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La lettre hebdomadaire #126

Suprématie

L'image montre une immense foule de personnes rassemblées dans un espace, probablement lors d'un événement ou d'un concert. Les individus sont vus de dos, et leurs têtes sont variées en termes de coiffure et de couleur de cheveux. La majorité des personnes semblent concentrées et immergées dans l'événement, créant une atmosphère collective. Les jeux d'ombres et de lumières donnent à l'image un aspect noir et blanc, accentuant la densité de la foule et le sentiment d'unité parmi les spectateurs. On peut presque sentir l'énergie vibrante qui se dégage de ce groupe immense.
© Davide Ragusa/ Unsplash

DANS L’ACTU

DIAS. BOLLORÉ À L’ASSAUT DE L’AFRIQUE

Ce texte est une traduction d’un article publié dans The Continent.

L’un des plus gros deals dans le secteur des médias au monde – et le plus gros jamais conclu sur le continent africain – est en train d’être négocié en Afrique du Sud. S’il aboutit, le milliardaire français Vincent Bolloré, qui a l’habitude d’acheter des médias et de les utiliser pour promouvoir des idées d’extrême droite, aura accès à des dizaines de millions de foyers africains.

Décrit par Bloomberg comme « le Rupert Murdoch français » construisant « son propre empire médiatique de droite », Bolloré a été impliqué dans au moins un scandale de corruption en Afrique de l’Ouest.

Son entreprise familiale, le groupe Bolloré, détient une participation majoritaire dans Vivendi, qui possède la chaîne Canal+. Cette dernière est le plus grand fournisseur de télévision par satellite en Afrique francophone. L’industriel souhaite racheter l’autre grand fournisseur du continent, MultiChoice, basé en Afrique du Sud, qui possède des marques de premier plan telles que DStv, SuperSport et Showmax.

Ce monopole de fait pourrait donner au groupe et à la famille Bolloré une influence extraordinaire sur ce qui apparaît, ou n’apparaît pas, sur quelque 30 millions d’écrans de télévision africains.

L’exemple le plus emblématique du « système Bolloré » est l’histoire récente de CNews, une chaîne de télévision appartenant à Canal+. Une enquête de Nieman Reports, un organisme de veille des médias basé à l’université Harvard, a montré comment les informations ont été remplacées par des opinions souvent extrêmes, créant le « Fox News de France ». Cette chaîne d’opinion joue un rôle dans « la généralisation des idées d’extrême droite sur l’invasion de la population française par les immigrés ».

L’opération « Stop Bolloré » – une coalition de dizaines d’éminents journalistes, universitaires et militants français – affirme que cette position idéologique se reflète dans l’ensemble de l’empire médiatique et qu’elle est « sans précédent dans notre histoire ». Dans une déclaration datant de 2022, le collectif a déclaré : « La chaîne [CNews] devient le lieu de diffusion de discours haineux, racistes, homophobes, sexistes, de promotion des entrepreneurs identitaires, d’incitation à la violence, de banalisation du conspirationnisme, de négationnisme climatique. » Dans un documentaire datant de 2021, Reporters sans frontières (RSF) a qualifié l’approche de Bolloré de « véritable danger pour la liberté de la presse et la démocratie ».

Les controverses sur le groupe Bolloré ne se limitent pas à la France ou aux médias. En Afrique de l’Ouest, il a été accusé à au moins deux reprises d’avoir enfreint la déontologie journalistique pour favoriser les dirigeants en place. Plus récemment, en décembre 2023, « Canal+ a rapidement coupé le signal de trois chaînes critiques à l’égard de Mamadi Doumbouya, à la demande des autorités guinéennes », selon The Africa Report.

Une autre controverse a été signalée par RSF en 2021 concernant la manière dont Bolloré aurait influencé ses actifs médiatiques pour favoriser ses propres intérêts commerciaux. « Bolloré, qui a de nombreux intérêts commerciaux au Togo, a obtenu de Canal+ qu’elle inclue un reportage sur le Togo et son président dans ses programmes d’actualité, comme s’il s’agissait d’un reportage journalistique régulier. »

Bolloré est actuellement jugé en France, où les procureurs l’accusent, lui et deux de ses associés, d’avoir corrompu le président du Togo, Faure Gnassingbé, afin d’obtenir une lucrative licence d’exploitation portuaire. Le trio nie toute malversation (bien qu’il ait plaidé coupable dans le cadre d’un précédent accord, qui a été rejeté par un juge français).

Les représentants de Vivendi et de Canal+ rejettent les inquiétudes selon lesquelles le projet de rachat pourrait menacer la liberté de la presse et la démocratie en Afrique, en affirmant que MultiChoice ne produit pas d’information.

En ce qui concerne l’influence de Vincent Bolloré, ils ont renvoyé The Continent à ses déclarations lors de sa comparution devant une commission parlementaire française au début de l’année, au cours de laquelle il a indiqué qu’il n’avait « aucun projet idéologique » et qu’il se considérait comme un démocrate-chrétien « gentil » et « bon vivant ».

