Au Nigeria, le compte à rebours a commencé

Analyse · Début 2023, les Nigérians seront appelés à élire leurs représentants : président, gouverneurs, députés... Si les deux principaux partis ont choisi leurs candidats, de nombreuses inconnues entourent ce scrutin, dans un contexte social tendu et alors que l’insécurité sévit aux quatre coins du pays.

Lors des élections générales de 2019 au Nigeria. Une électrice scrute les listes des candidat.es.
Nnaemeka Ugochukwu / Unsplash

Maintenant que les Nigérians connaissent les dates des élections générales de 2023 et les noms des principaux candidats à la fonction suprême, le compte à rebours est lancé. Les élections présidentielle et législatives se tiendront le 25 février, et les élections locales et celles des gouverneurs auront lieu le 11 mars.

Ces élections, les septièmes depuis le retour du Nigeria à la démocratie multipartite, en 1999, se dérouleront dans un nouveau cadre électoral. La période de campagne durera désormais 150 jours, au lieu de 90. De nouvelles technologies seront utilisées pour la transmission des résultats (par la voie électronique), ce qui devrait contribuer à réduire les irrégularités et à favoriser une plus grande transparence. La Commission électorale nationale indépendante (INEC) disposera en outre de pouvoirs accrus afin d’enquêter sur d’éventuelles allégations de fraudes, de votes contraints ou d’achats de consciences.

La nouvelle loi électorale augmente également le plafond de financement des campagnes des candidats à la présidence, qui passe de 1 milliard de nairas (2,9 millions d’euros) à 5 milliards de nairas. Toutefois, en l’absence de mesures visant à améliorer le contrôle de ce plafond, il risque encore d’être dépassé.

Un match de septuagénaires

Le principal parti d’opposition, le People’s Democratic Party (PDP), a tenu sa convention à la fin du mois de mai 2022. Comme en 2019, les délégués du mouvement ont de nouveau choisi Abubakar Atiku pour briguer la présidence. L’ancien vice-président, âgé de 75 ans, l’a emporté sur un pool de plus de dix candidats. Il a bénéficié du retrait tardif du gouverneur de l’État de Sokoto, Aminu Tambuwal, qui a appelé ses partisans à reporter leurs votes vers Atiku.

Le parti au pouvoir, le All Progressives Congress (APC), a lui aussi organisé une convention pour choisir son candidat. Le président sortant, Muhammadu Buhari, est sur le point d’achever son deuxième mandat et n’est donc pas en mesure de se représenter. Les délégués de l’APC ont choisi Bola Tinubu parmi les 28 candidats, qui ont chacun déboursé 100 millions de nairas pour pouvoir se présenter à cette élection interne. L’ancien gouverneur de l’État de Lagos, âgé de 70 ans, a lui aussi bénéficié du fait que plusieurs candidats – parmi lesquels le gouverneur de l’État d’Ekiti, Kayode Fayemi, et l’ancien gouverneur de l’État d’Ogun, Ibikunle Amosun - se sont retirés en sa faveur.

Ainsi, une fois de plus, l’argent a joué un rôle déterminant dans ces processus de sélection, tant pour la course à la présidence que pour l’élection des gouverneurs. Les délégués auraient reçu d’importantes sommes d’argent ou des cadeaux d’une valeur allant jusqu’à 10 000 dollars (9 500 euros), et certains candidats malheureux leur ont demandé d’être remboursés quand les votes ne leur ont pas été favorables.

Abubakar Atiku, la candidat désigné du PDP, et Bola Tinubu, celui de l’APC, sont tous deux des vétérans de la politique bien connus au Nigeria. Ils ont même été alliés à plusieurs reprises par le passé. En 2007, Tinubu avait réussi à convaincre Atiku de se présenter comme candidat à la présidence pour son parti, Action Congress. Plus tard, à l’approche des élections de 2015, les deux hommes s’étaient entendus pour aider à faire de l’APC une puissante coalition d’opposition.

Comment voteront les jeunes ?

Ces deux hommes disposent d’un important trésor de guerre, de réseaux, d’une certaine popularité et d’une portée nationale indispensable pour réussir dans une telle élection. Atiku est particulièrement populaire dans le Nord, bien que sa candidature contrevienne à la règle non écrite selon laquelle la présidence doit tourner entre le nord et le sud du pays1. Quant à Tinubu, originaire du Sud, il a peut-être plus de chances au niveau national, mais le fait qu’il se présentera probablement sur un ticket avec un autre musulman - il devra en effet choisir un colistier originaire du Nord et donc fort probablement musulman -, alors que lui-même est musulman, pourrait lui faire perdre des voix dans le Sud.

