FMI en mission à Niamey, Ha Vu. Cette dernière a précisé que le Niger, en tant que membre du FMI, avait demandé un appui technique pour améliorer et renforcer sa gouvernance, s’alignant sur la politique du FMI de renforcement de la gouvernance au sein des pays membres.
Depuis le coup d’État du 26 juillet 2023, le Niger expérimente les difficultés de reconstruire la fluidité de la circulation monétaire et la fiabilité du système bancaire. Dès que la trajectoire politique d’un pays s’écarte du cadre défini par l’ordre postcolonial, qui perdure, la sphère financière se transforme en champ de bataille, avec des théâtres d’opérations divers et complexes.
Cela fait déjà près de quinze ans que le pays éprouve des menaces croissantes sur sa sécurité intérieure et extérieure. Avant le renversement de Mohamed Bazoum, le budget finançait déjà la guerre qu’imposent les groupes armés non étatiques, dans un contexte de finances publiques lourdement obérées par la gestion erratique des gouvernements civils du président renversé et de son prédécesseur Mahamadou Issoufou.
Une crise de liquidité issue du coup d’État
Le renversement du président Mohamed Bazoum a dressé contre les nouvelles autorités du pays la France, la plupart des membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). À travers l’Uemoa et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), son institut d’émission qui réglemente la sphère financière des pays membres, dont le Niger, les sanctions commerciales et financières imposées pendant six mois au pays ont ébranlé le système bancaire nigérien. Le Niger se trouve, depuis lors, confronté à une crise de liquidité. La crise de liquidité se distingue de l’insolvabilité. Un pays est insolvable quand il ne peut pas rembourser à terme sa dette. La crise de liquidité se caractérise par la réduction des possibilités pour les agents économiques nationaux de transformer en monnaie locale leurs actifs (obligations, champs pétroliers, revenus en devises), et elle induit pour l’État un coût financier et politique supplémentaire pour obtenir des avances bancaires à court terme afin de régler des échéances immédiates.
L’un des défis les plus urgents à relever actuellement pour la population est donc la difficulté d’accès à la monnaie fiduciaire. Cette catégorie de la monnaie est celle utilisée par tous les ménages et surtout ceux de la classe moyenne et les pauvres. Il s’agit des billets et des pièces de la monnaie en circulation, en l’occurrence le franc CFA de l’Uemoa. Pour pouvoir disposer de billets libellés en CFA, il faut au préalable que le système bancaire puisse transformer les actifs inscrits dans ses comptes (salaires versés, transferts reçus de l’étranger, loyers payés par chèque) en monnaie fiduciaire délivrée par le distributeur automatique de billets ou par le guichet bancaire.
Le manque de liquidité affecte depuis des mois l’économie monétaire et financière du pays. Cette délicate situation coexiste avec les bonnes performances de la croissance nigérienne calculée et estimée1 sur la base de la valeur ajoutée de la production pétrolière ou des récoltes. Le FMI et les bailleurs de fonds calculent automatiquement la croissance du Produit intérieur brut (PIB) à partir de l’accroissement du nombre de barils de pétrole ou de tonnes de mil produites, sans prendre en compte la part qui restera dans la richesse nationale.
Le déclic du FMI
En réalité, les flux financiers dont bénéficie le Niger se réduisent, malgré la croissance nominale du PIB. Le pétrole exporté profite d’abord aux actionnaires chinois et aux prêteurs divers de la société nationale pétrolière tandis que traders et transporteurs prélèvent leur marge. Le modèle du FMI amplifie les promesses de la croissance économique et sous-estime le poids de la dette et la charge du crédit.
Dans ce contexte, la décision du FMI en faveur du Niger, annoncée le 14 juillet 2025, a été un soulagement pour le Premier ministre et ministre des Finances, Ali Lamine Zeine. Le conseil d’administration du FMI, où la France s’oppose régulièrement aux autres administrateurs en demandant de bloquer tout décaissement en faveur de Niamey, a décidé de procéder au décaissement immédiat d’environ 41 millions de dollars au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) et de la Facilité pour la résilience et la durabilité (FRD). Le FMI a noté à cette occasion que tous les critères ouvrant droit à décaissement étaient respectés, sauf celui portant sur la non-accumulation de nouveaux arriérés extérieurs2.
