Dans le nord-ouest du Nigeria, le fléau des bandits sans nom

La situation dans l’État de Borno, en proie à une insurrection djihadiste depuis plusieurs années, est bien connue. Ce qu’il se passe plus à l’ouest est largement moins médiatisé : dans les campagnes, des hommes armés aux motivations essentiellement crapuleuses y font régner la terreur en multipliant enlèvements, rackets et vols de bétail.

Dans cette image, nous sommes sur une route dans un environnement urbain. Sur le côté gauche, deux femmes portant des vêtements traditionnels de couleur sombre se tiennent ensemble. L'une d'elles a un sourire et semble discuter. Elles sont entourées de terre brune, et l'atmosphère est calme. Sur le côté droit, un homme est assis près d'un petit chariot, tandis qu'un panneau indique « GAGI », signalant un commerce local. On peut apercevoir d'autres personnes se déplaçant à pied ou à bicyclette sur la route, soulignant la vie active de ce lieu. Au fond, des arbres verdoyants ajoutent une touche de nature à l'environnement urbain.
Dans la ville de Sokoto, en 2018.
KC Nwakalor / USAID Digital Development Communications

La combinaison de l’instabilité et de la criminalité a un effet dramatique sur la vie des Nigérians. Au cours de l’année écoulée, plus de 70 000 habitantes et habitants du nord-ouest du Nigeria ont fui leurs communautés pour trouver refuge au Niger, et plus de 210 000 personnes ont été contraintes à trouver refuge dans 171 villes à travers la région elle-même. La plupart de ces déplacements résulte de l’action de groupes armés circulant à moto, connus sous le nom de « bandits ».

Il est compliqué de définir et de décrire ces groupes. Ils ne sont pas motivés par des raisons religieuses et idéologiques comme Jama’at Ahl el-Sunna lil-Da’wa wal-Jihad (JASDJ) ou Islamic State West Africa Province (ISWAP) - des insurrections djihadistes qui ont elles-mêmes provoqué le déplacement de près de 3 millions de personnes dans le nord-est du Nigeria. Ils n’ont pas de direction forte et centralisée ni d’affiliation internationale. Leur principale motivation semble être financière et leur modus operandi est opportuniste. Ces groupes vivent en enlevant des personnes pour obtenir des rançons, en volant du bétail et en levant des « impôts » - par le racket – auprès des communautés locales. Si rien ne prouve l’existence d’un lien direct avec ISWAP ou JASDJ, ces « bandits » semblent emprunter certaines de leurs pratiques, notamment la levée périodique de sommes d’argent, la mise à sac de communautés et la prise d’otages qui ne retrouvent la liberté que contre paiement.

Ce phénomène a émergé voici des années. Tout a commencé avec l’augmentation du vol de bétail, il y a plus d’une décennie. Puis le phénomène a pris une toute autre ampleur début 2016, lorsque les « bandits » ont commencé à attaquer les exploitants des mines artisanales dans l’État de Zamfara. Depuis lors, les attaques se sont étendues et touchent désormais l’ensemble du nord-ouest, et particulièrement la zone frontalière avec le Niger.

Si les conséquences de cette crise en matière de droits humains ont été bien couvertes, son impact sur les moyens de subsistance des communautés est moins connu, de même que les raisons pour lesquelles la réaction du gouvernement a été jusqu’à présent dramatiquement insuffisante.

Payer pour pouvoir cultiver

Le nord-ouest du Nigeria compte environ 35,8 millions de personnes. C’est environ un quart de la population totale du pays qui vit dans les sept États de Katsina, Kaduna, Kano, Kebbi, Zamfara, Jigawa et Sokoto. La grande majorité de la population (85 %) est composée d’agriculteurs, les autres vivant du commerce et de l’élevage.

Les agissements des « bandits » ont gravement perturbé ces activités économiques. Ces groupes opèrent parfois en installant des postes de contrôle et en encerclant les communautés agricoles – ils leur refusent l’accès à leurs terres tant qu’elles ne paient pas une « taxe ». De nombreux agriculteurs à qui j’ai parlé rapportent que ces hommes armés les ont avertis qu’ils risquaient leur vie s’ils tentaient de cultiver une parcelle de terre sans leur autorisation. Dans certains cas, les communautés ont versé entre 800 et 1 000 dollars aux groupes armés simplement pour pouvoir récolter de quoi nourrir leurs familles. Dans d’autres localités, les agriculteurs ont déserté leurs terres et sont réduits à mendier dans les villes.

En plus de pousser les communautés dans la pauvreté, ces bouleversements de la production agricole ont provoqué une insécurité alimentaire croissante. Pour intimider les gens et les forcer à payer, les « bandits » mettent parfois le feu aux maisons et aux réserves de céréales. Début 2019, l’ancien gouverneur de l’État de Zamfara, Abdulaziz Yari, a déclaré que près de 500 villages et 13 000 hectares de terres avaient été détruits et que 2 835 personnes avaient été tuées entre 2011 et 2018. Selon le rapport sur l’indice des prix à la consommation de juin 2021, l’inflation des denrées alimentaires est montée en flèche d’un mois sur l’autre, pour atteindre 21,83 %.

