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En Centrafrique, la plaie des groupes armés

Analyse · Malgré les accords de paix et les cessez-le-feu à répétition, la Centrafrique reste déstabilisée par de nombreuses rébellions. Si l’armée, soutenue par les paramilitaires de la société russe Wagner, est parvenue à les repousser en périphérie, les combats n’ont pas cessé, faisant toujours plus de victimes civiles et de déplacés.

L'image montre un groupe de soldats marchant en formation sur un sol poussiéreux. Ils portent des uniformes militaires variés, allant du camouflé au beige, qui suggèrent une ambiance militaire. Certains soldats brandissent le poing en signe de détermination, tandis que d'autres avancent d'un pas ferme. En arrière-plan, on peut voir des tentes militaires ou des structures rudimentaires, suggérant un camp. Le ciel est légèrement nuageux, laissant passer quelques rayons de soleil. L'atmosphère générale évoque la discipline et la camaraderie au sein de ce groupe.
Des combattants d’un groupe rebelle dans le nord de la Centrafrique, en 2007.
© HDPTCA / Wikimedia

En décembre 2020 est née une nouvelle rébellion centrafricaine. À la suite de l’invalidation par la Cour constitutionnelle de sa candidature à la présidentielle du 27 décembre, l’ancien président et chef militaire François Bozizé s’est retranché dans l’arrière-pays et a réuni plusieurs groupes armés. Le 15 décembre, six groupes armés – le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), le Mouvement patriotique centrafricain (MPC), Retour, Réclamation, Réhabilitation (3R), Unité pour la paix en Centrafrique (UPC) et deux groupes appartenant à la mouvance anti-Balaka – ont signé un communiqué annonçant la naissance de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC).

En janvier 2021, la CPC a foncé sur la capitale, Bangui, dans l’espoir de s’emparer du pouvoir. Cette tentative a échoué, et le pays vit depuis un an et demi au rythme des affrontements qui opposent dans le reste du pays les Forces armées centrafricaines (Faca), soutenues par les paramilitaires de l’organisation russe Wagner, aux groupes armés de la CPC. En dix-huit mois, la solution militaire choisie par le gouvernement centrafricain a montré ses limites, même si les Faca et Wagner sont parvenus à affaiblir les rebelles et à les repousser dans des zones périphériques. En même temps, les initiatives de médiation sous-régionales piétinent. Dans ce contexte, que faire des groupes armés rebelles ? Une paix durable avec la CPC est-elle possible ?

Cette coalition est une alliance hétéroclite. Si les groupes qui s’y sont ralliés ont des fondements idéologiques et des bases communautaires différents, ils ont un but commun : en découdre avec le pouvoir en place. Tous sont mécontents des dysfonctionnements de l’accord de paix de 2019, signé entre le gouvernement et quatorze groupes armés. La liste de leurs griefs est longue : non-mise en œuvre des unités mixtes de sécurité censées être composées d’éléments des groupes armés et des forces de sécurité ; nomination de leurs représentants au gouvernement sans leur accorder les moyens financiers et sans consulter les chefs des groupes ; non-inclusion des membres de groupes armés dans l’administration ; mauvais fonctionnement des organes de suivi de l’accord. Ils fustigent également l’annulation des candidatures à la présidentielle et aux législatives de plusieurs membres de groupes armés, en contradiction avec l’article 4-d de l’accord de paix.

Les promesses non tenues de Bozizé

Les groupes armés rebelles ont aussi des griefs spécifiques. Le groupe 3R s’estime particulièrement déconsidéré et reproche au pouvoir de ne pas mettre en œuvre les promesses de l’accord de paix concernant le retour de 200 000 réfugiés peuls présents au Cameroun ainsi que les modalités de la transhumance. Il accuse également les Faca et Wagner de massacrer les Peuls. Les groupes 3R et UPC, tous les deux constitués de combattants peuls, et le MPC, à dominante arabe, estiment que le gouvernement les stigmatise en les considérant comme non-Centrafricains, et qu’il ne fait pas d’efforts pour inclure les communautés peules et arabes dans la gouvernance du pays. Enfin, le FPRC, autrefois plus important groupe armé du pays, a été fragilisé par des scissions internes et par des luttes contre des groupes rivaux dans le nord-est du pays, comme le Mouvement des libérateurs centrafricains pour la justice, le Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique et le Parti du rassemblement de la nation centrafricaine. Il y voit la main du gouvernement, qu’il soupçonne d’avoir soutenu ces groupes.