Le FMI a la charge de veiller à ce que l’ordre financier mondial soit maintenu en conférant la priorité au paiement des sommes dues au titre des engagements extérieurs des États, ce que l’on nomme la dette souveraine. Mais, en consentant au dernier décaissement, l’organisation ne fait pas une faveur au Niger. Elle constate que la menace de blocage de l’économie provient des arriérés intérieurs et du manque de liquidité dans le secteur financier. La question des arriérés extérieurs, au cœur des missions du FMI, ne saurait être résolue que par la reprise des activités des établissements financiers et l’accumulation de réserves nationales en devises.
Le moment de vérité
Le FMI doit aussi reconnaître implicitement, au Niger comme dans de nombreux pays – dont le Sénégal, menacé par l’insolvabilité de sa dette souveraine –, qu’il a fermé les yeux sur la gestion des gouvernements précédents. Ces derniers, sous leur couvert néolibéral, ont mis en œuvre des modèles erronés et dissimulé la dégradation des comptes publics, dont la dette. Tous les financements actuels du FMI en direction du Niger remontent à l’époque du président déchu Mohamed Bazoum. Ainsi, l’accord avec le Niger approuvé le 8 décembre 2021 et complété en juillet 2023, quelques jours avant le coup d’État, a été prolongé jusqu’en décembre 2026, afin « de soutenir la mise en œuvre de réformes supplémentaires destinées à consolider les récents progrès réalisés en matière de gouvernance, à ancrer des politiques budgétaires judicieuses et à répondre aux besoins de financement de la balance des paiements qui persistent en raison d’un environnement de financement restrictif. »
Le FMI reste fidèle à sa ligne de conduite qui est d’assurer la fluidité des paiements du commerce entre les nations et le versement régulier des échéances de la dette souveraine aux créanciers, à commencer par lui-même. Mais il ne peut que constater les difficultés de balance des paiements du Niger. Et le FMI n’ignore pas que la crise de la balance des paiements prend sa source bien avant juillet 2023. Les facilités accordées en 2021 et 2023 se situent d’ailleurs au moment même où l’accroissement de la dette extérieure publique et son coût ne peuvent plus être cachés. L’effet d’atténuation du service de la dette a, en effet, disparu à la fin des périodes de restructuration de la dette nées de l’initiative pays pauvres très endettés (initiative PPTE, 2004) puis de l’initiative pour l’allègement de la dette multilatérale (IADM, 2007)3.
Toujours sous Bazoum, le Niger est arrivé en 2023 à la fin d’un programme financier de 167 millions de dollars sur quatre ans avec le FMI. Le pays avait vu le niveau de sa dette extérieure remonter à un tel point que le président Macron avait convoqué à Paris, le 18 mai 2021, un sommet pour un soutien à l’économie africaine après la crise sanitaire. Cette rencontre, à laquelle avait participé Mohamed Bazoum, tout juste élu, avait été l’occasion d’envisager des moyens de soulager la pression de la dette extérieure. Le président nigérien était très conscient de la gravité de la situation et il avait profité du sommet pour prendre contact avec des conseillers juridiques et financiers afin qu’ils l’aident à faire face à ses obligations extérieures. Finalement, selon Confidentiel Afrique4, Dominique Strauss Khan avait initié en octobre 2021 une mission de traitement de la dette. « L’ex-ministre des Finances et ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) Dominique Strauss-Kahn était à mi-octobre 2021 à Niamey, où il a été reçu discrètement par le locataire du palais de Niamey. […] DSK a été introduit par un ex-fonctionnaire du FMI, qui a travaillé pour le compte de la Division Afrique, l’actuel ministre nigérien des Finances Ahmet Jidoud. »
Quoi qu’il en soit, le FMI refinance le Niger de Bazoum alors que la dette extérieure est devenue insupportable du fait des dérapages antérieurs. L’institution de Bretton Woods choisit alors de soutenir la stabilité politique – illusoire ? – du système Issoufou plutôt que de dire la vérité sur les comptes de la dette et de proposer une sortie de l’impasse par une nouvelle politique financière.
