Bounti. Bavure française, complicité américaine

Le 3 janvier 2021, l’aviation française a bombardé un regroupement d’hommes près du village de Bounti, dans le centre du Mali. Des « terroristes » selon Paris. Des civils qui participaient à une cérémonie de mariage selon plusieurs sources, dont l’ONU. Cette bavure a fait couler beaucoup d’encre en France, mais très peu aux États-Unis. Pourtant, la bombe était américaine.

Dans la cabine de pilotage d’un drone de la force Barkhane. Si la frappe de Bounti a été menée par un Mirage de l’aviation française, un drone a également joué un rôle lors de cette opération.
© EMA

Le 3 janvier 2021, deux Mirage 2000 D de l’armée française ont effectué une frappe aérienne près du village de Bounti, dans le centre du Mali. Selon des habitants, des organisations de défense des droits de l’Homme et la Minusma (la mission de l’ONU au Mali), les militaires français ont bombardé un mariage, tuant 22 personnes, dont 19 civils. La plupart des victimes étaient des hommes âgés de plus de 40 ans. La ministre française des Armées, Florence Parly, a rejeté les conclusions du rapport de la Minusma, affirmant lors d’une conférence de presse tenue pendant une visite officielle à Bamako en avril 2021, que les hommes tués dans la frappe aérienne étaient des terroristes et qu’il n’y avait pas eu de dommages collatéraux. Plus d’un an après, le différend n’est pas réglé. 

Cet épisode, qui a marqué les esprits, a mis en lumière la campagne internationale contre les groupes djihadistes au Sahel et notamment l’alliance militaire entre la France et les États-Unis. En effet, le rapport de la Minusma publié en mars 2021 montre des photos des éclats des bombes utilisées lors de la frappe aérienne. Le numéro de produit figurant sur les éclats appartient à une bombe GBU-12 Paveway II à guidage laser, fabriquée par la société américaine Raytheon. De l’aveu même de la France, un drone MQ-9 Reaper de fabrication américaine a contribué à la collecte de renseignements lors de la frappe.

Alors qu’au Congrès américain, des débats ont été organisés, dans le passé, au sujet des armes américaines visant les civils au Yémen, le déploiement au Sahel semble ne pas être remis en question. Les médias internationaux, y compris les médias américains, n’ont pas prêté attention au rôle des États-Unis dans la fourniture d’armes, et la frappe aérienne n’a pas suscité de débat politique au sein du Congrès. Or comme l’a rapporté Bellingcat en 2018, le même type de munition a été utilisé lors du bombardement d’un mariage au Yémen le 22 avril 2018. Ce jour-là, 33 personnes, principalement des femmes et des enfants, avaient été tuées.

Une frappe, deux versions

Les premiers échos de la frappe survenue le 3 janvier 2021 sont apparus sur les réseaux sociaux le lendemain. La version de l’événement selon le gouvernement français a été partagée dans un communiqué de presse le 7 janvier. D’après ce récit, plus d’une heure avant la frappe aérienne, un drone MQ-9 Reaper effectuait une mission de collecte de renseignements au-dessus de la région de Douentza, au centre du Mali, lorsqu’il a détecté une moto avec deux individus, juste au nord de la RN 16 (qui relie Sévaré à Gao). La moto a fini par rejoindre un groupe d’environ 40 hommes à un kilomètre du village de Bounti.

Selon le communiqué de presse du ministère des Armées, « l’ensemble des éléments de renseignement et de temps réel a alors permis de caractériser et d’identifier formellement ce groupe comme appartenant à un GAT [Groupe Armé Terroriste] ». Durant une heure et demie d’observation, l’armée française ne détecte ni femme ni enfant. Elle finit par ordonner une frappe. Deux Mirage 2000, déjà en vol, reçoivent alors l’ordre de se déployer et de frapper l’endroit à 15 heures (heure locale). Environ 30 hommes auraient été touchés. Le communiqué de presse fournit les coordonnées militaires1 du lieu de la frappe aérienne. Bellingcat et d’autres chercheurs utilisant des sources ouvertes ont pu confirmer, via des images satellites, qu’une cicatrice de brûlure est apparue à cet endroit entre le 3 janvier et le jour suivant.

