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Au Cameroun, la grosse galère pour les anciens footballeurs

Témoignages · Au pays de Roger Milla et de Samuel Eto’o fils, les anciens joueurs ont beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Certaines histoires virent au drame, alors qu’aucun soutien de la part de l’État n’existe.

L'image représente un groupe de personnes jouant au football sur un terrain en herbe. Les joueurs portent des maillots de différentes couleurs, principalement blancs, rouges et jaunes. On peut voir des hommes en train de s'échauffer ou de danser, avec des mouvements dynamiques et joyeux. En arrière-plan, on aperçoit des gradins remplis, et des bâtiments se dressent autour du terrain. L'ambiance semble conviviale et énergique, avec un sentiment de camaraderie parmi les joueurs.
D’anciens footballeurs membres de l’Association des vétérans de Douala à l’échauffement, au stade Mbappé Leppé (Douala), en 2025.
© Pierre-Arnaud Ntchapda

Le 22 décembre 2024, l’ancien footballeur international camerounais Joseph Kamga poste un appel à l’aide sur son compte d’un réseau social. La publication dit exactement ceci :

Urgence : Timothée Domche, ancien footballeur, est dans une situation critique. Depuis quelques mois, il est sans assistance et ayant passé deux jours à son chevet, je lance un cri du cœur aux bonnes volontés de lui venir en aide. Je remercie déjà du fond du cœur le président du Synafoc, mon grand frère Michel Kaham et ses anciens poulains du Diamant de Yaoundé (Michael Doumbe, Kilana, Mister Georges, Kadang, le magistrat Simo à Douala et bien d’autres) pour leur soutien financier et moral.

Sur la photo d’illustration, on peut voir le lanceur d’alerte soutenant le malade. Des situations comme celle de Timothée Domche sont courantes dans l’univers du sport camerounais. L’après-carrière des footballeurs – même les plus grands – est souvent difficile, parfois dramatique.

L’ex-capitaine du club Union sportive de Douala, Norbert Owona, a lui été retrouvé mort le 3 février 2021 à Douala, en pleine rue, où l’ancien joueur de l’équipe nationale du Cameroun de 70 ans vivait. Le grand public a découvert sa condition à la télévision en 2018. Il était déjà sans domicile fixe et souffrait d’une hernie discale. Touché, Samuel Eto’o fils avait payé son opération dans un petit hôpital de Douala. La star du football lui avait offert en plus 500 000 F CFA (762 euros)... Sans suivi adéquat et démuni, la vedette camerounaise des années 1960-1970 est retournée dans la rue. Des années plus tôt, Owona avait perdu son épouse et deux de leurs enfants emportés par le cancer. Il disait que cette maladie avait asséché ses réserves financières.

« L’ancien capitaine des Lions indomptables est mort paupérisé »

Un autre capitaine a connu une fin de vie difficile. Stephen Tataw, à la tête des joueurs qui émerveillèrent le monde entier à la Coupe du monde de football de 1990 en Italie1, s’est éteint le 31 juillet 2020 à l’âge de 56 ans, à son domicile. Il n’avait pas les moyens de se soigner.

Juste après ce décès, Emmanuel Maboang Kessack, un autre membre de l’épopée italienne, a réagi sur l’antenne camerounaise Radio Sport Info :

L’ancien capitaine des Lions indomptables est mort paupérisé, dans l’indifférence totale de ses anciens coéquipiers et des dirigeants de la Fédération camerounaise de football, dont il ne souhaite pas que certains mettent les pieds à ses obsèques. La vie était devenue dure pour Tataw lorsqu’il a perdu sa femme. Personne ne l’a assisté. [...] Il vivait de mendicité.

« […] Nous n’avions pas été prévenus de l’état critique ou de la dégradation de son état de santé », a réagi Narcisse Mouelle Kombi, le ministre des Sports et de l’Éducation physique, quelques jours plus tard à la télévision nationale.