Le banditisme a également perturbé la vie des commerçants locaux qui, craignant les attaques et les enlèvements, n’osent plus se déplacer. Dans certains cas, ils ont tout simplement abandonné leurs affaires et se sont installés dans d’autres zones. C’est un choix extrême sans doute, mais il se comprend parce que rester sur place est parfois très coûteux. Ainsi, le 26 mai 2021, un groupe armé a bloqué la route menant au marché hebdomadaire de Garin Gadi, dans l’État de Sokoto, arrêtant les marchands de bétail qui s’y rendaient, et leur dérobant de l’argent et des marchandises pour une valeur d’environ 12 millions de nairas (près de 25 000 euros). Cette perte n’a pas seulement affecté les commerçants, mais aussi ceux qui dépendent des foires et des marchés.

Chute des rentrées fiscales, inflation des rançons

En mars 2020, un autre marché hebdomadaire a été pris d’assaut par des centaines d’hommes lourdement armés dans le village de Birnin Tsaba, dans l’État de Zamfara. Les « bandits » ont tiré sporadiquement sur les commerçants locaux, tuant plusieurs personnes, avant de mettre le feu au marché. Lors d’un entretien avec un responsable du ministère des gouvernements locaux et des chefferies - qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat - j’ai appris que depuis 2017, les rentrées fiscales dans certaines de ces zones avaient chuté d’au moins 40 % par rapport aux années précédentes.

Un récent projet de loi propose de pénaliser les amis et les familles des victimes d’enlèvement qui paieraient des rançons pour les faire libérer. J’ai déjà soutenu que cela serait injuste : de nombreux Nigérians paient des rançons parce qu’ils ne croient plus à la capacité des forces de sécurité de libérer leurs proches ; au contraire, ils craignent de plus en plus que certains membres des forces de sécurité collaborent avec ou informent les groupes armés.

Dans ce contexte, il est à craindre que le montant des rançons continue d’augmenter. Selon un rapport de la Southern Kaduna People Union, 900 millions de nairas (plus d’1,8 million d’euros) ont été payés comme rançon par des personnes pauvres, vulnérables et sans défense entre janvier et décembre 2020. Selon un autre rapport publié par Dataphyte, le coût élevé des rançons et la fréquence à laquelle les communautés sont obligées de trouver de grosses sommes d’argent pour payer les kidnappeurs, ont mis en difficulté de nombreuses personnes, augmentant ainsi le niveau de pauvreté.

Pire encore, le prix des rançons ne cesse d’augmenter. On estime aujourd’hui qu’en 2020, le total des rançons payées a atteint plus d’un milliard de nairas, soit un bond considérable par rapport aux 68 millions de nairas payés en 2018. L’un des pires aspects de cette crise est qu’elle génère de nouveaux cycles de pauvreté, car les gens vendent leurs terres agricoles et leurs propriétés afin de payer les rançons, et perdent ainsi leur moyen de subsistance, s’enfonçant davantage dans l’endettement et les difficultés.

La tentation des milices armées

A partir de 2019, le gouvernement nigérian a lancé de nombreuses opérations militaires dans le nord-ouest pour enrayer la menace du banditisme (« Puff Adder », « Diran Mikiya », « Sharan Daji », ou encore, plus récemment, « Sahel Sanity »). 220 « bandits » auraient été tués lors de ces opérations - parmi lesquels un de leurs chefs les plus célèbres, surnommé « Dangote » - et 642 victimes d’enlèvement auraient été libérées. Les forces de sécurité auraient également détruit 197 bases de « bandits » et arrêté 335 « bandits présumés » ainsi que 326 miniers illégaux dans les États de Kebbi, Kaduna, Niger, Zamfara et Katsina.

Mais ces efforts n’ont pas mis fin aux attaques. Maintenant que le génie du banditisme est sorti de la lampe, il faudra plus que des opérations militaires sporadiques pour l’y ré-enfermer. C’est pourquoi les gouvernements des États concernés expérimentent des stratégies alternatives. En juillet 2020, Mustapha Inuwa, le secrétaire général du gouvernement de l’État de Katsina, a annoncé que son État avait dépensé environ 30 millions de nairas (62 000 euros) pour un programme d’amnistie destiné aux « bandits » et aux voleurs de bétail repentis, avant que le projet ne tombe à l’eau. Selon Inuwa, l’échec de ce programme est lié au fait que les « bandits » ne cessaient de revenir sur les accords et de trahir leurs engagements.

En l’absence d’une réponse efficace de l’État, les citoyens sont livrés à eux-mêmes. Le risque que les attaques de « bandits » déclenchent des cycles de violence est grand : pour se défendre, les communautés locales cherchent à mettre en place leur propre milice. Il est à craindre par ailleurs que les « bandits » mettent la main sur l’économie et la gouvernance de ces zones. Si rien n’est fait de toute urgence pour rétablir la loi et l’ordre dans ces régions, le nord-ouest du Nigeria atteindra le point de non-retour.

Cet article a été initialement publié par le site Democracy in Africa, avec lequel Afrique XXI a conclu un partenariat. La version originale est à lire ici.