La lettre hebdomadaire #101

Cocotte-Minute

L'image représente un volcan majestueux, entouré de nature. Au premier plan, de grandes feuilles vertes ajoutent une touche de verdure. En arrière-plan, on peut apercevoir la caldeira du volcan, où des nuages de vapeur blanche s'échappent, créant une atmosphère mystérieuse. Le ciel est couvert de nuages, laissant transparaître une lumière diffuse, tandis que les parois du volcan sont marquées par des teintes terreuses, mêlant le gris et le brun. La scène évoque une puissance naturelle, accentuée par le son potentiel du souffle de la terre.
© Alejandro Leiton / Unsplash

L’ÉDITO

CONGO-BRAZZAVILLE. UNE JEUNESSE ENSHÉRENCE, UNE SOCIÉTÉ EN ÉBULLITION

Il a fallu un drame terrible pour que le Congo-Brazzaville sorte (un peu) de l’abîme médiatique dans lequel il se trouve habituellement. Dans la nuit du 20 au 21 novembre, entre 30 et 40 personnes sont mortes, et au moins 160 ont été blessées, dans une bousculade devant le gymnase Michel-d’Ornano, à Brazzaville. En très grande majorité, il s’agit de jeunes âgés de 18 à 25 ans : ils et elles venaient pour participer à un concours organisé par l’armée dans l’objectif d’enrôler 1 500 recrues. Très vite, le nombre de candidats a dépassé la capacité du lieu d’accueil, provoquant l’ire de milliers de jeunes Congolais⸱es et la bousculade meurtrière. « Les gens étaient tellement nombreux que tout le monde ne pouvait pas rentrer, certains sont tombés et les gens leur ont marché dessus », a expliqué un jeune homme blessé, interrogé à l’hôpital, le 21 novembre, par TV5 Afrique.

Les autorités du pays ont mis en place une cellule de crise et annoncé une série de mesures, comme une journée de deuil national, le 22 novembre, et un soutien financier aux familles des victimes pour payer les frais médicaux et les obsèques. Une enquête a été ouverte par le procureur de la République.

Plus qu’un simple accident, plus qu’une faille évidente dans le dispositif d’organisation, cette catastrophe met en lumière le désespoir profond dans lequel est plongée la jeunesse, alors que, selon la Banque mondiale, « 47 % [des Congolais] sont âgés de moins de 18 ans ». « Le taux de chômage des jeunes a grimpé ces cinq dernières années [pour atteindre] 42 % », a expliqué, sur RFI, le 23 novembre, Vivien Romain Manangou, enseignant de droit à l’université Marien-Ngouabi, à Brazzaville.

Au Congo, troisième producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne, la situation économique du pays reste fragile. Selon une note de la Banque mondiale datée du 29 septembre, « la croissance du PIB par habitant est restée négative en 2022 et l’incidence de la pauvreté a donc légèrement augmenté pour atteindre 46,6 % selon les estimations ». Les effets du chômage et la répression des voix discordantes placent le Congo au bord de l’explosion sociale.

S’ils ont été nombreux à vouloir intégrer l’armée ce jour-là, d’autres jeunes ont choisi depuis longtemps la marginalité. Le phénomène des « bébé noirs », nom donné à ces bandes d’adolescents qui agressent, violent, volent et parfois tuent pour une poignée de francs CFA, empoisonne une société déjà plombée par des inégalités béantes : en haut, une frange de privilégiés est nourrie aux pétrodollars et autres revenus tirés des ressources dont regorge le pays ; en bas, la très grande majorité des Congolais lutte pour survivre. Dans cette société des extrêmes, ces deux mondes ne se rencontrent pas. Pendant que l’un affiche son opulence, l’autre mendie pour avoir de l’eau et de l’électricité.

« Ces jeunes bandits ne sont que la conséquence de la crise et le fruit d’un système », estime Trésor Nzila, le directeur exécutif du Centre d’action pour le développement. Au lendemain de la bousculade, l’ONG a dénoncé « le désarroi d’une jeunesse sacrifiée » dans un pays où « les forces de défense et de sécurité sont devenues les principaux pourvoyeurs d’emploi ». Ces mêmes forces de sécurité sont accusées d’exactions par de nombreux défenseurs des droits de l’homme : torture, exécutions sommaires, etc.

Non seulement la population craint des forces de l’ordre qui semblent agir en toute impunité (et qui sont formées par l’Europe et par la France, comme Afrique XXI le racontait dans sa lettre #73 du 12 mai), mais en plus, elle ne lui fait pas confiance pour venir à bout de l’insécurité. Des milices d’autodéfense ont ainsi vu le jour dans les quartiers pour se protéger des jeunes bandits, eux-mêmes en rébellion contre un système qui ne leur offre aucun avenir...

Dirigé depuis 1979 (avec une parenthèse de 1992 à 1997) par Denis Sassou-N’guesso, le Congo-Brazzaville est une dictature ignorée par les journaux internationaux – ou évoquée dans des conditions qui interrogent. Les « biens mal acquis », le détournement des pétrodollars et le greenwashing orchestré par le pays pour se faire une place à l’international sont peu ou prou les seuls sujets qui se taillent une petite place dans les médias. Fin octobre, le Sommet des trois bassins (soutenu par Emmanuel Macron, le président français, qui est intervenu à cette occasion en visioconférence) a par exemple été abondamment relayé.