La commission de la concurrence d’Afrique du Sud examine actuellement le projet de rachat, qui évalue MultiChoice à 2,9 milliards de dollars (environ 2,7 milliards d’euros). Vivendi affirme que la fusion est nécessaire en raison de la nature changeante du secteur : le groupe doit rivaliser non seulement avec les opérateurs de télévision par satellite, mais aussi avec les géants de la diffusion en continu, Netflix et Disney+.

Simon Allison
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AGENDA

STATUES COLONIALES, UNE HISTOIRE PASSÉE ?

Jeudi 30 mai, à Paris, Afrique XXI et Orient XXI organisent leur première conférence-débat commune. Le thème portera sur la présence des statues coloniales dans l’espace public, en France comme en Afrique.

La thématique ne pouvait pas mieux tomber alors que le sujet est encore brûlant. L’artiste et documentariste Seumboy Vrainom, à la tête du média en ligne Histoires crépues, fera partie du panel et présentera notamment sa série documentaire Nos Statues coloniales.

Ainsi qu’il le rappelle dans ces vidéos, l’intérêt pour cette question a pris une ampleur particulière d’abord en Martinique, en 2020, avec le déboulonnage de deux statues de Victor Schoelcher. Ce dernier, plusieurs fois élu député de la Martinique, était un fervent défenseur de l’abolition de l’esclavage. Aimé Césaire lui rendra d’ailleurs hommage. Mais, avec ce geste, les militants anticoloniaux ont voulu attirer l’attention sur le fait que la France ne célèbre que des « békés » (blancs) et continue d’invisibiliser les leaders noirs.

Quelques jours après ce déboulonnage survenait la mort de George Floyd aux États-Unis, qui aura d’importantes répercussions dans le monde. En France, il y aura peu d’actions, et le président Emmanuel Macron déclarera le 4 septembre 2020 au Panthéon : « La République ne déboulonne pas les statues. »

Et pourquoi pas ? À Lille, le collectif Faidherbe doit tomber ! conteste depuis 2018 la présence du monument gigantesque qui trône dans le centre de cette ville du nord de la France à la gloire du militaire qui fut l’artisan de la colonisation du Sénégal. L’un des fondateurs du collectif, Thomas Deltombe, essayiste (notamment Kamerun ! et L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique) et membre du comité éditorial d’Afrique XXI, sera également présent.

Le réalisateur Malek Kellou viendra présenter Mange ton orange et tais-toi !, son dernier film dans lequel il raconte une histoire très personnelle liée à une statue coloniale. Sophia Labadi, chercheuse et autrice d’un article pour Afrique XXI sur le retour des statues coloniales en Afrique, ainsi que Fabrice Riceputi, historien spécialiste des questions coloniales et postcoloniales et animateur du site histoirecoloniale.net, compléteront la table ronde.

La conférence est ouverte à toutes et tous et l’entrée est libre.

QUAND ? Jeudi 30 mai, 19 heures ;
 ? Maison de la vie associative et citoyenne (salle Madeleine-Reberioux), 76, rue Daguerre, Paris.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

Au Sénégal, Bassirou Diomaye Faye et l’héritage de Mamadou Dia
Reportage ⸱ Le nouveau président sénégalais est connu pour être un admirateur de Mamadou Dia, le président du Conseil sénégalais de 1960 à 1962, écarté du pouvoir par Léopold Sédar Senghor puis effacé de l’histoire officielle. Depuis quelques années, la jeunesse sénégalaise se réapproprie cette figure qui symbolise les combats pour un développement juste et contre le néocolonialisme.
Par Jules Crétois

Barkhane. De l’huile sur le feu et de l’eau dans le gaz
Bonnes feuilles ⸱ Le nouveau « Dossiers noirs » copublié par Lux et l’association Survie est consacré à la lutte antiterroriste de la France en Afrique, et plus précisément aux opérations Serval et Barkhane menées au Sahel ces onze dernières années. Son auteur, Raphaël Granvaud, revient avec moult détails sur les origines de cette guerre, sur ses conséquences et sur le « retour de bâton » qui a suivi.
Par Raphaël Granvaud

Dans le nord du Togo, l’endettement s’écrit au féminin
Reportage ⸱ Dans le nord du Togo, une zone touchée par l’insécurité liée aux attaques djihadistes, la situation économique devient de plus en plus difficile, et les femmes en sont les premières victimes. Nombre d’entre elles qui ont contracté des prêts pour créer leur entreprise sont tombées dans la spirale de l’endettement auprès des organismes de microfinance.
Par Robert Kanssouguibe Douti

Tunisie. Haro sur les migrants subsahariens et leurs soutiens
Reportage ⸱ Avalanche d’arrestations, à commencer par celle de Saadia Mosbah, figure emblématique de la lutte antiraciste, suivie entre autres de celle de l’avocate Sonia Dahmani en raison d’un commentaire sur un plateau de télévision. Le monde associatif et les intervenants médiatiques critiques du discours présidentiel sont dans le viseur des autorités. Le tout dans une atmosphère de retour à la chasse aux migrants.
Par Lilia Blaise

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