Les comptes de la dette extérieure
Quand le président Bazoum s’affole et que le FMI poursuit son soutien à travers une nouvelle facilité de crédit, qui court encore aujourd’hui, le Niger est déjà extrêmement endetté à l’extérieur, principalement auprès des institutions financières internationales (FMI, Banque mondiale et Banque africaine de développement) et de l’Agence française de développement (AFD). Il est également débiteur de la major pétrolière publique China National Petroleum Corporation (CNPC), qui lui a prêté, en 2008, 880 millions de dollars pour construire la raffinerie de la Soraz (Société de raffinage de Zinder). Ce prêt est garanti par l’État nigérien à hauteur de 352 millions de dollars, et il aurait dû être intégralement remboursé en 2023. Mais, en réalité, le Niger devait beaucoup plus en raison de nombreuses malversations commises à la société nationale du pétrole (Sonidep) et au ministère du Pétrole. Lorsque la Sonidep ne règle pas les fournisseurs et les traders des produits pétroliers raffinés qu’elle importe ou qu’elle exporte à partir de la raffinerie, la dette publique augmente, car c’est l’État qui se retrouve alors à devoir rembourser les créanciers.
Le coup d’État n’a pas fait la lumière sur les modifications des contrats de partage de production pétrolière (CPPP) entre la Chine et le Niger. L’audit commandé sur les hydrocarbures par le nouveau gouvernement ne sera pas rendu public de sitôt, tant il fait apparaître, dans la cession au géant chinois, la reconnaissance de nombreux droits en contrepartie de crédits divers aux entreprises publiques et aux ministères. Malgré ce lourd fardeau, la nouvelle équipe au pouvoir obtient cependant de la CNPC, en avril 2024, un crédit de 400 millions de dollars à un taux élevé (7 %).
Autre créancier qui coûte cher, la Deutsche Bank. En janvier 2020, cette dernière a monté un prêt-relais de 225 millions d’euros (148 milliards de francs CFA, soit 1,9 % du PIB) pour permettre au Niger de faire face à ses soucis financiers, notamment le remboursement de créanciers surtout intérieurs : des amis du régime bénéficiaires de créances plus ou moins fictives qu’il fallait gratifier avant la fin du mandat de Mahamadou Issoufou. Ce procédé, par lequel les autorités nigériennes ont échangé une partie de leur dette intérieure contre de la dette extérieure en devises, n’a pas permis d’assainir réellement le passif de l’État, et encore moins de vérifier quelle proportion de l’argent réclamé au ministère des Finances trouvait sa source dans des marchés fictifs octroyés à des protégés politiques.
Une augmentation continue de la dette depuis 2012
En 2024, le Niger reconnaît une dette de 5,5 milliards de dollars (y compris 735 millions vis-à-vis du FMI) dont le remboursement représente 16 % des recettes budgétaires de l’année. En termes de structure, la dette extérieure nigérienne a augmenté continuellement depuis 2012 jusqu’à constituer en moyenne 69,6 % de la dette publique entre 2016 et 2020.
Les créanciers multilatéraux représentent environ les quatre cinquièmes de cette dette, le pays empruntant auprès de la Banque mondiale, puis de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et de la Banque africaine de développement. La dette bilatérale officielle (AFD, Belgique, Inde, Chine) représente le cinquième restant. La dette commerciale (117,21 milliards de francs CFA) se gonfle de l’emprunt auprès de la Deutsche Bank contracté en 2020 : elle représente 4,78 % de la dette extérieure totale.
Estimée en moyenne à 2,8 % du PIB entre 2008 et 2014, la dette publique intérieure a commencé à augmenter dès 2015, jusqu’à atteindre en moyenne 30,4 % de l’endettement public entre 2016 et 2020. Son encours est dominé par les titres publics, avec en moyenne 62,15 % d’obligations du Trésor et 22,87 % de bons du Trésor émis pour la période 2016-2020. À partir de 2018, les contrats de partenariats public-privé (CPPP) sont devenus une composante significative de la dette intérieure, et représentaient 4,2 % de l’endettement domestique en 2018 et jusqu’à 9,4 % en 2020. Comme dans d’autres pays africains, dont le Sénégal, la floraison des contrats de partenariats public-privé nourrit une dette fluctuante dont la quantification est difficile.
Une dette intérieure détenue par les banques
La dette intérieure reste détenue très majoritairement par les banques domiciliées au Niger ou dans le reste de l’Uemoa. Les banques maliennes ont acquis des centaines de milliards de bons du Trésor du Niger bien avant le coup d’État. Comme au Sénégal, le FMI et la Banque mondiale, qui ont pourtant procédé à une analyse de viabilité de la dette extérieure nigérienne, n’ont pas fait apparaître ces distorsions des chiffres de l’endettement.
Mais le vrai défi pour Niamey va finalement surgir du blocus de son financement national orchestré par Paris et la BCEAO au lendemain du coup d’État de 2023.
