ÉDITO
COLON UN JOUR...
LE 20 AOÛT, DANS UN COMMUNIQUÉ DE PRESSE écrit au vitriol, quatre experts de l’ONU se sont dits alarmés par « la situation du peuple autochtone kanak dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie ». Ces experts sont José Francisco Calí Tzay, rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, Gina Romero, rapporteuse spéciale sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, Ashwini K.P., rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, et Irene Khan, rapporteuse spéciale sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression.
Leur constat est accablant pour la France. En voici des extraits :
La situation dans le territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie reste extrêmement volatile et incertaine. Nous sommes très préoccupés par l’absence de dialogue, l’usage excessif de la force, le déploiement continu des forces militaires et les rapports continus de violations des droits de l’homme qui ont ciblé des milliers d’Autochtones Kanaks pour avoir pris part à des manifestations depuis mai 2024. […] Le manque de retenue dans l’usage de la force contre les manifestants Kanaks, et le traitement exclusivement répressif et judiciaire d’un conflit dont l’objet est la revendication par un Peuple Autochtone de son droit à l’autodétermination, est non seulement anti-démocratique, mais profondément inquiétant pour l’État de droit. […]
Nous sommes particulièrement préoccupés par les allégations de violences à caractère raciste commises par des milices armées, qui ont causé la mort de 3 manifestants Kanaks. […] Nous sommes également préoccupés par certains développements qui montrent une tentative de démanteler l’Accord de Nouméa [signé en 1998], feuille de route du processus de décolonisation. La consultation sur la souveraineté de la Nouvelle-Calédonie s’est tenue le 16 décembre 2021 en pleine épidémie de COVID-19 et en plein deuil coutumier observé par le Peuple Kanak, malgré l’opposition des autorités et des organisations coutumières Kanakes. Cette consultation a été marquée par un taux d’abstention exceptionnel de plus de 43 %, remettant en cause la légitimité même de cette consultation. L’Assemblée nationale française a adopté le 14 mai 2024 un projet de loi modifiant le corps électoral, faisant sauter l’un des fondements de l’Accord de Nouméa, qui est précisément le gel du corps électoral en Nouvelle Calédonie. […]
Les droits fondamentaux à la participation, à la consultation et au consentement libre, préalable et éclairé du peuple Autochtone Kanak et des institutions coutumières Kanakes n’ont manifestement pas été respectés dans aucun de ces processus. En outre, la tentative de démantèlement de l’Accord de Nouméa, un accord qui a ramené la paix après des années de conflit sanglant au cours desquelles plus de 90 personnes ont trouvé la mort, porte atteinte à l’intégrité de l’ensemble du processus de décolonisation.
Les experts établissent le bilan de la répression à plusieurs morts (une dizaine), 169 blessés et 2 235 arrestations. Ils évoquent des cas de détention arbitraire et même des disparitions forcées.
Cette prise de position, peu médiatisée en France, fait très clairement porter aux autorités françaises la responsabilité des violences qui secouent l’île de l’océan Pacifique depuis mai dernier. Elle rappelle en outre une réalité souvent tue en France : pour l’ONU, la Nouvelle-Calédonie reste un territoire à décoloniser. Elle fait d’ailleurs partie de la liste des territoires dit « non autonomes », c’est-à-dire « dont les populations ne s’administrent pas encore complètement » et qui sont donc voués à acquérir un jour l’indépendance.
Cette liste est régulièrement remise à jour. Elle compte aujourd’hui 17 territoires. La plupart sont des îles caribéennes administrées par le Royaume-Uni. On trouve aussi des îles du Pacifique – la Nouvelle-Calédonie donc, mais aussi la Polynésie française et les Samoa américaines – et un territoire africain : le Sahara occidental. Pour l’organisation mondiale, cette ancienne colonie espagnole est occupée par le Maroc. Une position toujours respectée par la France… jusqu’à cet été. Emmanuel Macron a en effet implicitement reconnu la souveraineté du Maroc sur ce territoire dans une lettre adressée au roi Mohammed VI le 30 juillet, alors même que la France s’était depuis des années alignée sur les Nations unies sur ce dossier (et alors que le pays ne dispose plus d’un gouvernement légitime).
Il n’y a aucun lien entre le choix unilatéral de Macron – qui a suscité bien des critiques au sein de la diplomatie française et qui a provoqué une crise avec l’Algérie – et la répression de la résistance kanake. Mais la concordance de ces deux prises de position permet de constater – une fois de plus – que la France ne s’aligne derrière l’ONU que lorsque cela l’arrange (on peut faire le même constat au sujet de l’île de Mayotte), et surtout, qu’elle a toujours autant de mal à accepter les aspirations légitimes des peuples colonisés à se gouverner eux-mêmes.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
À LIRE
L’AFRIQUE DANS LE MONDE SELON STEPHEN ELLIS
STEPHEN ELLIS, DISPARU EN 2015, était l’un des plus grands historiens – et, de fait, l’un des plus grands politistes – de l’Afrique. Il a laissé derrière lui une œuvre monumentale, consacrée à de nombreux pays et de nombreuses questions, malheureusement trop peu traduite en français. Il a apporté des contributions dans de multiples domaines : l’histoire de Madagascar, avec notamment L’Insurrection des Menalamba. Une révolte à Madagascar 1895-1898 (Karthala, 1998) ; la criminalité en Afrique, avec La Criminalisation de l’État en Afrique (avec Jean-François Bayart et Béatrice Hibou, Complexe, 1997) et This Present Darkness. A History of Nigerian Organised Crime (Hurst, 2016) ; la guerre civile libérienne avec The Mask of Anarchy. The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War (Hurst, 2007) ; ou encore l’histoire de l’African National Congress (ANC) et de l’Afrique du Sud, avec External Mission. The ANC in Exile, 1960-1990 (Hurst, 2012).