Tataw n’a pas eu la même chance que Jean-Paul Akono, le sélectionneur de l’équipe nationale championne olympique en 2000. Victime d’un accident vasculaire cérébral en 2013, l’ancien footballeur et entraîneur a été pris en charge en France par Samuel Eto’o fils. Depuis, chaque fois que son état de santé se dégrade, l’ex-sélectionneur des Lions indomptables est soigné avec le concours des autorités camerounaises. « Cette situation est assez regrettable, déplore Yves Kamto, ancien journaliste sportif et dirigeant de club aujourd’hui avocat. Ces gens ont donné le meilleur d’eux-mêmes et ont contribué à rehausser l’image de notre pays. Quand ils terminent leur vie de cette manière-là, ça fait grincer des dents. »

« J’ai rencontré pas mal de difficultés »

Quelles sont les causes de cette situation ? Yves Kamto fait remarquer que ceux qui étaient employés en parallèle de leur activité sportive s’en sortent mieux. La situation est différente pour ceux qui n’avaient que le football comme activité génératrice de revenus. Ceux-là n’ont pas pensé à ce qu’ils feraient après leur carrière.

Parmi les footballeurs indigents, il y a ceux qui ont gagné beaucoup d’argent, mais qui l’ont dilapidé. L’exemple qui revient souvent est celui de la génération des Lions indomptables qui a disputé la Coupe du monde de 1990. Devenus multimillionnaires (en francs CFA) grâce aux primes de victoires et autres récompenses, plusieurs des vingt-deux membres de l’expédition italienne se sont retrouvés sur la paille faute d’avoir songé à faire des placements rentables.

Rendez-vous est pris un jeudi après-midi avec l’Association des vétérans de Douala (AVD), au stade Mbappé Leppé. Elle y organise des matchs deux fois par semaine. L’ancien sociétaire du Dragon de Yaoundé et de l’Union de Douala, Marcellin Ayina, dit vivre difficilement depuis qu’il a raccroché les crampons. « J’ai rencontré pas mal de difficultés depuis ma retraite en 1993 », rapporte-t-il.

Les plus « forts » doivent « tirer » les plus « faibles »

Pendant sa carrière, l’ex-défenseur travaille pour la banque BIAO. Mais l’institution bancaire ferme ses portes alors qu’Ayina est encore sur les terrains. « C’était comme si j’avais reçu un coup de massue sur la tête, explique-t-il. J’ai voulu partir du pays sans y parvenir. J’ai continué à me battre pour joindre les deux bouts. » Marcellin Ayina a « flirté avec quelques petites entreprises de la place ». Il a aussi été commissaire de matchs, jury lors des tournois du centre de formation Elite du Football Boissons du Cameroun… « Je suis fier d’avoir aujourd’hui des enfants dans de grandes écoles. » « Chacun de nous doit gérer ses difficultés au moment où elles surviennent. Certains comptent sur le soutien de la famille, d’autres sur leurs relations », indique le sexagénaire.

Georges Moussole est un des rares footballeurs ayant évolué au Cameroun qui s’en sort bien. L’ancien numéro 10 du Léopard de Douala et de l’Union de Douala a cessé de jouer en 2009.

Je tire mon épingle du jeu. Aujourd’hui, j’ai mes petites affaires, mais ma sortie du foot n’était pas planifiée. J’ai trouvé un contexte qui m’a été favorable grâce à mes parents et qui aujourd’hui me fait vivre décemment.

Aujourd’hui, il est engagé dans la défense des droits des footballeurs en tant que délégué du Syndicat national des footballeurs camerounais (Synafoc) pour le département du Wouri (dont Douala est le chef-lieu).

L’État n’accompagne « pas suffisamment »

Son syndicat aide les anciens joueurs à se réinsérer, notamment à travers les métiers liés au football : entraîneur, chroniqueur sportif, directeur sportif... Georges Moussole considère que tout le monde doit se serrer les coudes, les plus « forts » devant « tirer » les plus « faibles ». Le syndicaliste déplore l’absence de structure étatique pour aider les anciens footballeurs.