Bozizé a joué un rôle central dans la formation de la CPC. Sans sa capacité de rassemblement, les acteurs rebelles ne se seraient probablement pas attaqués directement au pouvoir. Ils étaient conscients que, même réunis, ils n’étaient pas assez puissants pour prendre la capitale. Mais Bozizé les a convaincus du contraire. Il leur a promis une guerre éclair et le ralliement d’une moitié des Faca, ceux notamment qui avaient été recrutés du temps où il était chef de l’État. Il leur a également promis l’amnistie, l’intégration dans l’armée, la reconnaissance de leurs grades et un gouvernement d’union nationale.

François Bozizé, alors président de la RCA, en avril 2008.
François Bozizé, alors président de la RCA, en avril 2008.
© Brice Blondel / HDPTCAR

L’annonce de cette nouvelle rébellion a entraîné une vive réaction du gouvernement, qui a mobilisé ses alliés internationaux et régionaux, notamment la Russie, qui était déjà militairement présente dans le pays depuis fin 2017 avec quelques dizaines d’instructeurs militaires puis quelques centaines de paramilitaires de la société privée russe Wagner. Face aux rebelles, Wagner a renforcé sa présence et déployé près de 2 000 mercenaires dans le pays.

Des centaines de morts, des milliers de déplacés

Durant les deux premières semaines, les combats ont eu lieu dans une trentaine de villes de province. Mi-janvier 2021, ils ont atteint les environs de Bangui. Mais l’assaut contre la capitale a tourné au fiasco pour la rébellion, qui a affiché au grand jour ses difficultés logistiques et les faiblesses de sa chaîne de commandement. Le gouvernement et Wagner en ont tiré avantage pour déclencher une contre-offensive. Malgré celle-ci, le gouvernement n’est pas parvenu à reprendre le contrôle total du territoire, et les Faca se sont enlisées. Si les militaires centrafricains et Wagner ont bien repris le contrôle de la quasi-totalité des villes, ils n’ont pas pu défaire les groupes armés, qui restent retranchés dans les zones rurales et comptent encore plusieurs milliers d’hommes.

Les affrontements continus en province ont un coût élevé pour les populations civiles. Selon une compilation réalisée auprès de diverses organisations (dont Acled, Inso et OCHA), depuis décembre 2020, les combats ont fait plus d’un millier de morts parmi les civils et 200 000 nouveaux déplacés. Les deux camps commettent de graves violations des droits humains, documentées par plusieurs rapports des Nations unies1. Ces violences touchent tout particulièrement la communauté peule. D’une part, les deux groupes de la CPC les plus actifs depuis un an sont composés majoritairement de Peuls. D’autre part, les combats se déroulent essentiellement dans des zones de transhumance, avec pour enjeu le contrôle de la ressource bétail. Selon le rapport de juin 2021 du panel d’expert des Nations unies sur la RCA, les forces gouvernementales, Wagner et les milices recrutées localement sont responsables d’actes de prédation contre les populations en général et d’attaques ciblées contre les civils peuls en particulier.

Certains hauts gradés expliquent la prédation et la violence des Faca contre les civils par leur mauvaise prise en charge par le gouvernement : rotation dysfonctionnelle des troupes au front, absence de logistique accompagnant leur déploiement, primes salariales et bonus non versés. Mais il y a une autre explication : depuis plusieurs mois, le gouvernement a accentué sa politique de recrutement de milices pour combattre la CPC, ce qui a entraîné des massacres plus importants contre les civils.

