ÉDITO
SUR LA PALESTINE, L’AFRIQUE A BON DOS
C’est la petite musique qui monte depuis quelques mois, dès lors qu’il s’agit de relativiser, voire de nier la politique génocidaire menée par Israël à Gaza depuis plus d’un an : « Et le Soudan alors !? Et la République démocratique du Congo !? »
Toutes celles et ceux qui, en France, dénoncent les crimes de l’armée israélienne dans la bande de Gaza, ou rappellent, tout simplement, que de très nombreuses organisations (Human Rights Watch, Amnesty International, la Cour internationale de justice, entre autres) les qualifient de « génocide » ou de « risques génocidaires », se voient ainsi sommés par les défenseurRD Congo), ou encore contre les Ouïghours en Chine, vous n’avez rien à dire sur ceux perpétrés par Israël à Gaza, mais aussi en Cisjordanie occupée, dans le sud du Liban ou dans le Golan, en territoire syrien.
es du gouvernement extrémiste de Benyamin Netanyahou de montrer patte blanche. Leur raisonnement – ou plutôt le raisonnement qu’elles et ils tentent d’imposer, sans y croire eux-mêmes, et qui n’est rien d’autre qu’une forme de « whataboutisme » – est le suivant : si vous n’avez pas parlé des massacres commis dans le Darfour au Soudan ou dans l’est de la République démocratique du Congo (C’est ainsi que ces porte-voix d’un État colonialiste, qui devrait être considéré comme paria par l’ensemble de la communauté internationale pour ses crimes mais aussi pour son système d’apartheid imposé dans les territoires qu’il contrôle, traquent les moindres déclarations ou posts sur les réseaux sociaux pour délégitimer la parole de celles et ceux qui ont encore le courage de dénoncer sa dérive. Selon ces vigies, parler du génocide à Gaza mais pas des autres guerres serait faire preuve d’antisémitisme. Raisonnement aussi simpliste que fallacieux…
D’abord parce que ce qui se déroule à Gaza depuis treize mois n’est pas comparable avec les massacres commis au Soudan ou en RD Congo. Outre que ces conflits n’ont rien à voir avec celui qui ensanglante le Proche-Orient depuis plus de soixante-dix ans (et pas seulement depuis le 7 octobre 2023, comme voudraient le faire croire les thuriféraires de l’État hébreu), Tel-Aviv bénéficie du soutien maintes fois affirmé des principales puissances mondiales : les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, etc. Soutien diplomatique. Mais aussi soutien militaire. On ne peut pas en dire autant du Soudan et de la RD Congo, même si ces États y ont également des intérêts.
Ce que l’on a pris l’habitude d’appeler la « communauté internationale » a ainsi une responsabilité majeure dans le calvaire vécu par les Palestiniennes et les Palestiniens, et ce depuis que l’ONU a acté la création de l’État d’Israël il y a plus de soixante-seize ans. Elle a le pouvoir de stopper immédiatement les crimes d’Israël. Il lui suffirait pour cela d’appliquer les innombrables résolutions de l’ONU qui condamnent Tel-Aviv, et de lui imposer un boycott (économique et militaire), comme elle l’imposa pendant des années à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Résoudre les guerres qui ensanglantent le Soudan et la RD Congo depuis plusieurs années serait autrement plus complexe.
Si l’on prend le seul cas de la France, celle-ci a une responsabilité majeure dans les crimes commis par Israël : outre son soutien diplomatique plusieurs fois répété, elle continue de lui fournir des armes, comme l’a révélé le site Disclose. Elle n’a pas la même implication en RD Congo, où elle tente de ménager les susceptibilités de Kinshasa et de Kigali, ni au Soudan.
Mais au-delà de cette question de fond, l’argument des défenseurRD Congo. Ils et elles s’en fichent éperdument, il suffit pour cela de regarder l’historique de leurs déclarations ou de leurs posts. Pour eux, ces massacres ne sont devenus insupportables qu’à partir du moment où ils ont été utilisés, brandis même, à la vérité instrumentalisés, pour faire taire les critiques envers Tel-Aviv.
es d’Israël ne tient pas pour une autre raison : eux non plus ne parlent jamais ni du Soudan, ni de laQu’on ne s’y trompe pas : pour ces gens, la vie d’unRD Congo ou ailleurs.
