Football

La promesse sud-américaine des joueuses d’Afrique du Sud

Les footballeuses sud-africaines pourraient ouvrir de nouvelles perspectives en Amérique du Sud et en Amérique centrale à leurs compatriotes masculins, qui n’ont pas réussi à briller jusqu’ici, en dépit de recrutements ponctuels depuis cinquante ans.

L'image montre un jeune homme debout devant un mur peint en jaune et bleu, qui représente un tigre rugissant. Il porte un uniforme de footbal aux couleurs vives, principalement jaune, avec des détails bleus. Son attitude est confiante ; il se tient les bras croisés, affichant une expression de détermination. Le mur qui l'entoure ajoute une dynamique visuelle avec des motifs de griffes et des éléments stylisés qui renforcent le thème du tigre. Le sol est recouvert d'herbe artificielle, évoquant un terrain de sport.
Thembi Kgatlana, aux couleurs des Tigres mexicains.
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En juin 1980, deux membres de l’équipe de football sud-africaine Kaizer Chiefs, Abednigo Ngcobo et Goodenough Nkomo, manquent à l’entraînement. L’absence de Ngcobo est particulièrement remarquée : il vient d’être élu meilleur joueur de la saison de football 1979. Très vite, on découvre que les deux hommes ont secrètement quitté l’Afrique du Sud pour participer à un essai avec le club uruguayen Peñarol. L’entraîneur des Kaizer Chiefs, le Chilien Mario Tuane, vient d’être nommé manager du Peñarol, et il a convaincu les deux joueurs de le rejoindre.

Peñarol est l’un des clubs de football les plus célèbres d’Amérique du Sud. Son histoire remonte à la fin du XIXe siècle. En 1980, le club a déjà remporté trois fois la Copa Libertadores, la plus prestigieuse compétition continentale d’Amérique du Sud. Cette même année, Peñarol est sur le point de défendre son titre remporté l’année précédente au Championnat d’Uruguay. Plusieurs des nouveaux coéquipiers de Ngcobo et de Nkomo jouent régulièrement dans l’équipe nationale d’Uruguay, et l’un d’eux, Fernando Moreno, détient toujours le record du plus grand nombre de buts marqués dans le championnat.

Des Sud-Américains en apartheid

Cette anecdote est un épisode des aventures africaines du football sud-américain. La présence de Tuane en Afrique du Sud s’inscrivait dans un mouvement plus large des joueurs et entraîneurs d’Amérique du Sud à l’étranger, poussés par le succès des équipes sud-américaines en Coupe du monde (le Brésil a été champion en 1962 et en 1970) et par l’ascension de leurs joueurs vedettes dans les plus grands championnats européens. Chilien blanc, Tuane était arrivé en Afrique du Sud au début des années 1970 après avoir été entraîneur en Grèce. Il avait passé le reste de la décennie à diriger des clubs professionnels des ligues noires ségréguées d’Afrique du Sud. Au cours de sa carrière d’entraîneur en Afrique du Sud, Tuane a travaillé avec les Vaal Professionals, les Orlando Pirates et les Kaizer Chiefs, qu’il a emmenés à la conquête du championnat de la ligue nationale de football en 1980. C’est après ce succès que Peñarol est venu le chercher.

Tuane n’était pas le seul entraîneur sud-américain en Afrique du Sud. Walter da Silva, un Brésilien blanc, a joué dans les ligues réservées aux Blancs dans les années 1960 avant de devenir entraîneur d’équipes noires dans les années 1970. Cette tendance s’est poursuivie jusque dans les années 1990. Augusto Palacios, un Péruvien noir sélectionné six fois en équipe nationale entre 1972 et 1981, a terminé sa carrière de joueur en Afrique du Sud au milieu des années 1980 puis a dirigé les Kaizer Chiefs, les Orlando Pirates et l’équipe nationale après la fin de l’apartheid. Aujourd’hui, plusieurs joueurs sud-américains évoluent dans les meilleurs clubs professionnels d’Afrique du Sud, notamment aux Mamelodi Sundowns.

Lorsque Ngcobo et Nkomo sont arrivés au Peñarol, le président du club, Washington Cataldi, a déclaré : « L’avenir du football est en Afrique. » Outre les deux Sud-Africains, Tuane recrute également l’ailier ghanéen John Nketia Yawson, qui a remporté la Coupe d’Afrique des Nations avec son équipe nationale en 1978.

