Le 24 janvier 2024, Azali Assoumani a été désigné vainqueur de l’élection présidentielle aux Comores par la Chambre électorale de la Cour suprême, dont il a nommé lui-même tous les membres et dont il a changé le président alors que le processus électoral était déjà engagé. Comme annoncé par ses partisans durant la campagne électorale, il l’a emporté dès le premier tour – « un coup KO » (« gwadzima »). Il entamera donc, à partir du mois de mai prochain, un quatrième mandat à la tête de l’État comorien. Sa victoire était prévisible, dans la mesure où les partis d’opposition ont été réduits au silence, leurs leaders ayant été envoyés en prison ou en exil, et alors que l’ancien colonel a verrouillé tout le processus électoral, en amont comme en aval du scrutin.
Après son élection très difficile en 2016, Azali Assoumani a mené une guerre sans merci à l’opposition, interdisant toute manifestation dans les rues et même les réunions politiques dans des lieux privés. Ses principaux opposants, dont l’ancien président Ahmed Abdallah Mohamed Sambi, très populaire, ou l’ancien gouverneur de l’île d’Anjouan Abdou Salami, se sont retrouvés soit en prison soit en exil (en Tanzanie ou en France). Après l’élimination progressive de l’essentiel de l’opposition, Azali a fait adopter par référendum une nouvelle Constitution en 2018, qui lui a ouvert la voie à un troisième mandat et même à un quatrième, alors que la précédente Constitution interdisait au ressortissant d’une île (Azali est originaire de la Grande-Comore) de pouvoir se présenter à un second mandat d’affilée.
Dans le viseur des influenceurs
Lorsque le chef de l’État a été nommé à la présidence de l’Union africaine (UA), en janvier 2023 (avec l’appui de la France), nombre de ses opposants se disaient en substance : « À quelque chose malheur est bon. » Il était évident pour eux que les pratiques antidémocratiques de celui qui s’est fait réélire en 2019 après une manipulation de la Constitution allaient être révélées au monde.
Et effectivement, après sa désignation à la tête de l’organisation panafricaine, plusieurs intellectuels et influenceurs africains se sont intéressés aux Comores et à l’homme qui est à leur tête. Ce fut le cas notamment de deux des influenceurs les plus populaires sur les réseaux sociaux : Nathalie Yamb et Kemi Seba. Tous les deux ont entraîné avec eux d’autres influenceurs africains. Des émissions et des reportages ont couvert les aspects de la dictature qui règne aux Comores depuis 2018, proposant une autre image d’Azali Assoumani que celle qu’il s’est créée, notamment dans les pages de médias internationaux et de journaux locaux (sous le contrôle du coordonnateur de sa communication au palais présidentiel, l’ancien directeur du journal gouvernemental Al-Watwan, Ahmed Ali Amir).
Les critiques à l’égard du président de l’UA se sont renforcées après la conférence Russie-Afrique qui a regroupé 17 chefs d’État africains autour de Vladimir Poutine les 27 et 28 juillet 2023. Azali Assoumani a fait partie des présidents africains qui ont accepté de se rendre à Saint-Pétersbourg. Les images des chaînes d’information ont montré le chef d’État comorien proche du maître de Moscou. Pourtant, à la fin de la conférence, en compagnie de son prédécesseur à la tête de l’UA, le Sénégalais Macky Sall, il a refusé de poser sur la photo de famille aux côtés des dirigeants putschistes du Mali et du Burkina Faso. Cette décision a été une surprise, aussi bien pour les autorités russes que pour les autres participants.
Depuis lors, une question revient en boucle : comment un officier qui s’est servi de l’armée pour prendre le pouvoir en 1999, mais aussi un président qui a supprimé de sa seule initiative et par décret un pan de la Constitution de son pays (concernant la Cour constitutionnelle) avant de la modifier pour se maintenir au pouvoir, peut-il donner des leçons à d’autres putschistes ? Azali a eu beau tout faire pour se donner une image présentable dans le monde, il ne peut effacer le passé.
À l’ombre des mercenaires
Le 30 avril 1999, le colonel Azali Assoumani s’empare du pouvoir par un coup d’État militaire. Sous la pression de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, devenue l’Union africaine), il chante une petite musique que l’on entend souvent après les coups d’État militaires en Afrique : il annonce qu’il rétablira la normalité constitutionnelle et laissera aux civils la gestion du pays. Mais quelques semaines plus tard, Al-Watwan, le journal gouvernemental, titre en citant le colonel : « Nous avons arraché le pouvoir et nous poursuivons ».
