ÉDITO
UNE JEUNESSE AUX ABOIS MÉPRISÉE
« Il faut parfois sortir la tête de l’eau pour pouvoir respirer » : cette phrase en forme d’appel de détresse a été prononcée par un jeune Gabonais de Port-Gentil dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux fin août. Torse nu, entouré d’autres camarades, les yeux vagues, il ferait partie d’une bande qui aurait participé à des attaques dans la capitale économique : pendant plusieurs jours, entre le 20 et le 24 août, plusieurs groupes, armés de machettes, ont pris d’assaut des commerces et dévalisés des passants. Selon un communiqué des Forces de défense et de sécurité, une trentaine d’entre eux, dont des mineurs, ont été arrêtés et traduits en justice. Certaines de ces interpellations ont été filmées.
Le phénomène n’est pas nouveau et ne touche pas que le Gabon. Au Congo-Brazzaville, cela fait plusieurs années que des jeunes se livrent à ce genre d’attaques. Surnommés les « bébés noirs », ils sont d’ailleurs devenus un motif pour la dictature de Denis Sassou N’Guesso pour procéder à des arrestations arbitraires et se livrer à des actes de torture, comme l’expliquait Trésor Nzila Kendet dans un entretien à Afrique XXI.
Les manifestations au Kenya et au Nigeria, contre le coût de la vie et la mal-gouvernance, sont également le fait d’une jeunesse aux abois (la « Gen Z »), souvent au chômage et désœuvrée. Au Gabon, 40 % des 15-35 ans sont sans emploi. À l’échelle continentale, un tiers des 15-24 ans sont au chômage, selon l’African Youth Survey 2024, publié le 3 septembre par l’Ichikowitz Family Foundation.
Cette étude sud-africaine, réalisée tous les deux ans depuis 2020, s’appuie sur le témoignage de plus de 5 600 personnes (des 15-24 ans) dans 16 pays africains. Il apporte un éclairage sur l’état d’esprit général de cette jeunesse. Par exemple, pour 4 sondés sur 5, la corruption est la première source d’inquiétude. Pour 60 % d’entre eux, elle est même le motif principal qui les pousse à vouloir émigrer dans les cinq ans. Une raison bien lointaine des poncifs habituels pour expliquer ces départs massifs : les dirigeants sont les premiers responsables, et non une situation économique quelconque sur laquelle ils n’auraient aucune prise.
Corruption et chômage sont les ferments de révoltes qui s’avèrent de plus en plus violentes et qui semblent se généraliser. D’ailleurs, 64 % des jeunes interrogés considèrent que des actions « non pacifiques » sont nécessaires pour faire changer les choses. Ces mouvements sont de plus autonomes et en dehors des organisations traditionnelles (partis politiques, syndicats…). Ils échappent à tout contrôle, et c’est ce qui les rend difficiles à comprendre par des élites déconnectées des réalités du citoyen lambda.
Plus de la moitié (52 %) des sondés affirment également ne pas être inscrits sur les listes électorales. Ce chiffre atteint même 70 % au Congo-Brazzaville, l’un des pays concernés par l’étude. Des résultats qui traduisent une lassitude et une défiance certaine à l’égard du jeu démocratique : 29 % des personnes interrogées estiment que dans « certaines circonstances » un gouvernement « non démocratique » peut être « préférable ». Ils n’étaient que 18 % deux ans plus tôt.
La situation des jeunes Africains, affranchis de toute peur et qui semblent, en conséquence, de plus en plus enclins à défier « l’ordre », devrait alarmer le monde. Aujourd’hui, 420 millions d’entre eux ont entre 15 et 24 ans, ils seront près du double en 2050. Le désespoir face à des acteurs politiques et économiques qui privilégient leurs propres intérêts au détriment de ceux du plus grand nombre, avec le soutien passif ou actif d’organisations internationales et de pays extérieurs, est un moteur puissant. Et la répression n’y changera rien. Bien au contraire : elle ne fera que renforcer leur détermination.
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