Pyromane

L'image présente un artiste de rue en action, exécutant un numéro de jonglage avec du feu. Il se tient au centre de la scène, le dos arqué et la tête inclinée en arrière, tandis qu'il crache une immense flamme qui s'élève vers le ciel. L'artiste porte un costume de couleur sombre, et ses bras sont tendus, chacun tenant un bâton de feu. En arrière-plan, une foule captivée et attentive observe la performance, créée par la magie du feu illuminant la nuit. L'atmosphère est électrique, mêlant curiosité et émerveillement face à ce spectacle audacieux.
© Alex Alvarez/Unsplash

L’ÉDITO

L’AMBASSADEUR PYROMANE ET LE « LE CANARD »

L’ambassadeur de France au Niger, Sylvain Itté, rentré depuis le 26 septembre 2023 à Paris d’où il poursuit sa mission, a encore fait parler de lui. Un « scoop » du Canard enchaîné révèle que son livre, Au Cœur de la diplomatie française en Afrique, à paraître en mars aux éditions du Rocher, a été « censuré ». « Ambassadeur bâillonné au Quai d’Orsay », s’insurge non sans rire l’hebdomadaire satirique dans son édition du 24 janvier, bientôt suivi par d’autres journaux : « La publication d’un récit de l’ex-ambassadeur de France au Niger bloquée par le Quai d’Orsay ? », a par exemple titré Ouest-France, reprenant une dépêche de l’Agence France-Presse.

Pour le palmipède, cette omerta empêcherait le « grand public » de connaître les « dessous du départ forcé des militaires et diplomates français du Niger ». On ne saura rien du « bras de fer avec les putschistes » qui avait conduit Sylvain Itté à « rester cloîtré deux mois durant dans l’ambassade ». Une belle promotion pour le diplomate, même si la publication de son livre a été repoussée à une date « encore inconnue », selon les éditions du Rocher.

Le terme de « censure » est tout de même un peu fort de café. C’est oublier un peu vite les obligations auxquelles sont soumis les fonctionnaires français, et en particulier les diplomates. Si le guide de déontologie du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) sanctifie « la liberté d’expression », « les fonctions [que les fonctionnaires] exercent leur imposent de faire preuve de mesure dans leur expression publique. L’obligation de réserve, associée à la loyauté, doit conduire l’agent public à observer, y compris hors de son lieu de travail et de ses horaires de service, une grande retenue dans l’expression écrite et orale de ses opinions personnelles. »

Mais encore, « s’agissant de la publication de livres ou d’articles, il est conseillé aux agents de solliciter un avis préalable auprès de la direction générale de l’administration (sous-direction des affaires juridiques internes). Cet avis éclairera ainsi l’agent sur l’opportunité de publier sous son nom, voire de faire état de sa qualité de diplomate, bien qu’il soit le plus souvent recommandé de préciser que les textes publiés n’engagent pas le Département. L’absence de demande d’avis du Département ou le fait de ne pas suivre cet avis n’est pas en soi constitutif d’une faute. Toutefois, l’agent s’expose à des poursuites disciplinaires si la publication méconnaît les obligations du fonctionnaire en termes de devoir de réserve, de discrétion professionnelle ».

Rien d’anormal, donc, à ce que l’administration s’en mêle, d’autant que Itté occupe encore, sur le papier du moins, le poste d’ambassadeur au Niger. Dans sa lettre envoyée au diplomate, Anne-Marie Descôtes, la secrétaire générale du Quai d’Orsay, rappelle d’ailleurs qu’un premier avis – a priori négatif – avait été rendu le 8 janvier par le référent déontologique, rappelant que « de nombreuses informations » contenues dans l’ouvrage relevaient de « sujets exclus du droit à la communication ». Elle conclut cependant avec une note manuscrite dans laquelle elle le remercie « pour son action ».

Pour une fois, on ne saurait trop conseiller au MEAE de contenir les velléités littéraires de Sylvain Itté. Ses nombreuses sorties publiques sur les réseaux sociaux, comme dans la presse, avant et après sa nomination au Niger, ne sont pas étrangères aux tensions diplomatiques entre Paris et Niamey qui ont conduit, au final, à la rupture des relations entre les deux pays. Alors qu’il avait été nommé par Emmanuel Macron « Envoyé spécial » pour la diplomatie publique en Afrique, ses déclarations, censées contrer les offensives antifrançaises de quelques activistes, avaient eu l’effet inverse.