Avant ce coup d’État, le colonel Azali n’était pas très populaire dans son pays. En 1978, trois ans après l’indépendance, sous la dictature d’Ahmed Abdallah soutenue par les mercenaires français de Bob Denard, il obtient de pouvoir partir au Maroc pour une formation militaire destinée à de futurs officiers. Il raconte dans un livre d’entretien avec le journaliste Charles Onana, Quand j’étais président (Duboiris, 2009), qu’il faisait alors partie de la première promotion d’élèves officiers comoriens envoyés à l’Académie royale de Meknès. À côté de la rigueur de la formation militaire, lui et des camarades avaient loué une villa en dehors de l’école pour faire « la fête », précise-t-il.
Son départ pour le Maroc n’est sûrement pas dû au hasard, ni à la réussite d’un quelconque concours, dans un régime réputé comme étant celui de « nos enfants » – sous-entendu : les enfants des notables. De telles bourses étaient données aux proches du régime, qui pouvaient ensuite les redistribuer à leurs clients politiques pour leurs enfants. Les choses n’ont pas vraiment changé depuis...
À son retour au pays, en 1981, Azali est affecté au camp militaire de Mdé, au sud de l’île de la Grande-Comore. Puis il part en mission à Anjouan et revient dans sa caserne de rattachement. À cette époque, Bob Denard, qui dirige la Garde présidentielle, est tout puissant. La dictature d’Ahmed Abdallah ne tient que par la peur diffusée par ses hommes. Azali demeurera à l’ombre des mercenaires, attendant patiemment son tour, ne s’opposant jamais frontalement à eux, malgré l’image d’opposant à Bob Denard qu’il tente de se créer dans son livre-interview avec Charles Onana.
Aux premières loges
Durant cette période sombre de l’histoire des Comores, il ne fait rien contre les mercenaires. Plus encore, son silence, pour ne pas dire sa collaboration avec le pouvoir des hommes de Denard, lui permet d’obtenir des récompenses et des formations à l’extérieur.
En 1985, une collusion entre le Front démocratique, un mouvement d’obédience communiste, et certains officiers de l’armée comorienne pour éliminer les mercenaires et en finir avec la dictature est découverte. Quasiment tous les dirigeants du mouvement sont arrêtés. Civils et officiers rebelles subissent les pires sévices. Or non seulement Azali ne fait pas partie des officiers rebelles, mais en plus il n’a laissé aucune trace d’une quelconque contestation de cette répression. De ces événements qui ont marqué l’histoire des Comores, Azali n’en parle pas dans son livre. En 1985, il continue de profiter des bienfaits de la dictature soutenue par les mercenaires : il part en France pour suivre une formation à l’École d’application de l’infanterie de Montpellier.
À son retour l’année suivante, et après une mission au sein de la police, il est nommé dans le cabinet militaire de la présidence de la République. Dans son livre, il justifie cette affectation par le fait qu’après sa dernière mission ses chefs ne souhaitaient pas son retour au camp de Mdé. Mais il ne dit pas pourquoi. Il ne permet pas non plus à ses lecteurs de comprendre comment celui qui se dit opposé aux mercenaires se retrouve à la présidence...
Durant des années, il est bien placé pour observer la déliquescence progressive de l’État comorien : le recours aux tortures par les mercenaires ; l’assassinat d’Abdallah en 1989 (Azali explique dans son livre-interview qu’il est arrivé devant la présidence, qu’un mercenaire lui a ordonné de rentrer chez lui, et qu’il a sagement obéi...) ; l’instabilité politique qui suit, puis la déposition du président Said Mohamed Djohar en 1995 par Bob Denard et ses mercenaires, et sa déportation par la France sur l’île de la Réunion (durant l’assaut des mercenaires, il se cache dans une voiture banalisée et part se réfugier à l’ambassade de France) ; ou encore les errances politiques du président Mohamed Taki Abdoulkarim face au mouvement séparatiste à Anjouan, en 1997, et sa mort mystérieuse (la rumeur parle d’un empoisonnement) après un voyage en Europe en 1998.