Au-delà de cette arithmétique, une grande inconnue est de savoir comment les 60 % de la population nigériane qui ont moins de 25 ans percevront ces candidatures. Il existe un fossé générationnel grandissant entre les jeunes et les vieux. Les grandes manifestations d’octobre 2020, dans le cadre du mouvement #EndSARS, l’ont démontré. La participation des jeunes pourrait ainsi être la clé du scrutin.

Par ailleurs, des « petits partis » pourraient venir faire de l’ombre aux deux principaux candidats. Par exemple, l’ancien gouverneur de l’État d’Anambra, Peter Obi, qui s’est retiré des primaires du PDP, prévoit de se présenter en tant que porte-drapeau du Parti travailliste. Et l’ancien gouverneur de l’État de Kano, Rabiu Musa Kwankwaso, a l’intention de se présenter sous la bannière du New Nigeria Peoples Party (NNPP). Obi, 60 ans, est très suivi sur Internet. Kwankwaso, 65 ans, bénéficie d’un important soutien de la jeunesse dans le Nord. Ce sont tous deux des hommes influents, et leur poids pourrait être d’autant plus important s’ils unissaient leurs forces dans un ticket commun. Il reste largement assez de temps pour qu’une telle alliance voie le jour. De fait, le Peoples Redemption Party, le NNPP, le National Rescue Movement (NRM) et le Nigeria Labour Congress ont déjà accepté une alliance de principe sous la bannière du Parti travailliste.

L’insécurité partout

Un autre facteur est à prendre en compte : les élections de 2023 se dérouleront dans un contexte d’insécurité complexe. La menace des groupes djihadistes issus d’une scission de Boko Haram, qui a marqué les élections de 20152, est toujours très forte dans le nord-est du pays. Des groupes de bandits sont de plus en plus actifs dans le Nord-Ouest. Une violente agitation sécessionniste prend de l’ampleur dans le Sud-Est. Et des affrontements entre agriculteurs et éleveurs endeuillent régulièrement le pays. Le 5 juin 2022, le meurtre de plus de cinquante personnes dans l’État relativement stable d’Ondo (dans le Sud-Ouest) a rappelé de manière brutale les problèmes d’insécurité auxquels les Nigérians sont confrontés, et qui pourraient jouer un rôle durant la campagne électorale.

Ce sera l’une des problématiques qui se poseront à la Commission électorale nationale indépendante et à son président, Mahmood Yakubu. Mais il y en aura d’autres. S’il a bien fait de s’appuyer sur les succès de son prédécesseur, Amina Zakari, qu’il a remplacé en novembre 2015, en adoptant notamment des innovations et en consultant les principaux protagonistes, il sera confronté à un contexte tendu : le jeu politique à somme nulle du Nigeria, dans lequel des acteurs parfois désespérés et disparates cherchent à gagner à tout prix, constituera une menace importante pour ces élections. Les élections au poste de gouverneur dans les États d’Ekiti et d’Osun - prévues respectivement le 18 juin 20223 et le 16 juillet 2022 - devraient donner une bonne idée de ce à quoi il faut s’attendre l’année prochaine.

Le poids de la désinformation constitue un autre défi particulièrement délicat à relever. Ces dernières années, la politique nigériane a été entachée par la diffusion de nombreuses fake news. Lors des primaires de l’APC, par exemple, il y a eu une avalanche de fausses informations selon lesquelles des candidats se retiraient ou soutenaient d’autres candidats.

La participation des électeurs est une autre préoccupation. En 2019, seuls 35,7 % des Nigérians en capacité de voter s’étaient exprimés. Cette tendance pourrait se répéter en 2023 en raison de l’insécurité, de l’impopularité des candidats et de la probable désinformation. Un taux de participation aussi faible nuirait à la crédibilité et à la légitimité du processus. Si le Nigeria connaît sa plus longue période de démocratie multipartite ininterrompue, cela ne dit pas grand-chose de la qualité de son système politique.

1Muhamadu Buhari, le président sortant, est lui aussi originaire du Nord.

2Lire Lauren Ploch Blanchard,« Nigeria’s 2015 Elections and the Boko Haram Crisis », Congressional Research Service, 8 mars 2015.

3Celle-ci a été remportée par Biodun Oyebanji, le candidat de l’APC (le parti au pouvoir), qui a largement devancé Segun Oni du SDP, et Otunba Bisi Kolawole du PDP. Si l’élection s’est globalement tenue dans le calme, des ONG ont dénoncé des achats de voix.