Des milices au service de l’État

Faca et Wagner procèdent à ces recrutements au sein des groupes armés « anti-Balaka »2 et UPC3. Ces milices ont des antécédents violents avec les éleveurs peuls dans la zone et ont tendance à se venger contre eux, y compris à travers des actes odieux comme le fait de couper et d’exhiber les têtes de civils et de combattants, en présence des Faca et de Wagner. Grimari, Boyo, Bria, Aigbondo et Sam Ouandja, dans le centre et le nord-est du pays, ont été le théâtre de ces actes épouvantables.

Deux facteurs expliquent la stratégie gouvernementale de recours aux milices contre la CPC. Tout d’abord, l’objectif stratégique d’anéantir l’UPC. Le gouvernement et Wagner souhaitent prioritairement anéantir le mouvement d’Ali Darassa afin de lui reprendre le contrôle des routes de transhumance et donc des millions de dollars que cette activité permet d’engranger chaque année à travers la taxation du bétail. Ensuite, avec 2 000 hommes seulement, les forces de Wagner ne sont pas en capacité de lutter contre la CPC sur l’ensemble du territoire. Wagner concentre désormais ses forces dans les zones minières, situées dans le centre et dans l’est du pays, afin de garantir le retour sur investissement de sa présence en Centrafrique. Wagner laisse ainsi les Faca et diverses milices mener la lutte dans les zones considérées comme moins « utiles ».

Tout comme les Faca et Wagner, les groupes de la CPC, notamment l’UPC, 3R et le FPRC, multiplient les exactions contre les civils, incendiant maisons et villages et tuant des personnes soupçonnées de collaborer avec l’armée et Wagner. Ce regain de « milicianisation » de la Centrafrique est inquiétant. Le risque qu’un conflit communautaro-confessionnel - notamment Peuls versus « anti-Balaka » (et ethnies non musulmanes assimilées) - se superpose au conflit actuel entre CPC et gouvernement n’est pas à exclure.

Cessez-le-feu non respecté

En position de force militaire relative, le président Touadéra est peu enclin à faire des concessions à la rébellion. Le chef de l’État semble déterminé à explorer jusqu’au bout l’idée de la solution militaire. La rébellion est quant à elle à la croisée des chemins. Formée au départ pour faire repousser la date des élections - ce qui aurait créé un vide constitutionnel car le mandat du président Touadéra arrivait à expiration en mars 2021 - et pour prendre le pouvoir militairement, elle n’est parvenue ni à l’un ni à l’autre. Ses principaux chefs, dont un est déjà mort au combat et un autre a été arrêté et transféré à la Cour pénale internationale (CPI), sont affaiblis. Ils sont actuellement en exil à N’Djamena, dans le cadre des accords passés avec la sous-région. Néanmoins, ils ne semblent pas prêts à accepter un arrangement humiliant. Ils espèrent des négociations directes avec le gouvernement sur les dysfonctionnements de l’accord de paix. Même s’ils n’en précisent pas l’objet, il est probable qu’ils espèrent au minimum que ces négociations leur confèrent une forme d’immunité judiciaire au niveau national et leur permettent de récupérer le contrôle des zones qu’ils occupaient avant l’offensive de la CPC, en décembre 2020.

Face à ces blocages, depuis un an, la Conférence internationale de la région des grands lacs (CIRGL), notamment sous la houlette de l’Angola et du Rwanda, pousse le gouvernement et les chefs de la coalition rebelle à des pourparlers pour revitaliser l’accord de paix de 2019. En septembre 2021, la CIRGL a élaboré une feuille de route pour la sortie de crise, mais aucune des parties ne l’applique. Cette feuille de route comprend plusieurs étapes, entre autres : l’engagement des groupes armés à rejoindre l’accord de paix, un cessez-le-feu, le regroupement et le désarmement des combattants, et l’exil des chefs de la CPC.

