Au Burkina Faso, l’étrange disparition de « Django », artiste-milicien

Enquête · Ancien musicien devenu leader des Koglweogo dans l’est du Burkina, Moussa Thiombiano, alias « Django », a été enlevé le 1er avril 2023 dans son fief de Fada N’Gourma. Le rapt du célèbre septuagénaire pourrait être lié à son engagement en faveur du dialogue avec les djihadistes. Il illustre la confusion qui règne dans le pays.

Moussa Thiombiano, alias « Django », à Fada N’Gourma en 2016.
© Sophie Garcia

Les faits se sont déroulés le 1er avril 2023, et il ne s’agissait ni d’une blague ni d’un canular. L’enlèvement de Moussa Thiombiano, plus connu sous le nom de « Django », est bel et bien réel. Les réseaux sociaux avaient relayé l’information, le temps d’une journée, et puis plus rien. Et pourtant, « papa a été enlevé le 1er avril », nous ont confirmé les enfants de Django. On sait peu de choses sur les circonstances de sa disparition. Les ravisseurs ont agi vite et discrètement, ne laissant que peu de traces. Les témoins sont rares et ont peur de parler.

L’enlèvement a eu lieu le samedi 1er avril 2023, à Fada N’Gourma, la grande ville de l’est du Burkina Faso, à quelques pas de la Mission catholique et de la station-service Total, où Django possède un local ouvert aux quatre vents, un kiosque dans lequel on peut discuter autour d’une boisson (il s’agit de l’ancienne autogare la Transafricaine). Django y passe beaucoup de temps lorsqu’il est à Fada, et y reçoit beaucoup de monde.

C’est que l’homme, âgé de 73 ans, est une célébrité nationale. Descendant de la lignée royale de Yenhamma, 17e roi du Gulmu (1791-1820), Django est considéré par certains comme un incompris ou encore un prince rebelle en raison de ses prises de position particulièrement tranchées. Par exemple, lors des dernières consultations royales pour la succession de Sa Majesté Kupiendieli, le 31e roi de la dynastie décédé en août 2019 (il régnait depuis 2002), Moussa Thiombiano avait fait acte de candidature. Mais il avait été écarté par le collège successoral au motif qu’il avait refusé de faire allégeance à Sa Majesté Kupiendieli.

De musicien à milicien

Django est le fils d’un ancien combattant. Il a hérité de son surnom durant son enfance en référence au western Django, un film de 1966 particulièrement violent. Django a d’abord été célèbre en tant qu’artiste, à la tête de la troupe Tanguiama, puis de l’orchestre de son frère cadet, Issaka Thiombiano, grand chanteur et guitariste (c’est avec Django qu’il a appris à jouer de la guitare) qui a émerveillé plusieurs éditions de la Semaine nationale de la culture à partir de 1984. Mais c’est avec l’avènement des Koglweogo (« les gardiens de la brousse », en mooré), à partir de 2016, que Django s’est fait davantage connaître au-delà du Gourma.

Après la chute du régime de Blaise Compaoré, en octobre 2014, des milices d’autodéfense, appelées « Koglweogo », ont entrepris d’occuper la place laissée vacante par l’État dans les villages et sur les routes pour assurer la sécurité et traquer les voleurs. Les pratiques de ces milices essentiellement rurales, pas ou peu encadrées, furent critiquées : elles torturaient ceux qu’elles arrêtaient, prélevaient des taxes, agissaient dans l’illégalité… Mais elles ont séduit une partie de la population car elles ont rapidement obtenu des résultats, renvoyant ainsi les autorités à leurs insuffisances1.

Django était un des leaders Koglweogo et, à ce titre, il a eu plusieurs contacts avec les autorités durant la présidence de Roch Marc Christian Kaboré (2015-2022). Son groupe était dénommé « Tinkoubitidogou » (ou « Tin Kubi u dogu » : « Gardons nos cités », en gourmantche), et était lié au mouvement national des Koglweogo. Actif dans les cinq provinces de l’Est, il revendiquait 21 000 membres en 2018 et affichait un bilan de 600 voleurs arrêtés. Très vite, ses interventions ont permis de mettre un frein à l’insécurité, particulièrement élevée dans cette région. Les routes, jadis écumées par des bandits de grand chemin, sont devenues plus sûres.