« Petit Bokassa »
Il est à la tête de l’armée quand le président Taki meurt. Un ancien ministre du président Taki, décédé depuis, nous a raconté qu’ils attendaient qu’en tant que chef d’état-major il ordonne une autopsie du corps, mais qu’après réflexion il a demandé l’enterrement rapide du corps du président sans autopsie.
Le chef d’état-major et le chef de l’État n’étaient plus en phase depuis plusieurs mois. Après des manifestations liées à la dégradation sociale à Anjouan, un mouvement séparatiste est né, appuyé par des organisations françaises d’extrême droite, comme le mouvement royaliste Action française. L’île a même proclamé son indépendance après un semblant de référendum, et la mise en place d’un gouvernement autonome. Le président Taki a fait alors appel au chef d’état-major pour lui demander de préparer une intervention militaire afin de rétablir l’ordre républicain. Mais le colonel Azali lui a signifié son refus d’organiser le débarquement à Anjouan. Le président s’est appuyé sur d’autres militaires et l’opération a été un fiasco. La débandade a fait plusieurs morts. Mais le chef d’état-major est resté en place.
De son poste, le colonel Azali continue d’observer l’effondrement de l’État comorien, attendant son tour avec prudence. Cela ne tarde pas. Après la mort de Taki, une période d’intérim est mise en place. Légalement, le président par interim, Tadjidine Ben Saïd Massounde, ne peut pas changer de gouvernement, et il a soixante jours pour organiser une élection présidentielle. Mais, mal conseillé, il décide de mettre en place un gouvernement dirigé par le chef de l’opposition, Abbas Djoussouf, et d’aller au-delà des soixante jours.
Lorsqu’en 1999 Tadjidine commet la maladresse de récompenser d’anciens soldats rebelles, Azali Assoumani sent son tour arriver : il prend la tête d’une fronde de jeunes officiers. Ensemble, ils vont élaborer un piège dans lequel le gouvernement d’Abbas Djoussouf va tomber : certains leaders politiques perçus comme des séparatistes de la Grande-Comore vont organiser un semblant de « chasse aux Anjouanais » dans la capitale, Moroni. Certains cadres anjouanais vivant à Moroni depuis longtemps feignent de vouloir quitter la Grande-Comore et font amener matelas et autres effets personnels au port. Le colonel Azali n’a plus qu’à évoquer la menace qui pèserait sur l’unité de la nation pour prendre le pouvoir par un putsch dans la nuit du 29 au 30 avril 1999. Le premier ministre, impuissant, est contraint de se retirer. Il qualifie Azali de « petit Bokassa ».
Le pouvoir avant la traversée du désert
Une fois au pouvoir, Azali décide de placer en résidence surveillée le président Tadjidine et suspend la Constitution avant de la remplacer par une charte constitutionnelle qui donne la quasi-totalité des pouvoirs (exécutif et législatif) aux militaires. Certes, il promet de trouver une solution au problème du séparatisme et surtout, de ne pas rester au pouvoir plus de deux ans. En réalité, il n’a jamais imaginé une telle éventualité.
S’ils voulaient conserver le pouvoir, les militaires devaient mettre fin à la rébellion à Anjouan, soit par l’affrontement armé, soit par le dialogue. Le colonel, harcelé par les Comoriens et par l’OUA, choisit la discussion et les transferts d’argent aux sécessionnistes pour acheter une paix sociale et politique. Mais ce sont bien les positions des séparatistes anjouanais qui s’imposent aux putschistes. Ainsi leur a-t-il accordé le système de la tournante qui consistait à empêcher le président d’une même île d’effectuer un second mandat consécutif, et l’autonomie des îles – autant de principes que le même Azali a retirés récemment de la Constitution. Jusqu’à son départ du pouvoir, « l’État d’Anjouan » était toujours en place, et il n’a véritablement disparu qu’avec l’intervention militaire de l’UA à Anjouan en 2008, sous la présidence de Sambi.
En 2006, la tournante allant à Anjouan, Azali a dû lui céder le pouvoir. Malgré les nombreuses irrégularités constatées durant le scrutin et la tentative du parti d’Azali, la Convention pour le renouveau des Comores (CRC), de truquer les résultats, Sambi a largement remporté les élections, avec 58 % des suffrages, contre deux adversaires au second tour. En 2010, la présidence revient à l’île de Mohéli, et c’est Ikililou Dhoinine, candidat soutenu par Sambi, qui l’emporte.