Le 24 février 2024, la Cedeao ordonne la levée des sanctions économiques et financières ordonnées six mois plus tôt. Ces sanctions n’ont pas eu l’effet escompté : Mohamed Bazoum reste en détention, et le gouvernement intérimaire, dirigé par le général Abdourahmane Tiani, n’a toujours pas adopté de feuille de route de restauration de la démocratie. Au contraire, les mesures de coercition commerciale et financière ont pratiquement paralysé l’économie nigérienne et frappé de plein fouet une population déjà extrêmement vulnérable. Sur les marchés de Niamey, les prix des denrées alimentaires ont augmenté en moyenne de 75 % pendant les six mois des sanctions.
Les effets de la punition
Avec l’embargo, les opérateurs économiques ont dû s’approvisionner par des circuits parallèles au Bénin et au Nigeria, principaux fournisseurs du pays. Les convois de marchandises lourdes ont été contraints d’emprunter le corridor Lomé-Ouagadougou-Niamey, un itinéraire long (1 242 km) et exposé aux attaques des groupes armés. Cette situation s’est répercutée sur la liquidité car, pour contourner le blocus interdisant la livraison de marchandises au Niger et coupant les banques nigériennes du reste du monde, les opérateurs retirent leur argent des banques de Niamey et le placent au Bénin, au Togo et en Côte d’Ivoire.
Les nouvelles autorités nigériennes mettent en avant quelques réponses peu efficaces pour trouver des ressources : le Fonds de solidarité pour la sauvegarde de la patrie (FSSP), la Commission de lutte contre la délinquance économique et fiscale (Celdef) et la nomination d’officiers à la tête de sociétés d’État chargés de recouvrer les créances. Mais ces décisions ne vont pas améliorer la disponibilité des liquidités. Elles vont même, au contraire, faire douter de la réelle volonté du nouveau pouvoir d’en finir avec la corruption systémique.
Pendant les sanctions et après leur levée, le Premier ministre, Ali Lamine Zeine, affronte l’arrêt des financements extérieurs, notamment des principaux bailleurs de fonds. À ce moment-là, le pays est confronté à une accumulation des arriérés de paiement de la dette extérieure, ce qui constitue un défaut de paiement selon la définition de l’agence de notation Moody’s.
La solidarité de la place financière
Pas de salut à attendre des sources habituelles de soutien au redressement économique. Ce sont donc, malgré une dette de l’État de 1,2 milliard de dollars vis-à-vis du secteur bancaire intérieur, les établissements financiers de Niamey, et en particulier les banques à capitaux marocains, qui tirent d’affaire le nouveau pouvoir. Ainsi le groupe marocain BCP, actionnaire de la banque nigérienne BIA, consent un crédit au gouvernement pour recapitaliser certaines banques.
Ces dernières restent toutefois menacées par une marge opérationnelle trop faible compte tenu des prêts non remboursés par les opérateurs et l’État. Fin décembre 2024, cinq banques enregistrent des arriérés de crédits fournisseurs (des prêts et des avances pour acheter les biens et services fournis à l’État par des entrepreneurs) à hauteur de 151 millions de dollars. Le ratio de solvabilité des banques est passé de 20 % en juillet 2023 à 10 % en décembre 2024. Le montant des créances douteuses a augmenté, lui, de 15 % du portefeuille des banques en 2019 à 25 % fin 2024.
À ce niveau, la rentabilité des banques est menacée, car les intérêts reçus ne couvrent plus les charges d’exploitation. Du côté des actifs liquides, les banques ne détiennent plus que 138 millions de dollars déposés à la BCEAO. Leur capacité à prêter aux entreprises de taille moyenne et petite, le tissu économique du pays, est gravement altérée.
La politique de crédit répressive de la BCEAO
Les sanctions ont mis en lumière la politique de crédit répressive de la BCEAO par le relèvement des taux directeurs depuis la pandémie de Covid-19. Conjuguée aux sanctions, cette a provoqué au Niger une contraction de la masse monétaire de 0,9 % et une diminution des créances sur l’économie de 7,3 % en 2023. Si la plupart des catégories de recettes publiques ont été affectées, ce sont surtout celles liées au commerce international (droits de douane) ainsi que divers impôts et taxes intérieurs (80 % des recettes fiscales intérieures reposent sur le secteur formel) qui ont subi une baisse sensible.
Le déficit budgétaire a été financé par les appuis dits budgétaires pour plus de 50 % de son montant, ainsi que par le recours au financement bancaire intérieur et l’accumulation d’arriérés sur la dette. La situation de la dette publique s’est ainsi détériorée concomitamment à l’accumulation des arriérés de paiement du fait des sanctions5.
