DANS L’ACTU
AU SOUDAN, MASSACRES DE MASSE ET IMPUNITÉ TOTALE DES RESPONSABLES
Plus d’un an après le début de la guerre civile au Soudan, dans laquelle les Forces de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdan Dagalo (« Hemetti ») s’opposent aux Forces armées soudanaises du général Abdelfattah al-Burhan, l’horreur se poursuit au Darfour dans un silence international assourdissant. Human Rights Watch (HRW), qui a publié un nouveau rapport ce jeudi 9 mai, parle de « massacres ethniques » et de « crimes contre l’humanité » dans la plus grande ville du Darfour Ouest, Al-Geneina.
Entre avril et novembre 2023, la population Masalit a particulièrement été visée par les RSF et leurs milices alliées, comme l’affirment de nombreux rescapé es dont HRW a recueilli les témoignages. « Les événements sont parmi les pires atrocités commises à ce jour contre des civil es dans le conflit actuel au Soudan », estime l’organisation de défense des droits humains qui ajoute que de nombreux cas de tortures ont également été relevés. Selon d’autres sources (Croissant Rouge, groupe d’experts de l’ONU), près de 20 000 personnes auraient été tuées à Al-Geneina en 2023.
Les massacres visent clairement les groupes dit « nuba », terme utilisé pour désigner les « non arabes » en majorité représentés par la communauté Masalit. Un témoin raconte à HRW les propos tenus par les RSF aux civil es en fuite : « Aucun Massalit ne vivra ici ! », « Aucun Nuba ne vivra ici ! », « Aucun esclave ne vivra ici ! ». Selon le groupe d’experts de l’ONU, cité par HRW, les soldats soudanais sont restés dans leur caserne, incapables ou « peu désireux » de protéger la population.
Il semble que la situation se soit particulièrement dégradée avec le départ, en 2020, de la Mission conjointe de maintien de la paix de l’ONU et de l’Union africaine au Darfour (Minuad), mise en place en 2007, quatre ans après le début de la guerre dans cette région qui a fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés. Au moment de ce retrait, de nombreux observateurs mettaient en doute la capacité des Forces armées soudanaises à protéger une population qui, par ailleurs, se méfie des militaires.
HRW demande au Conseil de sécurité des Nations unies « de mettre en place des sanctions ciblées contre les personnes les plus responsables des crimes odieux documentés, y compris contre le général Mohamed Hamdan Dagalo ». Si la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé ouvrir une enquête en juillet 2023, « Hemetti » n’a pas été à ce jour officiellement accusé de crimes de guerre. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève a par ailleurs créé une mission internationale indépendante mais, explique HRW, celle-ci est ralentie par manque de moyens.
Dans l’indifférence générale, « Hemetti », aujourd’hui à la tête des RSF et, à l’époque de la guerre au Darfour, chef des terribles milices Janjawid, circule en toute impunité. Lors d’une tournée diplomatique en Afrique de l’Est, en janvier, il a même réussi à s’offrir un grand moment de communication. Reçu à Kigali par le président rwandais Paul Kagame, l’ancien bras droit d’Omar Al-Bachir (renversé en 2019) s’est ensuite rendu au Mémorial de Gisozi. Il s’est recueilli sur les tombeaux de 250 000 victimes du génocide des Tutsi es au Rwandais (un million de tué es entre avril et juillet 1994) inhumé es sur cette colline au nord de Kigali. À l’intérieur, il s’est fait prendre en photo dans différentes salles consacrées aux victimes et a laissé un message dans le livre d’or. Il y rend hommage au Rwanda qui « s’est soulevé des ruines de la guerre pour atteindre les marches de la gloire. […] Cette expérience nous inspire et nous pourrions l’appliquer chez nous ». « Appliquer quoi ? Le génocide ? », s’est ironiquement interrogée une journaliste rwandaise après la lecture de ce texte.
Les massacres lors de la première guerre au Darfour, dont les Janjawid sont en partie responsables, ont été reconnus « crimes de génocide » par les États-Unis. Selon Médecins sans frontières, la crise actuelle a fait « plus de sept millions de déplacés et plus d’un million de réfugiés » et serait « l’une des crises de déplacement les plus massives au monde ».
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À VOIR
CRIMES COLONIAUX. AU CONGO, UN RAIL SUR UN CHARNIER
Entre 17 000 et 23 000 : c’est le nombre de victimes qu’aurait causé, non pas une guerre, mais la construction d’un chemin de fer, le « Congo-Océan ». Décidé par le colon français au début du XXe siècle, réellement lancé après la Première Guerre mondiale, le chantier de cette ligne d’un peu plus de 500 kilomètres, reliant Brazzaville à Pointe Noire, a aboutit à l’un des pires crimes de l’époque coloniale.
Si l’État français commence la construction depuis Brazzaville en 1921, le gouverneur Jean-Victor Augagneur désigne en 1922 la Société de construction des Batignolles (SCB, aujourd’hui Spie Batignolles) pour débuter le chantier du côté de l’océan atlantique, où se dresse le massif du Mayombe. Face aux retards, Augagneur est remplacé par Raphaël Antonetti qui généralisera le travail forcé et poussera l’exploitation à son paroxysme.
Pour des questions de coûts, la SCB décide de ne pas mécaniser le chantier : exploiter la main d’œuvre locale, dont on considère alors qu’elle est une race inférieure, est plus rentable, d’autant qu’elle est en partie gratuite. Mais il faut toujours plus de bras. Antonetti décide d’aller en chercher jusqu’aux confins du Tchad, toujours par la force. Beaucoup tenteront de fuir, et seront purement et simplement abattus – femmes et enfants compris.
Battus, malnutris, logés dans des conditions épouvantables… Des travailleurs chinois, amenés pour combler les manques et « mieux » traités que les Africains, se soulèveront contre les conditions de travail et quitteront le chantier.
La réalité de ces forçats est cachée à la métropole jusqu’à ce que l’écrivain André Gide (Voyage au Congo, 1927, Gallimard), et le journaliste Albert Londres (Terre d’ébène, 1929, Albin Michel), ne dénoncent les atrocités commises par la SCB et Antonetti. À la suite de ce scandale, les travailleurs seront un peu mieux nourris, habillés et logés dans des conditions un peu moins scandaleuses… Le projet ira jusqu’au bout. Un beau livre de photos retracera d’ailleurs cette « épopée » qui va nourrir le récit à la gloire de la colonisation. À l’intérieur, pas une seule photo des ouvriers, dont la maigreur témoignait des traitements atroces qu’ils subissaient.
À voir : Congo-Océan, un chemin de fer et de sang, de Catherine Bernstein, disponible sur France 5 jusqu’au 2 juin
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