Toutes les parties sont à peu près d’accord sur les événements décrits par le ministère français des Armées : la chronologie, le lieu, le nombre et le sexe des victimes. Cependant, dans son rapport, l’ONU a constaté que les hommes s’étaient réunis pour un mariage à Bounti, contrairement aux affirmations de la France. Les enquêteurs de la Minusma ont mené des entretiens individuels en face à face avec plus de 115 personnes, ils se sont entretenus avec 200 autres lors de conversations de groupe et ont réalisé 100 entretiens téléphoniques.

Sur la base de ces recherches approfondies, le rapport de la Minusma indique que le rassemblement bombardé par les Français à Bounti n’était pas un regroupement d’hommes armés, mais une célébration de mariage. Les hommes et les femmes étaient séparés les uns des autres, comme le veut la norme locale. Les hommes se sont rassemblés à environ un kilomètre du village dans une zone boisée, couverte d’arbustes. C’est là que l’aviation française a frappé. Les sources de la Minusma suggèrent que cinq hommes armés, appartenant vraisemblablement à la katiba Serma, un groupe djihadiste faisant partie de la Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), affiliée à Al-Qaïda, se sont également joints au rassemblement. Le reste des personnes présentes étaient des civils.

La France campe sur ses positions

Lorsque la frappe a eu lieu à 15 heures, 19 personnes ont immédiatement été tuées par l’impact. Trois autres personnes ont succombé à leurs blessures lors de leur transport vers la clinique la plus proche. Parmi les 22 personnes décédées, trois ont été identifiées par la Minusma comme étant des membres de la katiba Serma. Selon une interview que l’ONG Médecins sans frontières (MSF) a accordée au Monde quelques jours après la frappe aérienne, des hommes se sont présentés au centre médical de l’ONG à Douentza pour demander de l’aide afin de transporter des blessés de Bounti. MSF a prévenu les autorités sanitaires maliennes, qui ont alors transporté huit blessés vers la structure MSF de Douentza (une ville située à environ 50 km de Bounti).

Le 4 janvier (selon la Minusma) ou le 5 janvier (selon MSF), l’ONG a décidé d’évacuer trois des blessés vers l’hôpital de Sévaré. Mais l’ambulance a été arrêtée par un groupe armé appartenant selon l’ONU à la milice dogon Dan Na Ambassagou. Ces hommes armés, qui disposent de check-points sur l’axe routier reliant Sévaré à Douentza, ont détenu les blessés et le personnel de MSF pendant plusieurs heures. Durant cette détention, l’un des hommes a succombé à ses blessures. Par la suite, l’un des blessés soignés à Sévaré, ainsi que son accompagnant, ont été arrêtés par la gendarmerie le 15 janvier, puis relâchés le 3 février, faute de preuves de leur appartenance à un groupe terroriste.

Bellingcat a contacté le cabinet du chef des armées françaises pour savoir s’il avait suivi la recommandation de l’ONU de diligenter une enquête indépendante sur la frappe aérienne et si sa position avait changé après la publication du rapport de l’ONU. L’armée a refusé de faire d’autres commentaires sur cette affaire, et a renvoyé vers les communiqués de presse du 7 janvier et du 30 mars 2021, dans lesquels elle a rejeté tout acte répréhensible.

La bombe était américaine

En tant que membre de l’OTAN, il n’est guère surprenant que la France utilise des armes de fabrication américaine. Les Français ont ainsi utilisé un drone MQ-9 Reaper, produit par General Atomics, une société américaine basée à San Diego, pour la collecte de renseignements avant la frappe aérienne. Mais un détail a été passé sous silence : il s’agit de l’origine du missile qui a été utilisé lors de la frappe aérienne.

Bien que les forces américaines au Sahel aient fourni un soutien en matière de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) aux Français à de multiples occasions, on ne sait pas si cela s’est produit à Bounti également. Quant au Congrès des États-Unis, l’organe qui vérifie les ventes d’armes par le biais de la loi sur le contrôle des exportations d’armes (AECA) de 1976, il n’a fait aucune déclaration publique sur le sujet et n’a pas discuté de l’utilisation de bombes de fabrication américaine et d’un drone pour cette frappe aérienne.