La levée des sanctions n’a pas induit le retour automatique de la liquidité des banques. Les dépôts des ménages ont diminué du fait de la crainte de nouveaux blocages ; l’État accumule toujours – comme avant le coup d’État, mais pour d’autres raisons – des arriérés vis-à-vis du secteur privé, qui, lui-même, ne rembourse toujours pas les banques. Parallèlement, les grands commerçants ont vu leurs chiffres d’affaires diminuer avec la fermeture de la frontière avec le Bénin, principal corridor commercial du pays.
Les perspectives de solution
La bonne nouvelle du décaissement en juillet 2025 de la facilité de crédit du FMI pourrait être confortée par une action spécifique de la Banque mondiale en faveur du secteur financier nigérien. Il s’agit du programme « Niger Financial Sector and MSMEs Recovery »6.
Face à la grave détérioration du système financier nigérien, la Banque mondiale propose de financer un Special Purpose Vehicule (SPV) de 300 millions de dollars. Un SPV est un fonds spécial, comme celui, financé par l’État et les contribuables, qui avait accueilli en France les créances douteuses ou impayées du Crédit lLyonnais. Au Niger, le fonds garanti par la Banque mondiale serait alimenté par les souscriptions d’investisseurs de la région et d’investisseurs internationaux. En contrepartie de cet argent, le SPV reprendrait à son bilan les arriérés de l’État vis-à-vis du secteur privé et bancaire, moyennant une décote de 5 %. En échange, les créanciers de l’État bénéficieraient de titres rémunérés à 7 %. Une partie des bons du Trésor échus et non payés pourrait aussi y être déposée. Ce mécanisme allégerait sans conteste la charge immédiate de l’État et pourrait contribuer à l’amélioration de sa notation sur les marchés financiers : les banques verraient leur portefeuille de prêts amélioré, jouiraient donc d’une meilleure solvabilité qui pourrait ouvrir un plus grand accès aux marchés de la liquidité. D’autant plus qu’elles assureraient la gestion d’une ligne de 80 millions de dollars apportés par la Banque mondiale à destination des petites et moyennes entreprises.
Mais un tel montage a l’inconvénient de ne pas clarifier l’origine douteuse de nombreux arriérés. Le retour de la crédibilité de l’État du Niger sur de telles bases est ainsi configuré dans le seul objectif de rassurer les marchés financiers, sans chercher à explorer la profondeur et l’appétit d’un marché intérieur national, voire celui plus large de l’Alliance des États du Sahel (AES), et à restaurer la confiance des citoyens vis-à-vis de leur gouvernement et de leurs établissements bancaires. La Banque mondiale veut donc rééditer, en plus subtil et mieux géré, le schéma de 2020 monté par Issoufou avec la Deutsche Bank : troquer une dette intérieure dont l’origine, la composition, la validité, la solidité, la pertinence, le montant et l’identité ne sont pas établis, contre une dette extérieure à rembourser inéluctablement.
Les flux financiers illicites, une perte pour le Sud, un gain pour le Nord
Les trois pays de l’AES ont cumulé des montants considérables de flux financiers illicites (FFI)7 extérieurs perdus pour l’économie et les finances publiques nationales. En 2024, la perte fiscale annuelle subie du fait des FFI est de près de 12 millions de dollars pour le Burkina, 12,8 millions pour le Mali et 16,3 millions pour le Niger8. En Afrique, la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced) considère que 90 milliards de dollars a minima se volatilisent chaque année du continent, ce qui aggrave la dette.
Ce montant est presque aussi important que le total des flux entrants de l’aide publique au développement. Alors que, souvent, les pays riches se présentent comme des bailleurs de fonds altruistes dans l’imaginaire collectif, les données révèlent une réalité inversée : les pays du sud transfèrent plus de ressources au Nord qu’ils n’en reçoivent, à travers le service de la dette, la fuite des capitaux, les transferts des bénéfices par les multinationales et les flux financiers illicites.