Cette réunion, organisée à la va-vite pour, à l’évidence, donner le change au One Forest Summit du voisin gabonais (organisé les 1er et 2 mars par l’ancien président Ali Bongo), a déçu de nombreux observateurs, comme l’ONG environnementale Greenpeace : « En somme, malgré une initiative ambitieuse, Greenpeace prend note du manque de résultats tangibles du Sommet des trois bassins dans la mise en œuvre d’actions concrètes pour protéger les forêts tropicales et les moyens de subsistance des 1,5 milliard de personnes autochtones et des communautés traditionnelles qui vivent dans ces régions », a-t-elle déclaré le 1er novembre. Il est notamment reproché aux organisateurs d’avoir surtout mis en avant le très controversé marché carbone pour compenser les émissions de gaz à effet de serre et « protéger » les forêts.

Au Congo, un projet de plantation d’arbres financé par le pétrolier français TotalEnergies pour compenser ses émissions de carbone crée d’ailleurs la polémique, notamment quant à son impact sur les conditions de vie des populations locales. La déclaration finale de ce sommet, publiée le 28 octobre, est passée inaperçue et ne changera pas, manifestement, l’avenir du bassin congolais : le secteur extractif (bois, mines…) reste opaque, et de nombreux militants de la société civile dénoncent une réalité bien différente sur le terrain de celle mise en avant par la communication officielle.

Jusqu’au coup d’État d’août dernier, le scénario gabonais était proche de celui du Congo : une société désabusée, une nomenklatura ostentatoire, des manifestations réprimées, une communication à l’international autour de l’environnement en décalage avec la réalité du terrain... Le putsch du général Brice Oligui Nguema contre Ali Bongo a été abondamment commenté (et soutenu) sur les réseaux sociaux par les Congolais. « Il y a des foyers de tension un peu partout », alerte Trésor Nzila. Mais la répression, à l’image de celle qui s’est abattue entre 2016 et 2017 dans la région du Pool (une centaine de morts et plusieurs milliers de déplacés), a rendu la population fataliste. Elle attend la disparition de Sassou-N’guesso. Sauf que le vieil autocrate de 80 ans, malgré les réticences du parti au pouvoir et de l’armée, semble vouloir imposer son fils, Denis Christel, comme son dauphin.
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À LIRE

DU CAP À PARIS, ENQUÊTE SUR L’ASSASSINAT D’UNE MILITANTE ANTI-APARTHEID

Qui a tiré à bout portant sur Dulcie September le 29 mars 1988, sur le pas de la porte de son bureau, en plein Paris ? Et surtout, qui a commandité l’assassinat de la représentante de l’ANC en France, et pour quelles raisons ? Depuis plus de trente-trois ans, ces questions restent sans réponse, et l’affaire, bien vite abandonnée par la justice française, suscite nombre de fantasmes, en Europe comme en Afrique du Sud (lire à ce sujet deux articles publiés il y a un an par Afrique XXI, ici et ).

Dans leur enquête dessinée, Dulcie, aussi longue (300 pages) que documentée, sortie cette semaine, le journaliste Benoît Collombat et le dessinateur Grégory Mardon ne répondent pas à ces questions. Mais en explorant les différentes pistes, en étayant les plus sérieuses et en démontant les moins crédibles, en racontant le parcours de la militante et sa forte personnalité, et surtout en rappelant le contexte de l’époque marqué par une collaboration étroite entre la France (mais aussi Israël) et le régime raciste de l’apartheid, ils apportent un éclairage essentiel sur une affaire d’État – ou plutôt d’États, car les autorités françaises et sud-africaines y sont mêlées, d’une manière ou d’une autre.

Inflexible, la militante anti-apartheid s’était mis en tête de dénoncer les compromissions des États occidentaux, et notamment de la France, avec une Afrique du Sud pourtant ciblée par un embargo. Comme l’expliquent le journaliste et le dessinateur, documents et témoignages à l’appui, Dulcie September – qui n’avait pas que des amis au sein de l’ANC – enquêtait notamment sur la coopération militaire et nucléaire entre Paris et Pretoria. Un scandale potentiellement explosif qui lui a peut-être coûté la vie.

À lire : Benoît Collombat, Grégory Mardon, Dulcie. Du Cap à Paris, enquête sur l’assassinat d’une militante anti-apartheid, Futuropolis, 304 pages, 26 euros.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

Perdre espoir... et prendre la route de l’exil
La fabrique des migrations. Série (1/4) Qu’est-ce qui pousse des milliers d’Africaines à s’exiler alors que les dangers de la route sont connus, tout comme les terribles conditions de vie dans certains pays ? Dans cette série du magazine ZAM déclinée en quatre épisodes, cinq journalistes décryptent les mécanismes de la migration. Ce premier épisode est consacré aux raisons du départ.
Par Ngina Kirori, Elizabeth BanyiTab, Theophilus Abbah, Emmanuel Mutaizibwa, Brezh Malaba, ZAM Magazine

Au Kenya, une mission de police « pour quoi faire » en Haïti ?
Le 2 octobre 2023, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé l’envoi d’une force de police multinationale en Haïti, afin d’y rétablir l’ordre. Cette mission sera dirigée par le Kenya, qui a prévu de déployer 1 000 hommes et femmes. Mais dans quel but, et à quel prix ? se demandent nombre de Kényans.
Par Maina Waruru

Pourquoi il faut réformer le droit des réfugiés en Afrique
Parti pris Que faire des réfugiés de longue date qui vivent dans leur pays d’asile depuis vingt ou trente ans, dont les enfants y sont nés, et qui risquent un jour de devenir apatrides ? Plutôt que de les pousser à retourner dans leur pays d’origine, les États du continent feraient œuvre de véritable panafricanisme en les aidant à s’intégrer et en leur permettant d’être naturalisés.
Par Jean-Marie Ntahimpera