Azali Assoumani a ainsi vécu une traversée du désert pendant dix ans. Il a préparé sa candidature à l’élection de 2016 (c’était à nouveau au tour de la Grande-Comore) sans jamais avoir été inquiété par les pouvoirs successifs – ni par celui de Mohamed Sambi, qui a fait arrêter voire condamner un certain nombre de ses lieutenants pour des faits de corruption et de malversations (Abdou Soefou, Houmed Msaidié, Hamada Madi Boléro, Fakridine Mahamoud, El Amine Soefou…), ni celui d’Ikililou Dhoinine, qui s’est rapproché de certains d’entre eux (Hamada Madi Boléro, Houmed Msaidié, Fakridine Mahamoud…).
Dérive autoritaire
Selon un ancien partisan d’Azali, avant la campagne de 2016, il aurait dit à ses proches : « En 2016, nous reviendrons au pouvoir, soit par la force, soit par l’élection. Mais je préférerais que ce soit par les élections, car nous avons vu comment c’était difficile après un putsch en 1999. » Azali remporte cette élection dans des conditions troubles, chacun des deux principaux camps semblant s’être livré à la fraude. Son adversaire, Mohamed Ali Soilihi, n’a pas reconnu sa défaite. Il a été placé en résidence surveillée deux ans plus tard, avant d’obtenir une permission pour aller se faire soigner en France – un billet pour l’exil en quelque sorte.
En 2016, Azali ne dispose pas de majorité à l’Assemblée nationale. Il doit négocier avec son nouvel allié… qui n’est autre que Mohamed Sambi. Mais ce curieux attelage fait long feu : au bout d’un an, en juillet 2017, Azali décide d’évincer les ministres proches de Sambi et se lance dans un processus de captation de tous les pouvoirs. En avril 2018, c’est par un simple décret qu’il suspend la Cour constitutionnelle. Le 19 mai suivant, c’est par une note du secrétaire général du ministère de l’Intérieur qu’il fait arrêter Sambi, devenu son principal opposant. Le 30 juillet, alors que les journalistes et les observateurs nationaux et internationaux constatent que les Comoriens ont boudé les urnes, celles-ci sont remplies en début d’après-midi pour faire adopter une nouvelle Constitution, dans laquelle la Cour constitutionnelle est supprimée et remplacée par une section électorale de la Cour suprême, dont les juges sont tous nommés par le chef de l’État, et qui accorde à chaque île deux mandats consécutifs de cinq ans – ce qui permet à Azali de rester au pouvoir.
Le 24 mars 2019, lors d’une élection présidentielle anticipée, les urnes ne sont même pas encore ouvertes que la Chambre électorale de la Cour suprême déclare Azali élu avec 59 % des voix1. Débutent alors des manifestations qui seront violemment réprimées à Moroni, et qui se poursuivront pendant au moins deux ans en France. Cette répression s’accompagne de meurtres et d’assassinats, parfois sous la torture, sans que jamais les auteurs ne soient jugés. Le 28 mars 2019, quelques jours après l’annonce des résultats, le commandant Faissoil Abdou Salam, le major Nacerdine Abdourazak et le commerçant Salim Nassor sont morts dans le camp militaire de Kandani dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies.
Avant l’élection de janvier 2024, Azali contrôlait le gouvernement, l’armée, la justice, l’Assemblée de l’Union, un bon nombre de journalistes… Au-delà de sa victoire, il faut craindre que le cycle des répressions, des emprisonnements et des tortures ne reprenne avant même son investiture. Un opposant, le Dr Achmet Saïd Mohamed, qui était rentré d’exil avant cette élection, a été enlevé par des militaires cagoulés devant son domicile le 9 janvier, une semaine avant le vote. Pendant vingt jours, personne n’a su où il se trouvait, jusqu’à ce qu’il soit déféré au parquet le 29 janvier, et mis en examen pour « attentat », « complot contre l’autorité de l’État et tentative d’actes terroristes ».
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1Le fameux influenceur sur Facebook, Nono, a filmé l’ensemble des urnes à l’Assemblée de l’Union avec les scellés : elles n’ont jamais été ouvertes. De plus, dans plusieurs bureaux, les urnes ont été cassées, et des PV fabriqués par la Commission électorale.