L’exploitation du Niger par le géant français du nucléaire Areva/Orano et par la compagnie pétrolière chinoise CNPC n’a pu se perpétuer qu’avec la complicité des dirigeants du pays. La lutte du Niger pour obtenir une meilleure rémunération de son uranium a été décrite par Oxfam en 2014 comme le « fascinant combat de David contre Goliath dans le pays le plus pauvre du monde ». Aujourd’hui, les calculs du FMI devraient prendre en compte, derrière la croissance nominale et virtuelle affichée, la réalité des flux d’argent sortant d’Afrique, et en l’occurrence du Niger. L’uranium n’aura jamais profité au peuple nigérien, et la brutalité du capitalisme fossile français9 est sans doute l’une des racines du rejet de la France exprimé après le renversement de Bazoum. À travers épreuve de force et négociation, le Niger s’efforce aujourd’hui de ne pas rééditer le même rapport inégal avec la compagnie nationale pétrolière chinoise.
Un allégement nécessaire de la dette
Cette situation d’oppression que connaissent le Niger et ses pairs africains impose la réforme de l’architecture de la dette souveraine bâtie au détriment des pays pauvres et en faveur du capitalisme financier dominant. Il faut se rendre à l’évidence : un allègement de la dette est nécessaire pour permettre aux pays les plus pauvres et surendettés d’avoir une chance de connaître une croissance économique soutenue et une prospérité durable. Le système mondial doit évoluer pour répondre aux enjeux du XXIe siècle et garantir à toutes les économies en développement des conditions de prêt équitables, écrivait l’économiste Indermit Gill sur le blog de la Banque mondiale en décembre 2024 dans « Financement du développement : des économies en souffrance ». Les emprunteurs souverains devraient bénéficier d’au moins quelques-unes des protections que les législations nationales accordent habituellement aux entreprises et aux personnes surendettées. Les créanciers privés qui consentent aux pays pauvres des prêts risqués et assortis de taux d’intérêt élevés devraient assumer une juste part des coûts lorsque leur placement tourne mal.
Mais en attendant la réforme toujours insatisfaisante, incomplète et reportée de l’ordre international de la dette, le Niger a devant lui douze mois délicats pour jeter les bases du réamorçage de la liquidité bancaire et de l’amélioration de la circulation monétaire.
Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables) :
Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables).

Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1Le FMI écrit en juillet 2025 : « Portée par le lancement des exportations de pétrole brut et par des récoltes exceptionnelles, la croissance est estimée à 10,3 % pour l’année 2024 et elle devrait rester robuste, à 6,6 % en 2025, en dépit des nombreux défis. »
2Les arriérés extérieurs correspondent à des échéances dues de la dette vis-à-vis de prêteurs étrangers.
3Les deux accords pour l’IPPTE et l’IADM (2004 et 2007) avaient été signés par Ali Lamine Zeine, ministre des Finances de l’époque.
5Le ratio dette publique/PIB est passé d’environ 50 % en 2022 à près de 60 % en 2024 (même si ce niveau reste nettement inférieur au plafond de 70 % fixé par les critères de convergence de l’Uemoa).
6(Document P507762 de la Banque mondiale.)
7Les FFI sont des mouvements d’argent ou de capitaux d’un pays à l’autre, ou des fonds illégalement gagnés, transférés et/ou utilisés à travers une frontière internationale.
8Tax Justice Network, « Justice fiscale : état des lieux 2024 », novembre 2024.
9Taroor Ishaan,« The coup in Niger puts spotlight on nation’s uranium », dans le Washington Post du 1er août 2023.
10Le FMI écrit en juillet 2025 : « Portée par le lancement des exportations de pétrole brut et par des récoltes exceptionnelles, la croissance est estimée à 10,3 % pour l’année 2024 et elle devrait rester robuste, à 6,6 % en 2025, en dépit des nombreux défis. »
11Les arriérés extérieurs correspondent à des échéances dues de la dette vis-à-vis de prêteurs étrangers.
12Les deux accords pour l’IPPTE et l’IADM (2004 et 2007) avaient été signés par Ali Lamine Zeine, ministre des Finances de l’époque.
14Le ratio dette publique/PIB est passé d’environ 50 % en 2022 à près de 60 % en 2024 (même si ce niveau reste nettement inférieur au plafond de 70 % fixé par les critères de convergence de l’Uemoa).
15(Document P507762 de la Banque mondiale.)
16Les FFI sont des mouvements d’argent ou de capitaux d’un pays à l’autre, ou des fonds illégalement gagnés, transférés et/ou utilisés à travers une frontière internationale.
17Tax Justice Network, « Justice fiscale : état des lieux 2024 », novembre 2024.
18Taroor Ishaan,« The coup in Niger puts spotlight on nation’s uranium », dans le Washington Post du 1er août 2023.