
ÉDITO
VIOLENCES SEXUELLES PERPÉTRÉES PAR LES CASQUES BLEUS : L’ONU DOIT AGIR POUR Y METTRE UN TERME
Dans une enquête glaçante publiée par The New Humanitarian le 16 octobre (et en français dans Le Monde), plusieurs femmes centrafricaines affirment avoir été violées par des casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (Minusca). Chantage, viols en réunion… Des militaires burundais et rwandais sont en particulier pointés du doigt. À la suite de la publication de cette enquête, l’armée rwandaise a répondu par communiqué pour réfuter toutes ces allégations.
Aucune des dix-neuf victimes interrogées par la journaliste n’a porté plainte contre leurs agresseurs. Elles disent également ne pas avoir fait de signalement auprès de la hiérarchie de la Minusca : elles estiment que leur parole sera remise en cause, que les casques bleus ne seront pas inquiétés et admettent ne pas savoir vers qui se tourner par manque d’information.
La Minusca est arrivée en Centrafrique en 2014 pour prendre la suite de la mission française Sangaris. Déployée en 2013 dans un pays en pleine guerre civile (le président François Bozizé venait d’être chassé du pouvoir par la rébellion Seleka), l’armée française avait aussi été secouée par un scandale : plusieurs soldats avaient été accusés d’abus sexuels sur des enfants. Une plainte en France s’est conclue par un non lieu en 2018 malgré un rapport circonstancié de... l’ONU.
Les accusations contre les casques bleus ne sont pas nouvelles, loin de là. En juin 2023, l’ONU avait dût prendre des mesures afin d’intervenir auprès d’une unité déployée dans l’est de la Centrafrique. En 2016, toujours dans le même pays, l’ONG Human Right Watch dénonçait déjà le viol et l’exploitation sexuelle de plusieurs femmes par des soldats congolais (de RD Congo et du Congo-Brazzaville). Ces crimes ne touchent pas que la Centrafrique : en 2020, une étude menées par des chercheuses en Haïti (un résumé est disponible sur The Conversation) avait conduit à estimer que des centaines d’enfants étaient nés d’une relation entre des casques bleus et des Haïtiennes, dont certaines ont été abusées sexuellement dès l’âge de 11 ans.
En réalité, ce sont des milliers de plaintes qui remontent à New York depuis des années – au moins depuis les années 1990. Et des centaines concernent des violences sur des enfants. La quantité est probablement sous-évaluée puisque beaucoup de victimes n’osent pas parler. Le problème est donc systémique et la culture du viol semble ancrée au sein des missions de maintien de la paix. Les conséquences sont terribles : des milliers de victimes sont traumatisées et la crédibilité des soldats de la paix s’en trouve durablement affectée. Une témoin centrafricaine résume : « Ils disent que les casques bleus sont là pour nous protéger, mais vous voyez ce qu’ils font ? »
La Minusca reconnaît que « le risque de comportement inapproprié demeure élevé » et les justifie ainsi : « environnement caractérisé par de nombreuses vulnérabilités telles que la pauvreté, l’analphabétisme, des niveaux d’accès à l’information variables, la normalisation de la violence sexuelle et sexiste », « accès limité et un manque d’infrastructures, de services et d’institutions publiques de base dans certaines régions »... L’ONU explique même avoir mis en place un fonds pour subvenir aux besoins des enfants abandonnés par les casques bleus (comme en Haïti). Pourtant, comme le démontre l’enquête de The New Humanitarian, les victimes de violences sont trop souvent laissées sur le bord de la route. Quant aux soldats suspectés, ils ne sont jamais jugés par leur pays d’origine.
Le viol est une arme de guerre, de nombreuses études ont été publiées à ce sujet. Il est utilisé massivement depuis trente ans dans l’est de la RD Congo, il l’a été durant le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, ou encore lors des attaques du Hamas le 7 octobre 2023. L’armée française l’a pratiqué durant la guerre d’Algérie… Guerre ou paix, aucune différence : le « système militaire » tout entier est en cause et bénéficie d’une impunité qu’il est grand temps de briser.
À VOIR
L’HISTOIRE DE SOULEYMANE EST CELLE DE NOMBREUX GUINÉENS
Dans le film L’Histoire de Souleymane, Abou Sangaré, acteur amateur guinéen et demandeur d’asile en France, et le réalisateur Boris Lojkine nous offrent une fascinante plongée dans le quotidien des livreurs Uber de Paris. Ces cyclistes qu’on croise chaque jour, surtout le soir, pédalant à fond et grillant les feux rouges pour aller de restaurants en appartements de clients… Ils sont pour nombre d’entre eux des Guinéens sans papiers français.
Souleymane, incarné avec profondeur par Abou Sangaré, est de ceux-là. Il a rendez-vous à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (l’Ofpra), l’organisme en charge des demandes d’asile, et répète son histoire censée convaincre les fonctionnaires, mais il la maîtrise mal. Souleymane prétend avoir été victime du déguerpissement de Kaporo-Rails à Conakry et d’avoir été emprisonné lors de la répression post-électorale d’octobre 2020, après la réélection contestée d’Alpha Condé à un troisième mandat.
En attendant, il pédale pour payer ceux qui l’exploitent : un Camerounais qui lui « loue » son compte Uber ; un Guinéen qui lui promet des papiers prouvant son appartenance à l’UFDG, le parti d’opposition à Alpha Condé. En arrière-plan, son pays s’éloigne de plus en plus : il peine à avoir sa mère au téléphone, sa fiancée trouve un autre mari et ses amis lui réclament de quoi payer leurs crédits de téléphone.
Abou Sangaré, primé et acclamé au Festival de Cannes, interprète un rôle proche de sa vie réelle : il est mécanicien, a traversé le Mali, l’Algérie, la Libye et l’Italie pour arriver en France à l’âge de 16 ans et s’est vu opposer plusieurs refus de demande d’asile par l’Ofpra. Ce succès et sa nouvelle notoriété l’aideront peut-être à régulariser sa situation…
L’Histoire de Souleymane, de Boris Lojkine, 1h32, en salles en France depuis le 9 octobre.
Tangi Bihan
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