Mais lorsque les djihadistes ont commencé à s’implanter dans l’Est, à partir de 2018 – et à tuer des Koglweogo –, leur influence a progressivement baissé. À plusieurs reprises, Django a demandé des armes aux autorités pour pouvoir les affronter. Sans succès. Lorsque, en janvier 2020, le gouvernement a entrepris de mettre sur pied une force de défense auxiliaire constituée de civils, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), dans le but de combattre les djihadistes, plusieurs Koglweogo se sont reconvertis dans la lutte antiterroriste. Mais d’autres n’ont pas suivi. Django est de ceux-là. Lui et ceux qui lui étaient fidèles dans sa zone sont demeurés des Koglweogo, même s’ils étaient de moins en moins actifs sur le terrain. Plusieurs d’entre eux craignaient les représailles des djihadistes, et estimaient ne pas être suffisamment armés. Django lui-même s’inquiétait de cette situation. En 2020, il admettait que son groupe n’était plus en mesure d’affronter les « terroristes ». Mais il restait une figure importante dans l’Est.

Embarqué de force

Le 1er avril, Django avait passé presque toute la journée dans son kiosque, comme à son habitude, avant de quitter les lieux aux environs de 18 heures. Mais, exceptionnellement, il y est revenu aux alentours de 20 heures. Et c’est vers 20 h 30 qu’il a été enlevé.

Selon un témoin de la scène ayant requis l’anonymat, les ravisseurs sont arrivés sur les lieux à bord d’une berline couleur sombre. Ils étaient au nombre de quatre. Ils sont descendus du véhicule et, après une brève conversation, ont embarqué de force Django. Ses enfants pensent que si leur père est revenu au kiosque à une heure si tardive, c’est sûrement parce qu’il avait un rendez-vous. Mais avec qui ? Ceux-là mêmes qui l’ont enlevé ? Le témoin dit avoir vu une arme brandie contre la victime. La voiture a ensuite pris la direction de l’ouest, vers Ouagadougou, la capitale, située à plus de 200 km. Il a immédiatement alerté l’un des fils de Django. Sur place, seul un de ses téléphones portables a été retrouvé. Ce téléphone est toujours entre les mains des enfants, mais ils n’ont jamais enregistré un appel important.

Rien n’a pu être fait la nuit de l’enlèvement, mais dès le lendemain les autorités ont été informées, notamment le gouverneur de la région de l’Est, la police, la gendarmerie et le procureur. La famille a effectué des visites dans les lieux de détention de Fada et de Ouagadougou dans le but de le retrouver, en vain.

Les proches de Django se souviennent que la veille de son enlèvement il avait reçu la visite de Justine Kielem-Coulidiati, qui occupe le poste de conseillère spéciale chargée du genre, de l’éducation et de la cohésion sociale auprès du Premier ministre depuis le 6 juillet 2022. Les deux avaient échangé en tête à tête pendant un long moment, à l’endroit même où le septuagénaire sera enlevé quelques heures plus tard. Contactée, Dr Kielem a confirmé cette rencontre, qui s’inscrivait dans le cadre d’une mission qui a donné lieu à un rapport. « J’ai les notes de mes échanges avec lui, mais aussi avec toutes les personnes ressources, les autorités coutumières, etc., que ce soit à Fada, à Ouahigouya, à Tenkodogo, à Ouagadougou, etc. », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Nous espérons et souhaitons que la démarche engagée nous aide [à le retrouver]. »

Renouer le dialogue avec les djihadistes

Avant sa disparition, Django préparait un voyage en France, avec son fils, pour y recevoir des soins. Ce voyage était programmé pour le 9 avril, mais il était prévu qu’avant il soit reçu en audience par une autorité nationale à Ouagadougou. La famille ne sait pas quelle autorité il devait rencontrer, et ne connaît pas la date de l’audience. Elle sait juste que son départ pour Ouagadougou avait été fixé au 5 avril. La famille Thiombiano échaffaude plusieurs hypothèses pour expliquer cet enlèvement, mais elle ne dispose d’aucune piste solide.

