ÉDITO
DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE. DOUBLE PEINE POUR LE SAHEL
On a beaucoup parlé, en Europe, des inondations qui ont ravagé l’Espagne, et notamment la région de Valence, en octobre. Le bilan, terrifiant (223 mort
es, 78 disparu es, des milliers de déplacé es), et les images des crues destructrices, glaçantes, ont suscité l’émoi et ont mis une nouvelle fois en lumière les conséquences immédiates du dérèglement climatique et l’urgence de rompre avec le système capitaliste qui en est la principale cause.On a beaucoup moins parlé des précipitations ravageuses qui, ces quatre derniers mois, ont causé des centaines de morts, peut-être des milliers, dans la région sahélienne. On a beaucoup moins montré les vidéos, tout aussi effrayantes, de ces rues dévastées ou de ces steppes inondées. Du Sénégal au Soudan, la saison des pluies a été particulièrement meurtrière cette année.
Au Niger, elle a provoqué la mort de 391 personnes, l’effondrement de plus de 150 000 maisons, la destruction de près de 2 500 salles de classe et la perte de plus de 25 000 têtes de bétail, selon un bilan des Nations unies daté du 16 octobre. Près de 1,5 million de personnes ont été touchées par les intempéries. Au Mali, où l’on a enregistré les précipitations les plus importantes depuis 1967, les pluies ont fait, toujours selon l’ONU, 76 mort es et 148 blessé es, et ont provoqué l’effondrement de 37 000 bâtiments. Sur les quelque 260 000 sinistré es, on compte 70 % de femmes et d’enfants. Au Nigeria, le bilan est de 251 mort.es et 225 000 déplacé es. 115 000 hectares de terres agricoles ont été inondés. Au Tchad, les Nations unies ont enregistré 576 décès dus aux inondations et près de 2 millions de personnes affectées (10 % de la population du pays). Au Soudan, les pluies ont touché 1,4 million de personnes, selon l’ONU, dont un tiers ont été contraintes de quitter leur foyer. Au Cameroun, 56 000 maisons ont été détruites, et des dizaines de milliers d’hectares inondés.
Dans tous les pays cités, les ravages du ciel sont venus ajouter aux drames de la guerre, qui continue de faire des victimes par dizaines chaque mois. D’autres pays ont été touchés, comme le Sénégal, où plus de 56 000 personnes ont été déplacées dans l’Est, le Liberia, la Guinée...
Ces inondations n’ont pas seulement causé des pertes humaines tragiques, elles ont (et auront) également des répercussions économiques graves. Pour ce qui est du Niger, « la destruction de milliers d’hectares de cultures et d’infrastructures clés pourrait entraîner des pertes économiques estimées à plusieurs milliards de francs CFA, aggravant la précarité des populations touchées », précise le Bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha), un organisme onusien. Autre conséquence, sociale celle-ci : au Niger, la rentrée scolaire a dû être reportée d’un mois. Cela signifie un mois de cours en moins pour les enfants, qui subissent déjà les nombreuses défaillances d’un système éducatif à l’agonie.
Il y a une explication conjoncturelle à cette série de drames. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) notait en septembre que « les quantités de précipitations enregistrées dans la bande sahélienne étaient globalement supérieures de 120 % à 600 % à la moyenne de la période de référence 1991-2020 ». Les pluies ont été plus intenses. Elles ont touché plus de régions également. Ainsi, le nord du Tchad, désertique, n’est pas concerné par la mousson habituellement ; cette année, si.
Faut-il le rappeler encore une fois ? N’en déplaise aux climatosceptiques qui continuent de nier l’évidence dans des médias complaisants, ce phénomène est directement lié au dérèglement climatique. Et ce dérèglement est le résultat du modèle économique capitaliste qui pollue la planète. Or ce que les Européens découvrent depuis quelques semaines, dans un émoi légitime, les Sahéliensavent depuis longtemps. Dans cette région du monde, voilà plusieurs années que l’on attend les premières pluies avec impatience, mais aussi avec inquiétude, car l’on sait, désormais, que l’eau, si essentielle à la vie, peut aussi entraîner la mort et la dévastation. Chaque année, ce sont des milliers de personnes qui sont impactées par des pluies de plus en plus torrentielles, bien souvent dans un silence médiatique d’autant plus assourdissant que les populations sahéliennes sont en première ligne sur le front du réchauffement, alors qu’elles sont probablement parmi celles dont l’activité a le moins d’impact sur le climat.
nes leDe fait, voilà longtemps que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) tire la sonnette d’alarme et évoque un avenir sombre pour le Sahel, dont il annonce qu’il figurera parmi les premières zones impactées par le changement climatique. « [L’]intensification du cycle hydrologique est conforme à la théorie de Clausius-Clapeyron, une atmosphère plus chaude contenant plus de vapeur d’eau et devenant plus explosive, affirmaient en 2018 plusieurs chercheurs français. Elle a été observée dans d’autres régions du monde, mais le Sahel semble être la région du continent africain où elle est la plus manifeste. » Or, ajoutaient-ils, « ce nouveau climat a des conséquences particulièrement graves […] en rendant les récoltes plus aléatoires du fait de périodes sèches plus sévères […] et en augmentant la fréquence des inondations ». Une double peine, en quelque sorte.
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DANS L’ACTU
GÉNOCIDE DES TUTSIS DU RWANDA : LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF NE JUGERA PAS LES ACTES DE LA FRANCE
Les relations internationales de la France bénéficient d’une immunité devant la juridiction administrative. C’est-à-dire qu’un acte pris au nom de la France (par unrecours déposé par 2 associations et 21 victimes contre la France pour sa responsabilité dans le génocide des Tutsi es du Rwanda, en 1994.
e ministre ou par un e militaire de haut rang par exemple) dans le cadre des relations avec un autre État ne peut être jugé d’un point vue administratif. C’est du moins le sens de la décision rendue ce jeudi 14 novembre par le Tribunal administratif de Paris sur leLes requérantl’abandon des employé, la non-intervention sur la colline de Bisesero, fin juin 1994, des soldats de l’opération militaro-humanitaire Turquoise pour sauver des Tutsi es de l’ambassade de France es qui se faisaient massacrer, ou encore la non-dénonciation de l’accord de défense qui liait depuis 1975 la France et le Rwanda, et ce malgré la connaissance des projets funestes du régime.
es estimaient que l’État français devait répondre d’« actes » et de « non actes » pris avant, pendant et après le génocide. Parmi eux :Le Tribunal administratif s’est donc déclaré incompétent sur « ces décisions et actes non détachables de la conduite des relations internationales de la France ». « Dans ce droit [administratif], on distingue les actes détachables, qui relèvent de l’action privée, et les actes non détachables, qui relèvent de l’action publique », explique la spécialiste du droit pénal international, Anne-Laure Chaumette.
Le Collectif des parties civiles du Rwanda (CPCR), qui fait partie des requérant es, a tenu à rappeler que « l’exécutif français pouvait éviter ce génocide : non seulement il n’en a rien fait, mais son soutien politique, diplomatique, militaire aux extrémistes hutus a été continu avant, pendant et après le génocide qu’ils ont commis ». Il a décidé de faire appel.
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