Stoke White Investigations, dirigé par l’ancien collaborateur de Bellingcat Khalid Dewan, a publié son propre rapport le 25 juillet 2021, basé sur des preuves obtenues via des sources ouvertes. L’équipe d’investigation a identifié de manière indépendante les éclats d’obus du rapport de la Minusma comme appartenant à une bombe Raytheon GBU-12 Paveway II à guidage laser.

Les personnes qui surveillent les conflits armés dans le monde entier connaissent déjà le nom de Raytheon. En avril 2018, une frappe aérienne de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite avait déjà visé un mariage à des milliers de kilomètres plus à l’est, au Yémen. Le missile utilisé dans ce cas était également un GBU-12 Paveway II, comme le rapporte Aric Toler, chercheur pour Bellingcat. Le missile qui a frappé Bounti est de la même marque, comme le montrent les images publiées dans le rapport de la Minusma. Raytheon n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Ci-contre, l’annexe 9 du rapport de la Minusma. Un fragment du missile est visible, ainsi que les inscriptions, qui montrent le code CAGE (jaune), le numéro de produit (violet) et le NSN (rouge).
© Minusma

Sur le fragment, on peut voir un numéro précédé de NSN. Il s’agit du « NATO Stock Number », un code à 13 chiffres utilisé par de nombreux pays de l’OTAN (et par d’autres pays non-membres) pour identifier les fournitures d’armes dans le système d’approvisionnement de l’organisation. Dans le cas de Bounti, nous voyons le NSN complet (1325-01-041-5890). Via le site Parttarget.com, nous avons pu identifier cette pièce comme appartenant à l’assemblage de l’aile d’une bombe GBU-12 à guidage laser.

Le code « Commercial And Government Entity » (CAGE) 96214, marqué en jaune sur l’image, appartient à une installation Raytheon située à McKinney, au Texas. Il est possible de vérifier les codes CAGE sur le site web de la Defense Logistics Agency des États-Unis ou avec l’outil de demande de codes NCAGE sur le site web de l’OTAN.

Enfin, la fiche technique de l’armée de l’air française (page 6) mentionne spécifiquement que les Mirage 2000 D de fabrication française peuvent emporter des missiles GBU-12, le même type qui a été trouvé sur place.

Cette frappe a été particulièrement couverte par les médias français, et elle a même été débattue dans l’arène politique française. Mais il n’y a eu pratiquement aucune conséquence politique, et encore moins juridique. Malgré les articles du New York Times2 et du Washington Post3 sur les conclusions de l’ONU, celles-ci n’ont pas été débattues au Congrès des États-Unis.

Comme au Yémen

En 2019, l’annonce que la coalition dirigée par l’Arabie saoudite ciblait, au Yémen, des civils avec des munitions telles que la GBU-12, avait suscité une vague d’indignation. Aujourd’hui, les missiles Raytheon continuent d’être utilisés dans les frappes aériennes menées par l’Arabie saoudite au Yémen. Le 21 janvier 2022, la prison de détention provisoire de Sa’dah a été prise pour cible (voir le tweet ci-dessous). 82 personnes ont été tuées selon MSF.

L’expert militaire Marc Garlasco a identifié le code CAGE de la bombe qui a frappé la prison de Sa’dah en utilisant la même méthode.

Stoke White Investigations, le cabinet d’avocats qui a enquêté sur la frappe aérienne de Bounti, et Rebecca Mignot-Mahdavi, maître de conférences en droit international à l’Université de Manchester, estiment que les frappes aériennes du 3 janvier 2021 étaient des frappes dites de « signature ». Les drones semblent en effet avoir été utilisés pour observer les schémas comportementaux d’individus qui n’ont pas été identifiés – comportements qui, selon les militaires, indiquent leur appartenance à un groupe armé. « Il est indéniable que la France exécute des frappes de signature basées sur l’observation de schémas comportementaux sur le terrain via l’utilisation de missions de renseignement, de surveillance et de reconnaissance (ISR) par drone », indique Khalil Dewan dans un courriel4.