Sous la présidence de Paul-Henri Sandaogo Damiba, au pouvoir de janvier à septembre 2022, Django avait été approché (avec d’autres camarades à lui) en vue d’engager des discussions avec les djihadistes. Le gouvernement souhaitait en effet créer des comités de dialogue afin d’aboutir au désarmement de certains combattants. Dans cette optique, Django s’était rendu à Ouagadougou en mars-avril 2022, en compagnie d’El Hadj Hamidou Bandé, le président national des Rougas du Burkina. Les Rougas sont les représentants des éleveurs, ils sont également chargés de les protéger et de résoudre les problèmes liés à la pratique du pastoralisme. Rien que dans l’est du pays, on compte 137 Rougas. Bandé jouait un rôle important dans cette région, surtout depuis que les djihadistes avaient entrepris de s’y installer. Bandé s’inquiétait régulièrement de l’amalgame qui était fait, depuis lors, entre Peuls et djihadistes, et ne manquait pas de dénoncer les violences commises à l’égard des éleveurs.

Tous deux, Bandé et Django, avaient voyagé ensemble. Ils avaient pris part à une rencontre à Ouagadougou, organisée à l’initiative des autorités nationales. À cette occasion, il leur aurait été demandé de créer une structure visant à favoriser le désarmement des combattants extrémistes. À leur retour, ils s’y étaient attelés. Django en était le président, et Bandé le secrétaire général. Le trésorier était un certain Mogouani Natama. Mais leur association a fait long feu, et pour cause : une bonne partie des membres du bureau ont été kidnappés...

« Ils sont nos enfants, ils sont nos frères »

El Hadj Hamidou Bandé a été le premier à disparaître. Il a été enlevé le 25 mars 2023 entre 5 heures et 6 heures du matin. Selon plusieurs sources, il revenait de la mosquée, après la prière de l’aube, et rentrait chez lui lorsque ses ravisseurs l’ont intercepté au secteur N° 1 de la ville de Fada N’Gourma. Selon un témoin, ces ravisseurs étaient au nombre de quatre et ils se déplaçaient dans une voiture de couleur noire – comme ceux qui ont pris Django. Une autre source affirme que ceux qui ont enlevé M. Bandé se trouvaient dans deux véhicules. Deux de ces ravisseurs auraient prié dans la même mosquée que lui.

Django a été enlevé une semaine après. À ce jour, tous les deux sont toujours portés disparus. La seule piste sérieuse semble être liée à leur association. Une hypothèse confortée par un troisième enlèvement, celui du trésorier, Mogouani Natama. Mais à la différence des deux premiers, ce dernier a été libéré après 72 heures de détention. Enlevé à Fada un samedi, c’est à Ouagadougou qu’il a été relâché le mardi suivant.

Différentes sources constatent que plusieurs autres personnes ayant participé à la création des comités de dialogue mis en place sous Damiba ont fait l’objet d’enlèvement. Des cas similaires nous ont été signalés dans le Centre-Nord, notamment. Par conséquent, tout porte à croire que son enlèvement est lié à cette structure et à sa mission d’engager un dialogue avec les djihadistes. Au cours d’une rencontre publique, Django leur avait lancé cet appel public : « À vous tous qui êtes assis, voici plusieurs années que nous sommes attaqués… ceux qui nous attaquent sont nos frères, ils sont nos enfants. Je souhaite que nous nous mettions ensemble. Au nom de vous tous qui êtes ici, je demande à ceux qui ont pris les armes – ils sont nos enfants, ils sont nos frères – qu’ils déposent leurs armes. Ce n’est pas l’affaire de Django seulement, c’est l’affaire de nous tous, de tout le Gulmu. Ceux qui nous attaquent parlent le gulmantchéma et d’autres langues locales, ils ne viennent pas d’ailleurs, donc ils sont parmi nous. Ma seule voix ne peut pas porter. Je souhaite qu’ensemble, nous leur demandions de déposer les armes. »

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1Lire Tanguy Quidelleur, Mouvement d’autodéfense au Burkina Faso : Diffusion et structuration des groupes Koglweogo, Noria Research, novembre 2018 ; Zakaria Soré, Muriel Cote, Bouraïman Zongo, « Politiser le “vide sécuritaire” : à propos des groupes d’autodéfense koglweogo au Burkina Faso », Politique africaine 2021/3, n° 163, pp. 127 à 144.