Les Éditions de la Maison des sciences de l’homme ont eu la bonne idée de publier dans leur nouvelle collection « Afrique(s) » la traduction française de son ouvrage paru en 2011, La Saison des pluies. L’Afrique dans le monde. Cet ouvrage, que l’auteur a rédigé après avoir donné un séminaire à des coopérants néerlandais – pays où il enseignait –, offre dans un format court et incisif une première approche des problématiques du continent. Il a notamment des mots durs contre l’aide internationale : selon lui, elle sert avant tout à satisfaire la bonne conscience occidentale et – dans sa forme actuelle, en tout cas – au mieux elle est peu utile pour l’Afrique, au pire elle alimente la corruption, la forme rentière de l’État et la dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds.
L’idée directrice du livre est que, loin d’être un continent marginalisé, l’Afrique est pleinement intégrée à la mondialisation. Ce constat invite à porter le regard sur deux enjeux qui s’articulent : la manière dont l’Afrique s’insère dans la mondialisation, surtout dans sa « face cachée », et l’usage par ses élites de la souveraineté internationale, acquise avec les décolonisations. Reprenant un de ses thèmes favoris, la criminalité, Ellis montre comment des pays africains se sont constitués en hubs du blanchiment d’argent, comme les Seychelles, ou du trafic de drogue, comme la Guinée-Bissau. Cela est rendu possible par l’existence d’États « officiels », reconnus internationalement, disposant de codes juridiques et d’institutions garantissant théoriquement l’État de droit, mais qui ne sont que des façades permettant aux élites dirigeantes de mieux organiser, en sous-main, leurs trafics. Cette insertion dans les réseaux mondiaux permet aux élites africaines de consolider leur pouvoir à l’intérieur de leurs propres pays. En contrôlant l’appareil d’État, elles sont le passage obligé pour les acteurs étrangers voulant, par exemple, investir dans le secteur extractif.
Cette distinction entre l’État « officiel » et les pratiques réelles permet d’analyser la manière dont ces pays sont gouvernés. Loin de respecter les institutions, qui ont pour principale fonction de se conformer à la forme que doit prendre un État sur la scène internationale, ces élites gouvernent avant tout à travers des clans, qui agissent pour partie dans l’ombre. Nombre de pays sont ainsi dirigés par quelques familles – ce dont les successions dynastiques au Togo en 2005 ou au Gabon en 2009 témoignent de manière caricaturale. Il n’y a là rien de nouveau : Ellis rappelle que c’est le mode d’insertion au monde de l’Afrique depuis la traite des esclaves et la colonisation. Déjà, à ces périodes, les élites locales bénéficiaient de leurs relations avec l’extérieur pour asseoir leur domination à l’intérieur.
À lire : Stephen Ellis, La Saison des pluies. L’Afrique dans le monde, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2023, 224 pages, 26 euros.
TANGI BIHAN
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
LES ARTICLES DE LA SEMAINE
Rwanda-RDC. La guerre des récits
Analyse Alors que les combats font rage dans l’est de la République démocratique du Congo, les régimes de Kinshasa et de Kigali se sont lancés dans une guerre de l’information qui fait la part belle aux mythes et aux intoxications. Le Rwanda peut compter sur son armée digitale sur les réseaux sociaux, et la RDC sur quelques influenceurs, à commencer par l’essayiste conspirationniste Charles Onana.
Par Jason Stearns et Archie Macintosh
RD Congo. À Goma, les réfugiés tutsis font profil bas
Reportage Entre les déclarations alarmistes de Kigali et les dénégations de Kinshasa, les déplacés congolais de l’est du pays identifiés comme Tutsis, suspectés de soutenir le M23, sont pris entre plusieurs feux. Dans le camp d’Acogenoki, dit « camp tutsi », tous témoignent d’une situation plus complexe que ne le laissent croire les déclarations officielles.
Par Vincent Ortiz
Thomas Deltombe. « Mitterrand était un ardent défenseur de l’Empire »
Entretien Dans son nouveau livre, L’Afrique d’abord !, le chercheur Thomas Deltombe met en pièces la légende d’un François Mitterrand anticolonialiste. Au contraire, il démontre, archives à l’appui, que l’ancien président français fut, durant sa première vie politique, dans les années 1950, un grand défenseur de l’Empire et que son réformisme servait avant tout un projet néocolonial.
Par Rémi Carayol
Vous aimez notre travail ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables) :
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.