Suspicion de « frappes signatures »

Les « frappes signatures » sont souvent effectuées en dehors des moments de combat, ce qui entre en contradiction avec l’interprétation juridique la plus largement acceptée des normes régissant la conduite des hostilités. Ces normes stipulent qu’un État peut viser un acteur non étatique lorsqu’il s’assure que cette personne participe directement aux hostilités. Après la fin des hostilités, la France ou un autre pays n’est pas autorisé à cibler une personne soupçonnée d’avoir participé aux hostilités, explique Rebecca Mignot-Mahdavi.

La fenêtre d’opportunité pour frapper des ennemis présumés est donc étroite. Dans cette optique, certains pays comme les États-Unis et la France auraient commencé à utiliser le concept de « fonction de combat continue » (CCF) pour justifier leurs frappes aériennes. La CCF a été établie et « cristallisée en 2009 lorsque le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a publié ce que l’on appelle un guide interprétatif [un document juridiquement non contraignant] », précise Rebecca Mignot-Mahdavi. Dans le cadre du CCF, les membres de groupes armés organisés non étatiques cessent d’être considérés comme des civils et perdent leur protection contre les attaques directes, tant qu’ils assument leur « fonction de combat continue ». Selon la chercheuse, la notion de CCF est controversée. Elle note que l’interprétation utilisée par le CICR est plus stricte que celle utilisée par des pays comme les États-Unis ou la France qui se servent de cette notion pour justifier certaines de leurs frappes de drones en dehors des moments et des zones de combat. Par exemple, le CICR a établi des critères plus rigoureux pour déterminer l’intégration durable d’un individu dans un groupe armé.

Cela conduit souvent à utiliser des preuves contextuelles quand il est impossible de certifier la participation de la cible aux hostilités. Rebecca Mignot-Mahdavi explique que « par exemple, l’âge de la cible, son sexe, le fait qu’elle se soit réunie dans des endroits inhabituels pendant plusieurs heures, etc., sont autant d’indices que cette personne pourrait faire partie d’un groupe djihadiste, et la frappe est alors effectuée »

Une frappe française sur cinq jeunes hommes dans les environs de Talataye, au Mali, le 25 mars 2021, en est un exemple. Les cinq hommes circulaient à moto, un mode de transport habituel autant pour les civils que pour les insurgés dans cette zone, et ils portaient des fusils. Le père de l’un des défunts a déclaré à The New Humanitarian5 qu’ils étaient partis chasser.

Une étroite coopération

Selon Rebecca Mignot-Mahdavi, c’est l’utilisation de « frappes signatures » par les États-Unis qui a pu donner des idées à la France. Des documents récemment publiés par le New York Times décrivent l’utilisation de « frappes signatures » par les États-Unis au Moyen-Orient. Dans un cas, le ministère de la défense américain utilise l’expression « ISIS-movement signature » pour désigner un mouvement d’individus jugé similaire aux mouvements des combattants de l’État islamique constatés antérieurement. Selon la propre évaluation du ministère de la défense, cette opération a entraîné la mort de quatre civils. Ce n’est qu’une des nombreuses « bavures » commises par les États-Unis. Plus récemment, le 29 août 2021, une frappe aérienne américaine à Kaboul a tué 10 civils, dont 7 enfants. Le Pentagone a reconnu qu’il s’agissait d’une « erreur tragique », mais personne n’a été tenu pour responsable.

À Bounti et Talataye, tout le monde s’accorde à dire qu’il n’y avait pas d’hostilités en cours lorsque l’attaque a été lancée. Selon Khalil Dewan, responsable de Stoke White Investigations, « il est indéniable que trois individus armés assistant à une fête de mariage ne constituent pas une menace pour quiconque, puisqu’aucune hostilité n’avait lieu. Mais le fait que les militaires français continuent de soutenir que le rassemblement était dans son intégralité un rassemblement de groupes armés, démontre que la France fait une interprétation particulière du droit international et des assassinats ciblés ».