« Ce n’étaient pas de mauvais joueurs »

À la fin de la saison 1980-1981, Peñarol libère Ngcobo et Nkomo. Ngcobo n’a disputé que douze matchs, et Nkomo s’est révélé tout aussi décevant. Par la suite, le journal uruguayen El Observador note que Ngcobo et Nkomo « ont beaucoup moins éussi et moins joué » que Yawson, le premier Africain à avoir disputé un match de Copa Libertadores (il a tenu une saison de plus au Peñarol avant de rentrer au Ghana).

Le capitaine de l’équipe de Peñarol, Walter Olivera, s’est interrogé plus tard sur les défis physiques opposés aux joueurs sud-africains. Dans un entretien avec le journaliste argentin Pablo Aro Geraldos, Olivera a estimé que Ngcobo et Nkomo étaient « plus légers » que leurs homologues sud-américains, ce qui rendait plus difficile leur adaptation au style physiquement exigeant du football uruguayen. « Ce n’étaient pas de mauvais joueurs », a dit Olivera, « mais le jeu était différent à l’époque. » Cette critique des insuffisances physiques des joueurs sud-africains a prévalu jusqu’aux succès des Sundowns (Pretoria) dans les compétitions continentales africaines et à la troisième place de l’Afrique du Sud à la Coupe d’Afrique des nations 2023.

Ngcobo était aussi pénalisé par son âge. À 30 ans, il était déjà au crépuscule de sa carrière, après avoir passé près d’une décennie à jouer pour les Kaizer Chiefs. Il avait également joué en Ligue de football d’Amérique du Nord pendant les intersaisons, comme le faisaient beaucoup d’autres joueurs noirs sud-africains à la fin des années 1960 et au début des années 1980. Ngcobo faisait des piges pour les Denver Dynamos et les Minnesota Kicks. En fait, il était toujours officiellement inscrit comme joueur des Minnesota Kicks lorsqu’il a été prêté à Peñarol. Après son bref séjour en Uruguay, Ngcobo est retourné aux Kaizer Chiefs et, quatre ans plus tard, il a pris sa retraite. Il a créé une société de taxis dans le township d’Alexandra, à Johannesburg, où il a vécu avec sa femme et son enfant jusqu’à sa mort, en 2014.

Rodney Anley, le héros de Palestino

Un seul souvenir est resté du passage de Ngcobo et de Nkomo au Peñarol : le surnom donné par Ngcobo à son retour au pays, « Valdez », clin d’œil au western hollywoodien de 1971 Valdez Is Coming.

Malheureusement, il faudra attendre vingt ans pour que Peñarol signe avec un autre joueur africain, le Camerounais Michel Tatap, qui n’est pas resté longtemps non plus. Plusieurs joueurs africains ont joué en Amérique du Sud et en Amérique centrale depuis lors (la meilleure période a été la décennie qui a suivi la Coupe du monde 1990, après la défaite du Cameroun contre l’Argentine lors du match d’ouverture), mais aucun joueur sud-africain n’a plus jamais joué pour un club uruguayen.

Un petit nombre de Sud-Africains ont continué à jouer ailleurs en Amérique du Sud dans les années suivantes : Mario Tuane a joué un rôle clé dans certaines carrières. Après avoir été limogé du Peñarol, Tuane est devenu l’entraîneur du Palestino, un club chilien historique très lié à la communauté palestinienne locale. Tuane a recruté le milieu de terrain sud-africain Rodney Anley, qui s’était d’abord fait un nom dans les ligues sud-africaines réservées aux Blancs et qui avait impressionné ses compatriotes noirs lors des compétitions interraciales organisées entre équipes blanches et équipes noires dans les années 1970. Anley était devenu une sorte de héros au Palestino pour avoir marqué un but crucial ayant sauvé l’équipe de la relégation. À peu près à la même époque, le gardien sud-africain Dave Waterson jouait pour Magallanes, un autre club de la capitale chilienne.

« Juste des joueurs sud-africains »

Il faudra ensuite attendre la fin de l’apartheid pour voir un Sud-Africain évoluer dans un championnat sud-américain. En 1995, Doctor Khumalo, star des Kaizer Chiefs et de l’équipe nationale, est prêté au Ferro Carril Oeste, en première division argentine. Bien qu’il n’ait joué que quatre matchs en six mois, Khumalo a fait forte impression en marquant un remarquable but en solo contre Independiente, ce qui lui a valu l’admiration générale des médias sportifs argentins. Le court séjour de Khumalo en Argentine est souvent perçu comme un échec au regard de la réussite d’autres grands joueurs sud-africains dans les ligues européennes, comme Lucas Radebe et Benni McCarthy. Par la suite, Khumalo a contribué à la première victoire de l’Afrique du Sud en Coupe d’Afrique des nations, en 1996, ainsi qu’à sa première participation en Coupe du monde, en 1998.