Le 15 octobre 2021, le président Touadéra a accepté de déclarer un cessez-le-feu unilatéral, après de fortes pressions de la CIRGL et de l’Angola. Mais celui-ci n’a tenu que deux semaines : les Faca, Wagner et les rebelles l’ont rapidement violé. Les groupes armés ont continué des opérations de prédation contre les civils, et les Faca et Wagner ont poursuivi leurs offensives. Quant à la clause prévoyant leur exil, seuls quatre chefs des groupes armés sur six l’ont acceptée. Les chefs de l’UPC (Ali Darassa) et du FPRC (Noureddine Adam) ont souligné qu’ils souhaitaient pouvoir circuler en territoire centrafricain.

Les finances dans le rouge

Par ailleurs, l’arrestation, en mars 2022, à N’Djamena, de Maxime Mokom, l’un des six chefs de la CPC, et son transfèrement aux Pays-Bas en vue de son jugement devant la CPI ont été perçus par les autres chefs de la CPC comme la preuve que la feuille de route ne tenait plus. Avant cet événement, ceux des chefs de la CPC qui avaient accepté de s’établir à N’Djamena se plaignaient déjà d’une mauvaise prise en charge financière par les autorités angolaises et sous-régionales. Certains, lassés de ces conditions, envisageaient une sortie de la feuille de route et un retour sur le sol centrafricain pour intensifier la lutte armée, même si leur potentiel de nuisance est difficile à déterminer.

Dix-huit mois après la présidentielle de décembre 2020, la situation a évolué en faveur du gouvernement. Pour autant, son refus de négocier n’est pas réaliste car une victoire militaire dans ce pays de plus de 622 000 km2 est peu probable. La poursuite sans fin de la solution armée a également l’inconvénient d’hypothéquer les ressources du pays, dans un contexte où les finances publiques sont dans le rouge, notamment depuis la suspension, fin 2021, de l’appui budgétaire des institutions financières internationales et de l’Union européenne, qui représentait jusqu’alors la moitié du budget national, soit 298 milliards de FCFA (456 millions d’euros). Une suspension motivée notamment par la présence de Wagner dans le pays. Dans ce contexte, la Centrafrique pourrait être dans l’incapacité de payer une partie de ses fonctionnaires et de ses militaires à partir de janvier 2023.

Le pays est à la croisée des chemins. Des décennies de mauvaise gouvernance et d’interventions extérieures tantôt mal conçues, tantôt inopportunes sont la cause profonde de l’instabilité chronique et de la fragilité de l’État centrafricain. La crise actuelle est la énième manifestation de cette instabilité.

Une situation humanitaire critique

Selon les Nations unies, l’urgence humanitaire en République centrafricaine a atteint des niveaux jamais égalés depuis l’arrivée au pouvoir de Faustin-Archange Touadéra, en 2016. En 2022, 3,1 millions de personnes auront besoin d’assistance humanitaire et de protection, soit 63 % de la population. Parmi elles, 2,2 millions auront des « besoins sévères », soit une augmentation de 16 % par rapport à 2021. Les combats et le recours aux mines antipersonnel de certains groupes armés dans l’Ouham-Pendé et dans la Nana-Mambéré (ouest du pays) empêchent les acteurs humanitaires et la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) d’accéder à plusieurs localités. En 2021, ces mines ont fait 23 morts et des dizaines de blessés parmi les civils, dont des acteurs humanitaires.

2Les «  anti-Balaka  » sont des groupes d’autodéfense qui se sont formés lors de crise de 2013 en réaction aux exactions de la coalition rebelle «  Seleka  » contre les non-musulmans.

3Faca et Wagner ont suscité et exploitent les dissensions au sein de l’UPC, divisée désormais en trois factions. Pour diviser l’UPC, le gouvernement se sert de Hassan Bouba, ancien coordinateur politique du groupe armé et actuel ministre de l’Élevage. Les trois factions de l’UPC sont : celle progouvernementale de Hassan Bouba, qui compte des centaines de combattants  ; celle de Ali Darassa, qui compte quelques milliers de combattants  ; et celle du «  général  » Guendeirou, qui compte plusieurs centaines de combattants.