En 2020, France 24 s’est entretenu avec des soldats français qui ont expliqué l’importance du renseignement américain dans la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel. La France ne disposait alors que de trois drones de fabrication américaine déployés dans le cadre de l’opération Barkhane. La flotte de l’US Air Force (USAF) était et est toujours beaucoup plus importante (plus de 300 drones au 15 juillet 2021). Dans ce reportage, le commandant « Nicolas » déclarait que les militaires français se coordonnaient régulièrement avec les USAF qui opèrent dans la même région, et qu’ils leur demandaient parfois un soutien afin de suivre des cibles potentielles, par exemple lorsqu’un convoi de motos se sépare. Selon France 24, les Américains disposent notamment de moyens en matière de renseignement d’origine électromagnétique (SIGINT) qui leur permettent d’intercepter les communications radio et téléphoniques ennemies. En juin 2020, la ministre française des Armées, Florence Parly, avait révélé que la France avait reçu des informations des États-Unis qui lui avaient permis de « neutraliser » le chef d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, Abdelmalek Droukdel, au début du mois. Ces frappes de « personnalité » ne doivent pas être confondues avec les « frappes signature ».

Bien que les forces françaises parlent souvent en termes élogieux de leur coopération avec les forces américaines, elles donnent généralement peu d’informations sur les frappes aériennes qui se sont appuyées sur des renseignements américains. Les cas de frappes de personnalité contre un chef terroriste haut placé comme Droukdel ou Nasser al-Tergui sont une exception.

De nombreuses ventes à la France

Bellingcat a contacté le ministère de la défense américain et Africom, pour savoir s’il y avait eu un partage de renseignements entre les États-Unis et la France lors de la frappe de Bounti. Africom a répondu qu’ils ne commentent pas les questions de renseignement.
« L’utilisation par la France d’équipements militaires américains au Mali est juridiquement significative lorsque des crimes de guerre sont commis, mais les questions devraient vraiment se concentrer sur le partage de renseignements par signaux6 entre la France, les États-Unis et d’autres alliés européens opérant au Sahel », indique M. Dewan.

Il rappelle que la France fait partie du dispositif EPIE (European Partnership Integration Enterprise) situé sur la base aérienne de Ramstein en Allemagne et que, dans cette installation, les renseignements sont collectés auprès de divers pays partenaires, ce qui permet à plusieurs commandants dans plusieurs pays et théâtres de guerre d’exécuter des cibles en collaboration.

Les informations recueillies par l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri) montrent que les États-Unis ont livré des bombes à guidage laser comme la GBU-12 à la France à de multiples reprises, en 2000-2001, 2005-2006 (GBU-49), 2010-2015 (cette entrée mentionne les Paveway II sans autre précision). En 2018, une commande a été passée pour les drones MQ-9 Reaper de General Atomics, ainsi que deux commandes de missiles Hellfire livrés en 2016 pour être utilisés sur l’hélicoptère de combat Tigre, et un autre lot commandé en 2019 pour être utilisé sur le drone MQ-9 Reaper. Une notification de vente d’armes de septembre 2021 a énuméré les ajouts et améliorations apportés au programme MQ-9 français au cours des années précédentes. Par exemple, en 2018, elle annonçait une mise à niveau pour rendre les drones français aptes à l’armement et une inclusion de cent GBU-49 à cet accord. En 2019, le Congrès a été informé d’une mise à niveau des drones du « Block-1 » au « Block-5 », la dernière version du drone de General Atomics.

Le rôle du Congrès

Les Français ont partagé des photos et des vidéos de drones MQ-9 Reaper armés de GBU-12 à Niamey en 2019 indiquant que les drones Reaper seraient entièrement armés de GBU-12 et de missiles air-sol Hellfire à la fin de 2020, et de GBU-49 en 2021. En août 2021, le ministère des Armées français a annoncé que son MQ-9 Reaper Block 5 était déployé en pleine capacité et armé de bombes GBU-12, confirmant les informations de la notification de vente d’armes de septembre 2021. Cette notification de vente d’armes mentionnait également la vente de stations mobiles de contrôle au sol supplémentaires à la France. C’était moins de six mois après le rapport de la Minusma. Le coût total du contrat MQ-9 était de 1,7 milliard de dollars (1,5 milliard d’euros) selon la notification de vente d’armes.