De son côté, Gabriel Nloga, le chef de la communication du ministère des Sports et de l’Éducation physique, conseille aux footballeurs et aux autres sportifs de penser à leurs vieux jours lorsqu’ils sont en activité. Ceux qui sont membres d’associations ou syndiqués doivent par exemple « exiger » leur affiliation à la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS). « L’État donne des conseils à ceux qui sont encore en activité pour avoir un minimum après, plaide-t-il. Mais il n’y a pas un chantier spécifique au ministère des Sports ou bien mis en place par l’État. »

Un discours qui ne convainc pas tout le monde. L’ancien international de football Eugène Ekeke, un autre héros de la Coupe du monde de 1990, estime que l’État n’accompagne « pas suffisamment » ceux qui comme lui « ont tout donné ». Ses collègues n’ont pas eu le temps de se préparer à leur nouvelle vie : « Il faut privilégier la formation », suggère l’ancien attaquant de Valenciennes.

Bertrand Tietsia, le grand boxeur devenu bénévole

Il n’y a pas que les anciens footballeurs : d’autres sportifs, comme le boxeur Bertrand Tietsia, connaissent la même galère. Afrique XXIrencontre l’ancien champion du Cameroun et d’Afrique dans la mythique salle de boxe du Centre de jeunesse et d’animation de New-Bell, où il a fait ses armes et bâti sa légende. Il s’est depuis reconverti comme entraîneur. Mais son activité de coach ne le fait pas vivre.

« J’ai une activité au “marché des chèvres” [un marché de Douala, NDLR]. J’achète des bêtes que je revends. Je mène cette activité depuis plus de quarante ans. J’ai pu me bâtir une maison. J’entretiens ma famille. J’espère pouvoir m’offrir une voiture un de ces jours », confie-t-il.

Malgré ses cinquante combats professionnels, le retraité de 53 ans affirme avoir gagné très peu d’argent. Il en veut au milieu de la boxe en Afrique : « Parfois, vous êtes censé remporter 50 millions de F CFA quand vous gagnez un titre, mais on ne vous les donne pas », se plaint celui qui fut seize fois champion du Cameroun.

Aujourd’hui, Tietsia compare sa condition à celle de célébrités mondiales qu’il a côtoyées aux Jeux olympiques d’Atlanta (1996), son meilleur souvenir de pugiliste. Il cite Floyd Mayweather, Vladimir Tusco, Vassiliy Jirov… « Ce sont de grands champions hyper-riches. Leur sport les nourrit », soupire-t-il. Le Camerounais se dit qu’il aurait pu être lui aussi plein aux as s’il avait choisi l’immigration clandestine lors de ses voyages à l’étranger. « Watabèlè » dit qu’il ferait les choses différemment si l’occasion se représentait.

Quand je vois ma vie aujourd’hui et le standing de ceux qui sont restés après les compétitions à l’étranger, j’ai des regrets. Je ne me voyais pas finir de cette façon. Je revenais au pays à chaque fois parce que j’estimais qu’un boxeur de mon calibre n’avait pas besoin de s’expatrier de cette manière. En plus, j’étais le capitaine de l’équipe nationale de boxe, ce qui m’obligeait à montrer l’exemple.

Lui aussi réclame l’aide de l’État. Celui-ci pourrait intégrer les « grands sportifs » dans l’encadrement technique des équipes nationales. « L’État a tous les moyens. Il peut nous en donner s’il veut », croit l’ex-pugiliste. Pour l’heure, il forme la relève, sans rémunération. Poussé uniquement par le désir de transmettre sa passion pour la boxe. P-A.N.

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1Cette année-là, le Cameroun devient le premier pays africain à atteindre les quarts de finale d’une Coupe du monde.

2Cette année-là, le Cameroun devient le premier pays africain à atteindre les quarts de finale d’une Coupe du monde.