e Soudanais e ou d’un e Congolais e ne compte pas plus que celle d’un e Palestinien ne et bien moins, en tous cas, que la leur ou que celle d’un e Israélien ne. Ils et elles ne connaissent ni les tenants ni les aboutissants de ces guerres africaines, ne s’y sont jamais intéressé es, ne sont même pas capables, pour certain es, de les situer sur une carte, et il est évident que dès lors que les critiques contre Tel-Aviv se tariront, ils et elles auront vite fait de les oublier. A contrario, nombre de personnalités ou d’organisations qui dénoncent les crimes d’Israël n’ont pas attendu 2024 pour appeler à mettre fin aux massacres au Soudan, enDans cette affaire, l’Afrique a bon dos. Une fois de plus, elle n’est bonne, pour les suprémacistes qui ne s’assument pas, qu’à servir leurs propres intérêts. Il faut évidemment dénoncer le calvaire subi par les populations du Soudan et de la RD Congo – et des autres régions ensanglantées du continent : le Sahel, le Tigray, le Mozambique, le Cameroun anglophone… Il faut tout faire pour mettre fin aux exactions. Mais cela ne doit servir à invisibiliser ni l’épuration en cours à Gaza, ni la politique raciste et colonialiste d’Israël en Cisjordanie, ni le soutien, l’impunité même, dont il jouit au niveau international.
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À VOIR
EXIL, CRISE, IDENTITÉ : UNE HISTOIRE TOUARÈGUE FILMÉE DE L’INTÉRIEUR
À la recherche des origines de sa famille, de la tribu tombouctienne des Kel Ansar et, plus généralement, des Touaregs du Sahara, l’écrivain et cinéaste Intagrist el Ansari livre un film onirique et poétique. Dans Ressacs, une histoire touarègue, le récit historique cède le pas à une émotion visuelle et sensorielle qui fait la part belle au vent, au flou et à la musique.
Lauréat du prix Droits humains-Lina Ben Mhenni, décerné mi-décembre en marge des Journées cinématographiques de Carthage, le film sera diffusé en 2025 en France, en salles et sur TV5 Monde. Il est le fruit d’un processus de production qui a duré onze ans au Mali et en Mauritanie.
Le réalisateur est aussi le narrateur du récit, qui se présente à la fois comme une quête intime et un conte transmis à son fils. Au-delà des attributs « classiques » de la société touarègue – dromadaires, indigo, thé, nuit étoilée – Intagrist el Ansari scrute une identité profonde, faite de mouvement, d’indécision, d’écoute attentive, de mains enlacées et d’appartenance au groupe. D’où viennent les Touaregs ? Quelles terres ont-ils occupées ? Conquises ? Traversées ? S’agit-il d’un peuple de paix qui, conscient de sa vulnérabilité, a longtemps veillé à éviter les menaces ou d’un peuple de guerriers finalement terrassé par les colons ? Ont-ils été les premiers occupants du grand Sahara, ceux qui l’ont développé par le commerce et les caravanes ? Ou sont-ils d’abord des éleveurs, jusque dans les quartiers des villes où ils ont échoué sous l’effet du progrès et de l’exil ? Le film propose toutes les réponses. Car l’identité est forcément multiple. Le mythe originel, l’histoire de la conquête coloniale et de ses officiers français « intrépides », l’indépendance et la « chemise communiste » de Modibo Keita, les souvenirs, plus proches, de l’implacable sécheresse de 1973, d’une nature devenue stérile, de l’aventure libyenne et des rébellions se croisent au gré des personnages : griots, notables, patriarche des Kel Ansar, érudits, artistes.
Le réalisateur se filme en train d’errer dans le sable, dans des maisons d’argile à demi écroulées, entre les tentes de toile estampillées « Haut Commissariat aux réfugiés » de l’immense camp de Mberra, en Mauritanie, autour de bivouacs frugaux dans le campement de sa famille, près de Tombouctou. La plage vide de Nouakchott répond aux voiles des abris gonflées par le vent, les ondulations du sable marin à celles des dunes, où un scarabée dessine une trace en pointillés. Une brume floue, comme un éblouissement, engloutit les silhouettes.
L’exil est omniprésent. Dès les premières minutes, on découvre le réalisateur enfant, interviewé il y a plus de trente ans dans le camp de réfugiés mauritanien où il est revenu récemment avec les siens. Puis se dessine un propos plus large sur le temps perdu, la nostalgie d’une vie traditionnelle disparue que racontent ses derniers témoins, de vieux oncles graves.
Mais le sentiment de la perte, rendu très vif par les crises évoquées tout au long du film, est pourtant tempéré par la foi dans l’avenir, dans la connaissance, dans le progrès : celui des filles qui vont sur les bancs des écoles des camps de réfugiés, d’un peuple qui part plutôt que d’être anéanti, du savoir qui a ouvert aux Touaregs les portes du monde entier. La résilience, suggère Intagrist el Ansari, c’est de pouvoir tirer parti des épreuves, ce que les nomades vivent depuis toujours. Seul le jour et la nuit sont immuables, rappelle un vieil homme. Tout est mouvement.
À voir : Intagrist el Ansari, Ressacs, une histoire touarègue, 125 mn, production Prosodie Films, les Ateliers du Réel, Tesshil Vision, Red Sea Fund, 2024.
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