Un an après la frappe aérienne de Bounti, en janvier 2022, les États-Unis ont annoncé au moins deux nouvelles ventes de drones MQ-9 à la France pour une valeur de 388 millions de dollars.

Les exportations d’armes américaines, qu’elles soient vendues directement par le gouvernement (Foreign Military Sale - FMS) ou par une entreprise américaine (Direct Commercial Sales - DCS), sont soumises à la surveillance du Congrès lorsque leur valeur dépasse un certain montant. Ces exportations d’armes sont soumises à un contrôle de l’utilisateur final (EUM) afin de garantir que les armes sont utilisées aux fins prévues. « En général, la surveillance de l’utilisation finale est mise en œuvre de manière beaucoup trop étroite, l’accent étant mis par les institutions sur la nécessité de s’assurer que les armes sont comptabilisées, plutôt que sur les cas où elles pourraient être utilisées à mauvais escient, notamment contre des civils, précise Jeff Abramson, chercheur associé à l’Arms Control Association. L’exécutif et le Congrès devraient s’assurer que toute allégation d’utilisation abusive, en particulier contre des civils et des infrastructures civiles, fasse l’objet d’une enquête ».

Brittany Benowitz, avocate et ancienne membre du personnel du Congrès spécialisée dans le contrôle des armes, rappelle que l’AECA interdit la vente d’articles de défense par les États-Unis à des destinataires qui en ont fait un mauvais usage dans le passé. Selon Brittany Benowitz, cette interdiction est interprétée à tort comme ne couvrant que les violations du jus ad bellum, et non du droit international humanitaire ou des droits de l’Homme.

Fin de Barkhane, poursuite des frappes ?

Le meurtre de civils pourrait-il constituer une violation du jus ad bellum ? Pour Mme Benowitz, « les attaques généralisées et systématiques contre la population civile ne répondraient probablement pas aux normes de nécessité du jus ad bellum et constitueraient donc une violation de l’utilisation finale, même selon l’interprétation étroite du Département d’État ». Elle estime en outre qu’une fois que le Département d’État est mis au courant d’une possible violation de l’utilisation finale, il est censé en informer le Congrès. Si le Département d’État ne l’a pas fait, cela pourrait constituer une violation de l’AECA.

Il est possible que le Département d’État n’ait pas sollicité le Congrès parce qu’il ne considère pas une seule frappe aérienne isolée comme une violation de l’utilisation finale. Mais même dans ce cas, « le Département doit expliquer quelles mesures il a prises pour s’assurer qu’il ne s’agissait que d’un incident isolé », souligne Mme Benowitz. À la question de savoir si le Département d’État avait informé le Congrès, son porte-parole a répondu : « Par principe, nous refusons de commenter publiquement les délibérations internes et les consultations avec le Congrès ».

L’avenir de l’opération Barkhane semble scellé, le président Macron ayant annoncé le retrait des troupes françaises du Mali alors que la junte malienne s’appuie désormais sur les mercenaires russes du groupe Wagner. Néanmoins, il semble peu probable que la France cesse complètement ses frappes aériennes contre les menaces réelles ou perçues comme telles sur le terrain, et l’administration Biden semble encline à continuer à soutenir la campagne « antiterroriste » de la France au Sahel.

130 PWB 4436 83140 (15.223967, -2.586948)

2Ruth Maclean, « A Wedding, an Airstrike, and Outrage at the French Military », New York Times, 30/03/2021.

3Danielle Paquette, « French airstrike in Mali killed 19 civilians, U.N. investigation finds », Washington Post, 30/03/2021.

4Régulièrement sollicitée par les journalistes, l’armée française refuse de rendre publiques ses règles d’engagement dans le cadre de l’opération Barkhane. Questionné par Mediapart en juin 2021, le ministère des Armées avait répondu ceci : « Les règles d’engagement sont établies avec l’appui d’experts militaires et validées au plus haut niveau avant d’être distribuées et expliquées à chaque commandant français d’opération. Essentielles à l’efficacité de nos opérations, elles sont protégées par le secret de la défense nationale ».

5Certains des auteurs de cet article sont les mêmes que ceux qui ont enquêté pour The New Humanitarian.

6Il s’agit de détecter, intercepter, localiser et brouiller des émissions de signaux.