Il avait par exemple demandé à l’un d’eux d’arrêter de critiquer la France sous prétexte que sa double nationalité (franco-camerounaise) l’obligeait à davantage de « loyauté », avait-il écrit sur X (ex-Twitter). « Cela implique que l’on [n’]agisse pas contre le pays dont [on est] le citoyen. » Peu de temps après son arrivée à Niamey, il s’était insurgé contre des déclarations critiquant la politique européenne et française, rappelant que l’eau potable de la capitale était « européenne » (8 février 2023). Ce pied de nez involontaire à la souveraineté du pays avait déclenché un torrent d’indignation. Il s’était par ailleurs illustré lors d’une altercation avec un activiste nigérien à l’occasion d’une conférence à l’université de Niamey. La vidéo, qui montrait l’ambassadeur descendant de l’estrade avec son garde du corps pour affronter physiquement le militant, avait fait le tour des réseaux sociaux et donné une image dégradée de la diplomatie française.

Lorsque le président Mohamed Bazoum a été renversé, en juillet 2023, la position intransigeante de la France pour le soutenir et l’activisme de Itté pour préparer une intervention militaire n’avaient fait qu’envenimer la situation. Déclaré persona non grata par la junte, l’ambassadeur pyromane avait décidé – avec l’Élysée – de rester sur place. Le blocus imposé à l’ambassade l’avait contraint à prendre ses quartiers dans la chancellerie où il circulait habillé d’un gilet par balles et coiffé d’un casque militaire. De retour en France, il avait cru bon de raconter cet épisode. Dans une interview fleuve accordée à Paris-Match (propriété de Vincent Bolloré), il livrait un « récit de privations, d’angoisse et de courage ! », dixit la journaliste Manon Quérouil-Bruneel. « Le 30 juillet [2023], on a frôlé la catastrophe. C’est un miracle que nous en soyons tous sortis indemnes ! », déclarait-il, comme s’il avait été livré à lui-même, sans aucune protection, face à quelques centaines de Nigériens en colère, alors que 1 500 militaires français stationnaient encore dans le pays.

Les mémoires d’ambassadeurs passés par l’Afrique ne sont pas rares, bien au contraire – ils sont légion et de toutes époques. De Maurice Delaunay à Michel Lunven, en passant par Jean-Marc Simon ou, plus récemment, Jean-Michel Marlaud, beaucoup se sont épanchés sur leur expérience – avec plus ou moins de talent. Mais tous ont attendu l’âge de la retraite pour le faire, sortant ainsi d’une réserve imposée par leur fonction et retrouvant théoriquement la liberté de dire ce qu’ils pensent. Liberté pourtant rarement utilisée pour remettre en cause l’action de la France en Afrique.
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À VOIR

UNE HISTOIRECOLONISÉE DU MONDE AU MUCEM

Jusqu’au 11 mars prochain, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), magnifique bâtiment de verre qui reflète le bleu unique de la mer Méditerranée, au bout du Vieux-Port, à Marseille, propose une exposition intitulée : « Une autre histoire du monde ». Elle aurait tout aussi bien pu s’appeler : « Une histoire décolonisée du monde ». L’idée – raconter l’Histoire du XIIIe au XXIe siècle en abandonnant la perspective occidentale – répond en effet à la nécessité, exprimée dans différentes sphères du savoir, de déconstruire tout ce que l’on a appris depuis des siècles en Europe. Et cela fonctionne plutôt bien.

Dès le début, le visiteur est poussé à réfléchir sur certaines des notions les plus importantes de notre monde : le temps, l’espace. Des calendriers et des cartes montrent que la conception européenne est loin d’être universelle, contrairement à ce que l’on nous laisse croire, et qu’elle est parfois loin d’être idéale. Ces objets ainsi exposés rappellent que la colonisation s’est imposée dans tous les domaines, y compris ceux que l’on ne questionne jamais, qui façonnent pourtant autant notre manière de penser que notre mode de vie.

À travers quelques dizaines de sculptures, de peintures, de cartes, d’objets archéologiques ou encore de manuscrits, cette exposition met en avant « l’infinie diversité des expériences africaines, asiatiques, américaines et océaniennes », et donne à voir « d’autres mondialisations », indique le musée. Ce n’est pas toujours très clair pour le visiteur, et les dernières salles laissent comme un goût d’inachevé. Mais cette initiative a le mérite de remettre en perspective quelques bases qui peuvent sembler immuables du point de vue européocentré.

À voir : exposition « Une autre histoire du monde », jusqu’au lundi 11 mars 2024, Mucem, Marseille.
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