À la même période, Teboho Moloi, star des Orlando Pirates, équipe rivale des Kaizer Chiefs, rejoint le Once Caldas en Colombie. Moloi a joué dix-huit matchs et marqué cinq buts en une saison, devenant ainsi le premier Sud-Africain à marquer en première division colombienne.

Le dernier joueur sud-africain à avoir rejoint un club sud-américain de premier plan est Tyroane Sandows. Né à Johannesburg en 1995, Sandows a été le premier joueur sud-africain à signer avec un club brésilien après la fin de l’apartheid. Il intègre le centre de formation de São Paulo à l’âge de 11 ans, en 2006, puis celui du Grêmio, un plus grand club. Il joue pour l’équipe senior de Grêmio en 2016 et en 2017 puis il est libéré et joue en troisième division brésilienne avec Figueirense. Il revient ensuite en première ligue sud-africaine, où il fait le tour des clubs de moindre envergure. En 2024, Sandows jouait dans un club kosovar. Sa carrière illustre les opportunités offertes aux joueurs sud-africains à l’étranger, mais elle constitue aussi un avertissement sur les défis qu’ils doivent relever dans les ligues étrangères.

En octobre 2024, après la performance décevante de l’Afrique du Sud en Coupe d’Afrique des nations 2023, le sélectionneur de l’équipe nationale sud-africaine, Hugo Broos, a commenté le manque de succès des joueurs du pays dans les meilleurs clubs européens. À son avis, pour de nombreux entraîneurs en dehors de l’Afrique du Sud, les joueurs sud-africains sont devenus « juste des joueurs sud-africains », c’est-à-dire qu’ils ne se distinguent pas des joueurs des autres nations. En Amérique du Sud, où l’Afrique du Sud et son football sont peu présents, on peut imaginer que les footballeurs sud-africains ne figurent guère sur les radars des entraîneurs et des directeurs sportifs.

Avec Thembi Kgatlana, l’espoir s’écrit au féminin

L’espoir viendra peut-être du football féminin sud-africain. Thembi Kgatlana, qui joue pour les Tigres en Ligue mexicaine féminine, en est la parfaite incarnation. Kgatlana est également l’une des stars de l’équipe nationale féminine sud-africaine et elle a fait partie de la sélection qui a remporté la Coupe d’Afrique des nations féminine en 2022. Lors de la Coupe du monde féminine 2023, elle a marqué le but qui a permis à l’Afrique du Sud de se qualifier en huitièmes de finale pour la première fois dans l’histoire du tournoi. En 2024, elle a été élue Joueuse africaine de l’année.

Tout au long de sa carrière, Kgatlana a joué pour de grands clubs en Chine (Beijing BG Phoenix), au Portugal (Benfica), en Espagne (Eibar et Atlético Madrid) et aux États-Unis (Houston Dash, Racing Louisville). Son transfert du Racing Louisville aux Tigres, à Monterrey, en 2023, est le deuxième transfert le plus cher de l’histoire de la Ligue nationale de football féminin aux États-Unis. Ngatlana est, au passage, devenue l’une des footballeuses les mieux rémunérées du Mexique. Son équipe américaine l’a laissée partir avec tristesse. À l’époque, le site The Equalizer, qui couvre le football féminin américain, a estimé qu’elle se distinguait « depuis des années », qu’elle était « difficile à contenir sur le terrain », et l’a qualifiée de « superstar ».

Fin novembre 2024, Kgatlane a disputé la finale de la Coupe nationale féminine du Mexique contre sa compatriote Jermaine Seoposenwe, du club Monterrey, sa coéquipière dans l’équipe nationale féminine d’Afrique du Sud et star de la Coupe d’Afrique des nations féminine 2022. Les deux joueuses sont des vedettes populaires, surnommées Thembi et Sebo par les médias et les supporters locaux. À l’occasion de ce match historique opposant deux Sud-Africaines en finale pour la première fois dans l’histoire du football au Mexique et en Amérique latine –, Seoposenwe et Monterrey se sont imposés.